On est tous d’accord sur la liberté d’expression, bien sûr

Ce fut Charlie Hebdo et pas Minute. Quelque part, c’est un peu déstabilisant pour celui qui suit bien les cailloux laissés par les Petits Poucets de la Pensée Correcte, puisqu’au contraire de Charlie Hebdo, Minute est dans le camp du Mal et aurait donc dû être attaqué depuis fort longtemps. Mais baste, ce fut donc Charlie et presqu’instantanément, tout le monde fut Charlie.

En quelques jours, quelques heures même, la situation est passée d’assez morose à celle d’un magma effervescent où l’émotionnel semble tout dicter. La tension est presque palpable. Sur les réseaux sociaux, l’électricité règne dans les échanges et on s’étonne presque que, pour le moment, ni Zemmour, ni Dieudonné (par exemple) ne se soient fait buter. Au fait, s’ils tombent sous une rafale, combien porteront un petit panonceau « Je Suis Zemmour » ? Et pour le sulfureux hebdomadaire de droite (extrême ?), un panneau « Je suis Minute », ça le fait ? En tout cas, on peut souhaiter qu’ils seront aussi nombreux que ceux qui portèrent, sans hésiter, le panonceau « Je suis Charlie ».

En effet, on ne pourra que s’accorder sur le fait que, si tout le monde a porté le pin’s Je Suis Charlie, s’est procuré le t-shirt ou le mug Je Suis Charlie, si tant ont même poussé la conscience jusqu’à s’abonner à un journal que pourtant, plus personne ne lisait, tout le monde, ou à peu près, est maintenant d’accord sur l’impérative et absolue nécessité de sauvegarder la liberté d’expression. Tout le monde doit, dès lors et pour éviter de faire un deux poids, deux mesures, s’accorder aussi sur la nécessité de laisser chacun s’exprimer, même s’il choque. Ne l’oublions pas : c’est parce qu’ils ont choqué que les dessinateurs de Charlie Hebdo sont morts. Ce sont ces morts que tous, nous déplorons. C’est cette liberté de ton que, tous, nous nous devons de leur reconnaître. C’est donc en toute logique que nous nous devons de l’accorder à tous.

Parce qu’après tout, la liberté d’expression ne souffre pas de segmentation. Comme je le disais dansun précédent billet, ce concept même de liberté d’expression n’a pas été conçu pour protéger les gens qui pensent et s’expriment comme tout le monde, qui évoquent la météo et le temps qui passe, mais bien pour ceux qui disent des choses qui dérangent, qui choquent ou qui remettent en cause l’ordre établi.

Si on refuse ce postulat, si l’on admet qu’on puisse restreindre la liberté d’expression, on s’avance sur une pente glissante où l’on admet dans la foulée que certaines expressions n’ont pas droit de cité, que certaines opinions sont interdites, que certains dessins blasphèment une religion, une loi, l’Histoire, la science ou les croyances des uns ou des autres. Si l’on admet, même un tant soit peu, que la liberté d’expression n’est pas totale, alors on admet le besoin de définir, dans la loi, des limites à ce qu’il faut penser. On admet aussi, de facto, qu’il va falloir des gens pour juger ce qui tombe ou pas sous le coup de la loi, ce qui est un discours autorisé de celui qui contrevient à la loi. On va devoir aussi admettre qu’il faudra couper l’article qui viole la loi, couper le site qui héberge un contenu illégal, poursuivre celui qui aura ainsi exprimé une idée de travers.

Et ça, bien sûr, personne ne le veut. Censurer des journaux, couper des passages dans les livres, poursuivre des auteurs, des journalistes, des caricaturistes, ce serait, immanquablement, sombrer dans les Heures Les Plus Sombres de Notre Histoire Tagada Tsoin Tsoin.

Bien.

Maintenant que nous sommes tous bien d’accord sur ce concept de liberté d’expression, qu’il n’y a plus d’ambiguïté ni sur ce qu’il recouvre, ni sur son étendue et sa nécessaire complétude, quand revient-on sur la loi Gayssot, pour en couper les parties qui concernent, justement, les restrictions à la liberté d’expression ?

Oh, je crois voir des sourcils qui se froncent, d’un coup…

Et puis, de façon plus générale, quand annule-t-on les lois mémorielles qui, finalement, expliquent ce qu’il est bon de croire, ne pas croire, dire ou ne pas dire en matière d’Histoire de France et du monde ? Je le rappelle : il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de l’une ou l’autre théorie portée par certains, mais bien de leur faire retrouver le droit pour lequel des penseurs, des auteurs, des caricaturistes viennent de se faire tuer. Si l’on est cohérent, si l’on est bien Charlie, on ne peut plus l’être à moitié, ou seulement pour les opinions qui ne bousculent personne.

Tant qu’on y est, la liberté d’expression souffre profondément qu’on stipendie les médias qui la permettent normalement. Quelle liberté d’expression peut-il y avoir dans un pays où la presse estmassivement subventionnée ? Ainsi, quand coupera-t-on complètement le cordon ombilical entre les médias et l’État, ce cordon de subventions, d’aides et de facilités fiscales, ce cordon qui a permis de vivre une presse répondant aux impératifs des pouvoirs publics et qui a constitué, de la façon la plus sournoise possible, la meilleure des censures ? Si l’on est bien Charlie, on doit se rappeler que l’hebdomadaire dont il est question refusait justement ces aides.

Quand renonce-t-on enfin au politiquement correct gluant qui s’est diffusé partout, ce politiquement correct qui, par exemple, fait écrire que « les prénoms ont été changés » pour ne pas choquer de belles âmes, et travestir ainsi de simples faits, ce politiquement correct qui a fermé toute possibilité de débat sur les drogues (article L.630 du code de la santé), ce même politiquement correct qui a muselé tout débat sur l’ouverture du monopole de la sécurité sociale, ce politiquement correct qu’on retrouve dans toutes ces lois imbéciles qui ferment un débat en le rendant illégal ? Quand acceptera-t-on une vraie transparence, alors même qu’il y a encore en France, actuellement, une loi qui interdit la diffusion du patrimoine des élus ? Quand assurera-t-on, a contrario, la protection du secret des sources ?

Ah oui, la liberté d’expression, décidément, ça dérange, parce qu’en réalité, on est tous, peu ou prou, l’ »islamiste intégriste » de quelqu’un. Tous, nous pouvons voir notre « prophète », notre opinion, notre croyance, notre vision de la société, de l’histoire, de la science ou de la politique choqué par l’expression de l’opinion d’un autre ou la caricature qu’il fait de la nôtre. Et tous, à un moment ou un autre, nous pouvons estimer, trop facilement, avoir été agressé et réclamer protection, réparation … vengeance.

Dans ce contexte, les lois Gayssot, Taubira, toutes les lois qui « encadrent » la liberté d’expression, c’est la façon soft de faire taire ceux qui dessinent les caricatures de nos opinions, en utilisant le petit marteau du juge. Bien sûr, ce marteau est plus propre que la balle de kalachnikov, mais le silence qui suit l’un n’a philosophiquement rien de différent de celui qui suit l’autre.

Alors, la liberté d’expression pleine et entière, chiche ?

> H16 anime un blog.

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9 Comments

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  • 0 / 10
  • Quéniart , 14 janvier 2015 @ 11 h 25 min

    il n’y a pas de liberté d’expression en France sauf pour les politiques et les médias pros sionistes

  • Goupille , 14 janvier 2015 @ 11 h 48 min

    La liberté d’expression est un concept sorti de cervelles européennes et fruit d’une civilisation séculaire européenne.
    Tout ce qui entre dans ce corpus peut être dit. Qu’ils dégueulent sur le Christ ne me gêne pas. Cela n’entame pas ma Foi et je regarde leurs pitreries avec l’œil dont on regarde les enfants de cœur se saoûler au vin de messe…

    Par contre, il serait irresponsable d’accorder la même liberté non encadrée à des greffons exogènes qui ne fonctionnent pas sur les mêmes paradigmes.

  • Pascal , 14 janvier 2015 @ 11 h 57 min

    En botanique ça s’appelle des sauvageons.

  • Gisèle , 14 janvier 2015 @ 12 h 26 min

    Alors , où puis je encore trouver un teeshirt Manif pour Tous ?? que je puisse vite m’en revêtir et me promener librement , sans être inquiétée .
    Et dois je dire à mes collègues infirmières de reporter leur Croix ?

  • trahi , 14 janvier 2015 @ 13 h 45 min

    qui se permettent çà: Parlement Européen : polémique autour d’un tableau offensant pour les chrétiens

  • Tite , 14 janvier 2015 @ 18 h 33 min

    Un Bien découle toujours du Mal…

    Jusqu’à présent, à quelques exceptions mineures, ce qui est analysé ci-dessus et ailleurs ne se trouvait que discrètement dans les commentaires de quelques braves petits soldats s’échinant, inlassablement à crier les vérités dans le désert.
    Ils trouvaient cependant quelques oreilles attentives, mais tout ceci restait en circuit fermé et dans un “cercle de famille” de pensée.
    Bien sûr, quelques petits cailloux étaient semés, quelques petites poussières d’étoile s’agglutinaient dans un coin, mais pas suffisamment pour faire une comète…
    Depuis ce séisme qui a réveillé bon nombre de français, on peut lire des tribunes moins consensuelles, plus virulentes et des analyses lucides et intelligentes.

    Là enfin, on peut commencer à parler de “liberté d’expression” parce que ceux qui s’expriment aux yeux du plus grand nombre, commencent à abandonner une forme d’auto-censure.

    C’est à partir de maintenant que nous allons pouvoir vraiment mesurer le degré de dictature, de totalitarisme du régime car je vous le rappelle :

    “Pas de liberté pour les ennemis de la liberté” – Saint-Just.

  • SD-Vintage , 15 janvier 2015 @ 15 h 05 min

    La limite à la liberté d’expression dans une société policée c’est l’appel à la violence

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