Le hasard n’existe pas

À la fin de son cours, un professeur lance un défi à ses étudiants : ils doivent, pour la prochaine séance, concevoir une fonction capable de générer dix nombres aléatoires. En sortant de la salle de classe, la plupart des étudiants sont intimement persuadés de la trivialité de l’exercice ; en une demi-heure, se disent-ils, ce sera bouclé. Ils rentrent chez eux, s’installent devant leur ordinateur et c’est là qu’ils commencent à réfléchir.

La tâche qui consiste à concevoir un générateur de nombres aléatoires est aussi simple en apparence qu’elle est complexe en réalité. Comment créer le hasard ? Comment concevoir un algorithme – c’est-à-dire un système forcément déterministe – qui génère un résultat qui échappe à toute explication déterministe ? Eh bien c’est impossible. Les esprits les plus brillants se sont frottés à ce problème et tous en ont conclu qu’il n’est tout simplement pas possible de créer un tel algorithme. Tous les générateurs de nombres aléatoires (1) sont en réalité des générateurs de nombres pseudo-aléatoires ; c’est-à-dire qu’ils simulent le hasard en créant des séquences de nombres dont il est plus ou moins difficile d’identifier les propriétés déterministes.

Une manière de s’approcher au plus près de l’aléa parfait consiste à s’appuyer sur des phénomènes physiques présumés imprévisible (2) comme, par exemple, le lancer d’un dé. Comme nous sommes, a priori, incapables de déterminer à l’avance sur quelle face le dé va tomber, nous considérons que la séquence de nombres de 1 à 6 qui résultera de plusieurs lancers sera aléatoire. Mais cela signifie-t-il qu’elle l’est vraiment ? Certainement pas : elle est en réalité entièrement déterminée par les lois de la physique. Avec un équipement adéquat, nous pourrions prédire précisément le résultat de chaque lancer ou faire en sorte que le dé tombe à chaque fois sur la même face. Ce qui donne ici l’illusion de l’aléa, c’est le fait que la main de celui qui lance le dé n’est pas un instrument suffisamment précis pour influer sciemment sur le résultat. Du moins en principe.

Les générateurs présumés les plus performants, plutôt que des dès, utilisent aujourd’hui des phénomènes quantiques. Il y a deux manières de justifier cela : l’interprétation classique de la théorie quantique qui veut que ces phénomènes sont vraiment aléatoires (le chat de Schrödinger à la fois mort et vivant) et celle selon laquelle les variables quantiques suivent des lois déterministes que nous ne connaissons pas (le chat est dans un état déterminé mais nous ne savons pas lequel et nous ne savons pas pourquoi). Je suis, bien sûr, parfaitement incompétent en la matière mais mon intuition me pousse à suivre Einstein (3) : Dieu ne joue pas aux dés dans l’Univers, il y a là derrière quelque chose qui nous échappe encore ; Feyman lui-même ne disait-il pas que « personne ne comprend vraiment la physique quantique » ?

Quoiqu’il en soit, et dans l’état actuel de nos connaissances en dehors du domaine quantique, l’aléa n’existe pas. C’est un abus de langage, un concept pratique qui nous permet de désigner le produit de chaînes de causalité trop complexes pour que nous pussions en comprendre le caractère déterministe. Le hasard n’est qu’une illusion ; nous vivons dans un monde déterministe mais nous vivons aussi dans un monde infiniment complexe dans lequel, bien souvent, les liens de causalité nous échappent.

> le blog de Georges Kaplan (Guillaume Nicoulaud)

1. La fonction ALEA() sous Excel par exemple.
2. Ou à combiner un générateurs de nombres pseudo-aléatoires à des phénomènes physiques.
3. Et oui, je sais pour le paradoxe EPR.

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30 Comments

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  • 0 / 10
  • Dōseikekkon , 15 août 2013 @ 6 h 20 min

    Ce « raisonnement » est tellement brillant que quiconque l’a lu s’est instantanément mis à croire en Dieu !

    (Joking…)

  • Georges Kaplan , 15 août 2013 @ 9 h 41 min

    Voir note #3 dans l’article.

  • Sacha , 15 août 2013 @ 10 h 59 min

    On met souvent sur le dos du hasard des phénomènes qui dépendent de la catégorie de la contingence, c’est-à-dire qui sont fortuitement au croisement de plusieurs séries causales.

  • Xavier , 15 août 2013 @ 11 h 32 min

    Le hasard n’existe pas, ou alors …. Il s’écrit avec un grand D comme D.ieu !
    Le libre arbitre dont nous sommes tous au bénéfice par la seule grâce de D.ieu, fait que chacun de nos choix individuels et collectifs induisent des conséquences qui sont définitives.
    D.ieu nous dit dans sa Parole : “je mets devant toi la vie et la mort, choisis la vie !” Pas de manichéisme ou déterminisme dans cette injonction divine, seulement une manifestation de l’amour de D.ieu pour ses enfants qu’Il laisse libres de s’approcher de Lui ou pas …. Choisir la vie, c’est haïr tous les choix qui nous détourneront de Sa présence bienveillance. C’est “haïr le pêché”.
    Mais ce qui doit être impérativement pris en compte est la temporalité donnée à l’humanité alors que D.ieu qui est “JE SUIS” qui est “le commencement et la fin” connait nos choix et leurs conséquences. Il est au présent alors que nous sommes en train de…
    D’où cette ambiguïté permanente entre hasard et déterminisme : D.ieu sait, Il connaît seul les temps et les moments, alors que nous, nous vivons au fur et à mesure les événements et nous construisons notre destinée en fonction de chacun des choix que nous faisons.

  • Un Lys Noir , 15 août 2013 @ 14 h 02 min

    Toujours selon Feynman, pour qu’une particule aille occuper une position à t+x, il doit “savoir” si l’orbite est libre…
    Tout est déjà écrit, le passé existe encore, le futur existe déjà… Le présent n’est qu’illusion.

  • monhugo , 15 août 2013 @ 14 h 17 min

    On attend avec intérêt vos arguments en réponse au “Pari”, d’un des plus grands savants et philosophes français.

  • J. Elsé , 15 août 2013 @ 15 h 23 min

    Après avoir lu l’article, je me suis senti fatigué : est-ce un hasard ?

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