Cette réforme territoriale qui n’aura pas lieu

Et alors que le pays accumule quelques soucis de trésorerie, de chômage et de moral, le chef de l’État a finalement choisi de mettre tous ses efforts sur une réforme territoriale dont tout indique qu’elle était à la fois attendue, indispensable et parfaitement réalisable dans un temps très court. La machine médiatique est en marche : réforme territoriale ce sera donc !

Il ne se sera écoulé que quelques jours entre le moment où le Président aura décidé de lancer cette réforme et le moment où les rédactions se sont toutes penchées sur la question pour produire moult articles afin de répondre à la question lancinante que tout le monde se pose apparemment : comment va-t-on donc procéder pour alléger le mille-feuille administratif français ?

Pour le moment, toutes les étapes précises de cette réforme sont encore dans les cartons, bien rangées les unes derrières les autres, mais on sait déjà, heureusement, que l’entreprise n’est pas vaine puisqu’elle permettra d’économiser un paquet d’argent. Vallini, Le secrétaire d’État à la réforme territoriale, s’est d’ailleurs fendu d’un entretien au Figaro qui chiffre tout ça :

« Les meilleurs spécialistes pensent qu’en tablant sur des économies d’échelle et des suppressions de doublons qui pourraient à terme représenter de 5% à 10% on arrive à un gain annuel de 12 à 25 milliards d’euros à moyen terme. »

Voilà voilà, les meilleurs spécialistes ont fait leurs petits calculs et annoncent une économie possible allant du simple à plus du double (en gros, on parle de 18.5 milliards d’euros plus ou moins 6.5 milliards) soit une marge d’erreur de 35% et dont le montant (plus de six milliards) représente 40% de l’effort d’économies que le plan Valls propose d’engager. À côté d’une telle marge d’erreur, même les calculs du GIEC sur le réchauffement qu’on aurait dû observer les 16 dernières années sont d’une précision diabolique…

Mais bref, n’ergotons pas : c’est déjà miraculeux qu’un calcul, aussi vague soit-il, ait été fait. En substance, il s’agit de dire que la disparition de certains doublons dans les collectivités (qui crament un budget de 250 milliards d’euros) permettrait de faire des économies d’échelle à hauteur de 5 à 10%. Comment sont trouvés ces pourcentages, nul ne sait exactement mais sachez que d’excellents « spécialistes » y ont travaillé. En tout cas, moyennant quelques suppressions de doublons, pouf, on trouve un gisement d’économies palpables.

Devant une telle opportunité, les médias, déjà fort alléchés par l’idée d’une Grande Réforme, après avoir appelé un ami se sont empressés de demander l’avis du public. Surprise totale, il est d’accord ! Plus précisément, 55% des Français se déclarent favorables à la suppression des départements. En contraste, cela veut dire que 45% trouvent un intérêt (direct ou indirect) à la conservation de cet échelon administratif, ce qui semble à la fois beaucoup et étrange dans la mesure où absolument rien n’impose que ce soit cet échelon plutôt qu’un autre qui soit en charge des missions qui lui sont actuellement confiées. En substance, que certaines (l’infrastructure routière par exemple) soient reportées à la région et que d’autres (les hôpitaux, les établissements scolaires) soient gérées par les communes ne change absolument rien à la petite vie du citoyen français qui n’a en réalité aucun besoin du département. Si son utilité pouvait avoir un sens du temps de Napoléon et des déplacements fastidieux dans un grand pays, de nos jours et avec les moyens de communication modernes, la région est un découpage possible qui ne handicapera à peu près personne.

Hollande et sa clique s’apprêtent donc à sucrer les départements. Fort bien, mais — comme le dit Vallini qui n’a pas perdu le nord — il faut agir vite. Parce qu’après avoir reporté le 27 novembre 2012 le scrutin d’élections territoriales normalement prévu en 2014 à l’année 2015, Hollande tente maintenant de le repousser vers 2016, histoire de modifier un peu les régions, et, d’ici 2021, dissoudre les départements. Et repousser de deux ans, temporiser, ajourner, atermoyer, c’est clairement une méthode pour le Roi Solex (au passage, on peut s’estimer heureux de la nature constitutionnelle du calendrier électoral pour la présidentielle, sans laquelle notre brave énarque aurait choisi de la repousser aussi).

Maintenant, si l’on écarte le petit calcul électoral ainsi tenté, on ne peut s’empêcher de noter qu’en surcroît de l’écran de fumée que cette réforme a créé dans les médias, la manœuvre n’en reste pas moins très hasardeuse.

D’une part, la suppression des conseils généraux entraînera la disparition de milliers de postes de fonctionnaires et d’élus qui travaillent dans ces structures. C’est très bien mais pour ces derniers, la douloureuse question de leur reconversion se pose : comme Don Salluste qui paniquait à l’idée de perdre sa place de ministre, que vont pouvoir trouver comme occupation nos élus ? Après tout, ils ne savent rien faire, ils sont élus… Dès lors, on peut compter dans leurs rangs autant d’opposants farouches à Hollande.

D’autre part, en termes financiers, pour qu’une économie se réalise, il va falloir éliminer effectivement la masse salariale correspondante. Électoralement, c’est catastrophique d’autant que la fonction publique territoriale n’a jamais arrêté de grossir. Sucrer un niveau administratif, c’est renvoyer dans le privé un nombre considérable de personnes. C’est absolument nécessaire, mais électoralement suicidaire pour Hollande qui, avant toute autre personne, ne pense qu’à lui et sa réélection.

D’autant qu’une telle réforme, à moins d’y aller au pas de charge (ce qui serait du jamais vu pour un Hollande perdu dans ses petits compromis et un immobilisme minutieusement calculé), sera inévitablement coûteuse au moins au départ : la réorganisation, même si elle dégage des économies d’échelles et supprime des doublons, passera par une phase où les relocalisations, les démembrements et les réaménagements provoqueront des frictions qui ne seront pas gratuites. Autrement dit, le premier effet de la réforme sera un accroissement des dépenses publiques avant de pouvoir compter sur une économie quelconque, accroissement qui sera, soyez-en sûr, lourdement médiatisé sur l’air de « La Casse Du Service Public »…

Tous ces éléments aboutissent tous au même résultat : la réforme n’aura pas lieu. Politiquement et électoralement, le chef de l’État n’y a pas intérêt, et économiquement, l’État n’est pas suffisamment en fonds pour se le permettre sur le mode d’une série d’ajustements gentillets.

Pas de doute : comme les autres bricolages que Hollande nous aura offerts depuis deux ans, cette « réforme » territoriale n’est qu’un nouveau gadget communicationnel pour occuper la presse qui saute trop joyeusement sur le sujet, alors que les situations nationale et internationale imposeraient pourtant un autre agenda.

En mai 2013, devant la déconfiture que fut sa première année au pouvoir, Hollande aurait dû prendre la mesure de son poste et de sa mission, et arrêter la bidouille. Il n’en a rien fait et deux ans après son élection, il n’est toujours que le Président de la République de Corrèze.

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16 Comments

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  • 0 / 10
  • ras le bol , 14 mai 2014 @ 19 h 44 min

    Seigneur, à quand le prochain éclair ???

  • Catoneo , 14 mai 2014 @ 20 h 17 min

    Le sujet mériterait d’être plus précis pour ne pas aligner les approximations voire les erreurs. Un département c’est :
    1.- un conseil général élu au suffrage direct (cantonales) qui fixe un taux de la fiscalité locale, émet des souhaits et tranche des priorités de dépenses ;
    2.- un préfet et son administration préfectorale qui décalquent au niveau départemental l’amorce des pouvoirs régaliens de l’Etat central
    3.- un trésorier-payeur-général qui fait les virements et représente le Trésor public
    4.- des services publics départementaux (CDI, Gendarmerie, Pompiers, DDE, CPAM, CAF, etc…) qui relèvent de services centraux nationaux spécifiques ou pas.
    Plus peut-être.

    A noter que le département n’est pas une division de police, de justice ni de l’Education nationale, ni militaire.

    Pour le moment, il est envisagé de supprimer l’étage politique(1). Ce ne sont pas des milliers de fonctionnaires qui sont menacés.

  • JSG , 15 mai 2014 @ 7 h 19 min

    “…Cette réforme territoriale qui n’aura pas lieu…”
    Je le souhaite, mais, je n’en suis pas si sûr !
    Pourquoi :
    Parce que le bateau coule et son “capitaine” s’en rend compte, alors il est prêt à n’importe quoi pour éviter de se noyer tou seul..
    Dans cette “réforme” il y a le plus grave :
    La suppression des départements ! qui est présenté comme un effet secondaire de la réforme des régions !
    Bref, les conséquences de cette idée stupide sont tellement énormes pour l’organisation de notre pays que chaque citoyen en subirait les inconvénients sans en voir aucun avantage !
    Il faut savoir, que le département est la structure de base, l’ossature, qui permet au pays de se “tenir encore debout”
    De plus, comme cette structure serait “répartie” vers les communautés de communes ! comme j’ai pu l’entendre sur BFM radio de la part d’un de ces députés qui sont déjà cause de tous nos malheurs en légiférant de travers ou dans l’intérêt des lobbies de tous genres.
    Diriger tous les pouvoirs vers cette dernière invention qui vient de faire augmenter le nombre de fonctionnaires de plus de deux cent mille ! Pourquoi ? pour rien !
    Prendre exemple sur l’Allemagne ? pourquoi ? par manque d’imagination ! les tructures des communautés de communes ne sont d’un parapluie sous lequel se cachent les incompétences locales de gens indéracinables.
    Si il existe une structure à détruire, c’est la région administrative et non le département.
    De plus, tous les services de l’État que nombre de gens sont obligés de consulter où iront-ils ?
    Plus haut = plus loin !
    Plus bas = multiplication des effectifs !
    En bref, cette réforme n’est que l’aveu de l’impuissance d’un éxécutif stérile, incapable ou manquant de courage pour se réformer lui-même.
    DANGER, d’autant que cet infame ramassis qui croit gouverner le pays, prétend faire passer son idée suicidaire sans réréfendum ! Un comble ! Il va insicieusement casser tout le squelette de cette belle structure qu’est le département.
    C’est fou ! La situation me fait penser à ces enfants qui détruisent leur jeu de construction pour recommencer autre chose, sans savoir quoi exactement.
    Allez savoir si tout ça ne fait pas partie d’une stratégie mondiale de destruction de tout ce qui représente une référence pour chaque être humain ?
    Après, ces C..S s’inquiètent de voir les citoyens de chaque pays se radicaliser !
    Ils n’ont pas encore tout vu !

  • jeanluc , 15 mai 2014 @ 7 h 35 min

    Le département est une division de l’Education Nationale, avec une Inspection Académique dirigée par un Directeur des Services Départementaux de l’Education Nationale (Inspecteur d’Académie, c’était trop simple -le nom a été changé sous Sarkozy) qui a en charge l’Enseignement Elémentaire (Maternelle et Primaire) et qui a délégation de gestion du Recteur pour l’enseignement secondaire (dont il gère les moyens délégués par le Recteur), il gère la Carte Scolaire et les affectations d’élèves. C’est lui le supérieur direct des Chefs d’Etablissement. Même Paris, à la fois Région et département, a un DSDEN.

  • jeanluc , 15 mai 2014 @ 7 h 38 min

    Elle aura lieu de manière symbolique pour faire croire que vallhollande est capable de faire une réforme mais elle ne servira à rien sinon à exarcerber les conflits d’intérêt (rivalité Nantes-Rennes, Rouen-Caen etc…) et ne fera évidemment rien économiser : on gardera tous les postes et toutes les structures (il ne faut pas perdre ses derniers électeurs). Ce sera un faux semblant.

  • Aristote , 15 mai 2014 @ 8 h 37 min

    La simplification administrative est sans doute nécessaire , mais une fois de plus elle risque de se faire sans tenir compte des réalités humaines et historiques , et avec d’évidentes arrières-pensées électoralistes .
    Cela dit rendre son unité à la Bretagne , ou même à la Bourgogne historique ( retour de la Franche-Comté séparée depuis le mariage de Marie de Bourgogne, pour des raisons d’ailleurs honorables) ne me semble pas scandaleux .
    Le risque me semble par contre d’oublier les circonscriptions de taille moyenne , le “pays” semblait un assez bon échelon de ce point de vue .

  • Fvern , 15 mai 2014 @ 9 h 20 min

    Oui, raz le bol…la France est in gouvernable , car on n’a que des incapables à nous gouverner…mais qui tiennent absolument à leurs pouvoirs…

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