Grève à la SNCF : les raisons et les silences d’un conflit

En ce 11 juin 2014, les agents de la SNCF entament un mouvement de grève par périodes de 24 heures reconductibles. A midi ce même jour, dans un communiqué interne, la SNCF fait état de 27% de grévistes, chiffre dont elle déduit que « 3 agents sur 4 sont au travail et font confiance à la politique de l’entreprise ». L’avenir nous dira quoi penser de ce pronostic mais, d’ores et déjà, l’absence du moindre train sur les rails français est un signe de la dureté du mouvement et du caractère impérieux de ses motifs.

Que disent en substance les grévistes ? Ils veulent « un moratoire sur l’ensemble des réorganisations », « une autre prise en compte de la sureté et de la sécurité des voyageurs et des agents pour un ré-humanisation des gares et des trains ». Ils veulent d’autres choses encore qui relèvent du maintien du statut et ses avantages associés, de revalorisations salariales et d’embauches de personnels. Ils veulent des choses qu’en première lecture on pourrait assimiler à des caprices de « nantis » qui se plaignent la bouche pleine. Mais la réalité est sans doute un peu plus complexe.

Le ministre Cuvillier est à la manœuvre. Non sans une pointe d’embarras, il déclare sur RMC que la grève traduit « une inquiétude et également une volonté de sauver le service public ferroviaire. C’est justement le cœur du projet de loi ». Il déclare encore vouloir « stabiliser la dette par un effort partagé et pour cela, l’Etat abandonnera ses dividendes, soit 500 millions d’euros par an. Une fois que nous aurons stabilisé cette dette, qui s’élève aujourd’hui à 40 milliards d’euros, nous aborderons son traitement ». Il omet cependant de rappeler ce qu’il avait déclaré le 11 février dernier, en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale, à savoir que « la dette du système ferroviaire dans son ensemble s’élève à 44 milliards, avec une progression annuelle de 2.4 à 3 milliards », dette qui selon lui justifie que « le plan d’Excellence 2020 de la SNCF …, à la faveur d’une meilleure organisation, d’une politique d’achat plus rigoureuse et de l’allègement des fonctions support, générera, pour SNCF Mobilités, une économie (annuelle) de l’ordre de 1 milliard d’euros ».

Fichtre ! Les gens cependant savent lire, même s’ils prennent connaissance tardivement des textes liminaires et législatifs. Par « économie de l’ordre de 1 milliard d’euros », ils comprennent « suppressions de postes à hauteur de 1 milliard ». Ils ont de la mémoire aussi. Et il ne leur aura pas échappé que cette fameuse dette est imputable pour l’essentiel à Réseau Ferré de France (pour 37 milliards). RFF, pourtant, était censé réaliser des investissements « rentables ». Il faut donc croire que son niveau d’endettement résulte soit d’une mauvaise gestion soit d’une somme d’investissements peu ou pas rentables du tout. Les lignes nouvelles à grande vitesse, dont la puissance publique entend couvrir le territoire comme autant de « chemins qui mènent à Rome », verraient-elles circuler des trains fantômes à moitié vides ? Aurait-on indument « gonflé » les études socio-économiques dans des dossiers où le simple bon sens commandait la mesure et la prudence ? L’ambition d’élus rêvant de TGV au fin fond de leurs provinces aurait-elle été démesurée ? Toujours est-il qu’a priori, les agents grévistes ne se sentent pas responsables de cette dette dont le ministre pourtant leur demande de réduire l’ampleur par des efforts de productivité au sein de leurs rangs !

La réforme, pour autant, est inéluctable, dans cette forme ou dans une autre. Le ministre a raison de vouloir réunir dans une seule entité les agents qui entretiennent les voies et ceux qui gèrent le réseau, cela permettra d’économiser maints doublons et de simplifier les choses. Cependant, le montage envisagé de trois EPIC (Etablissement Public Industriel et Commercial) ne s’impose pas par sa lisibilité et ne dissipe nullement le soupçon de vouloir « scinder la SNCF en deux ». Le ministre a encore raison de rappeler que « le modèle économique ferroviaire français » n’est plus adapté, ce qui est une autre façon de dire que le bateau coule. Les agents de la SNCF, grévistes ou non, en sont du reste conscients, mais ils ne comprennent pas que le ministre considère comme allant de soi que la seule productivité des agents (certes associée à quelques ajustements d’achats) doive compenser la charge d’une dette historique. Implicitement, cela revient à dire que la dette est de leur seul fait.

Dans ce dossier, d’autres choses, essentielles, sont passées sous silence. Le service ferroviaire relève du service public. Son déploiement sur le territoire, même en des zones où le peuplement reste faible, génère des coûts que seule peut supporter la puissance publique. A ce titre, le service ferroviaire relève du même esprit que la sécurité sociale, la justice ou l’éducation nationale. Il ne présente pas de rentabilité immédiate mais participe de la compétitivité générale et de l’attractivité du pays. La puissance publique du reste l’a bien compris lorsqu’elle a mis en œuvre la loi SRU de 2000 qui confie le soin du déploiement des TER aux conseils régionaux. Ces derniers s’en sont emparés et si aujourd’hui les TER « marchent bien », c’est grâce à la fiscalité régionale qui assume les deux-tiers du coût d’un billet. Le service public coûte de l’argent public de même que, répétons-le, l’éducation nationale. En conséquence, le bilan économique du service public des trains n’est pas à faire au niveau de la SNCF ou même des Conseils Régionaux, mais au niveau des comptes de la nation.

Ceux-ci hélas sont durablement dans le rouge depuis plus de trente ans. Cela non plus n’est pas dit par le ministre, lequel est solidaire d’un gouvernement qui a fait d’autres choix budgétaires : l’argent public affecté à des emplois publics sans réelle valeur ajoutée manque cruellement pour les services publics promis à longueur de discours électoraux. En Allemagne, où les comptes publics sont à l’inverse durablement au vert, la dette du système ferroviaire est absorbée dans la dette de l’Etat, ce qui règle la question une fois pour toutes. En d’autres termes, le service public ferroviaire en Allemagne est un poste de dépenses du budget de l’Etat allemand, tandis que, paradoxalement, dans la France des services publics, il fonctionne comme une entreprise à laquelle on demande d’équilibrer ses comptes. Qui plus est, dans cette Allemagne qui tant agace par son pragmatisme, une partie des services publics ferroviaires est assumée par des entreprises privées, sans que ni le service ferroviaire ni les agents privés qui les réalisent n’aient à en pâtir !

Sans doute les agents grévistes restent-ils timorés vis-à-vis du paradigme de la privatisation et de la concurrence. Celle-ci pourtant fait partie des engagements et contreparties européens. La SNCF elle-même, par le biais de ses filiales, réalise déjà plus d’un service ferroviaire en dehors du territoire de la Gaule. De surcroît, l’ouverture des marchés et la mise en concurrence sont fondamentalement stimulatrices, la Gaule n’y fait pas exception, et les agents grévistes ont tort de craindre pour eux-mêmes ou leur statut : si l’activité se développe (et elle se développera forcément en même temps que la démographie des territoires), les agents des trains, conducteurs, contrôleurs et vendeurs, auront du travail. Peu leur importe alors qu’ils portent un uniforme rouge, bleu ou vert, pourvu qu’ils en portent un. Cela, le ministre ne le rappelle pas assez. C’était, il est vrai, l’objet des réflexions de l’ex-sénateur Grignon, lequel avait le malheur d’appartenir à une majorité différente. Sans doute le ministre Cuvillier est-il embarrassé par les propos de campagne électorale présidentielle présentant l’Europe comme un très commode bouc émissaire, ainsi que par ce vieux fantasme français qui veut qu’au pays du mât de cocagne, tous les dysfonctionnements se résolvent avec cette formidable planche à billets qu’est l’Etat-Providence !

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36 Comments

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  • xrayzoulou , 16 juin 2014 @ 22 h 14 min

    En lisant tout cela, on est écœuré ! L’EDF (et je sais de quoi je parle) ne vaut pas mieux que la SNCF, ce sont des gouffres à fric (comme bidochon et sa horde de fonctionnaires), les fonctionnaires en plus de la sécurité de l’emploi (et j’assimile l’EDF et la SNCF à des fonctionnaires) ont des tas d’avantages. Normalement ils ne devraient pas avoir le droit de grève. Les militaires sont assimilés fonctionnaires (comme les gendarmes) : font-ils grève eux ? et en plus ils n’ont aucun avantage que celui de se taire et aller où on leur commande d’aller.
    Beaucoup de messages étaient très intéressants et instructifs. Merci à ce qui les ont écrit.

  • jojoduchato , 17 juin 2014 @ 9 h 20 min

    Encore une fois les fonctionnaires ne sont pas des privilégies……..Pour prendre un cas symbolique ( mais les écarts -gouffres?- sont visibles ailleurs ) GATTAZ le “patron des patrons” qui prône l’austérité auprès d’Hollande et une baisse du SMIC, c’est augmenté son salaire entre 2012 et 2013 de plus de 29% !!!!!! . Son staff dirigeant, lui , s’est accordé une augmentation “plus modeste” de seulement 21 %. La rémunération du dirigeant du MEDEF est passée de de 329 000 euros par an à plus de 426 000 euros. Ça fait un salaire mensuel qui est passé de 27400 euros à 35500 euros !!!! La chose est même dénoncé par la droite gaulliste ( voir le blog animé par Laurent PINSOLLE ). Et là on ne parle pas des rémunérations dites périphériques mais on peu estimer en fourchette (très) basse que Gattaz a touché -si on compte tout ce qui tourne autour de son salaire -au moins plus de 40 000 euro par mois en 2013 !!!!!!( mais c’est en brut !
    Sur la question des libertés Le droit de gréves est dans la constitutions . Seriez-vous pour une société de type Stalinienne où fascistes pour interdire le droit de gréve ? Sur ce blog les réactions sont hostiles au mouvement de gréve à la SNCF pensant que les agents sont motivés essentiellement par la défenses de leurs “acquis” sociaux (mais comment reprocher à quelqu’un de défendre ses droits , ses conditions de travail et rémunérations ?) . En fait la réalité est un peu plus complexe . Ce dont je peux témoigné en tant qu’ancien agent EDF c’est que si les adhésions syndicales sont motivées en premier lieu par des intérêts catégoriels, elles sont motivées aussi pour beaucoup par la défense de services publics de qualité . Il n’y a rien de contradictoire à cela car les deux points de vu son intimement liés. Un service public de qualité va de pair avec des agents bien dans leur peau c’est à dire rémunérés correctement, ayant de bonnes conditions de travail avec du personnel suffisamment nombreux pour répondre aux attentes des usagers ( et non de clients !) . Cela vaut aussi pour le privé . C’est à se point vrai que l’on assiste dans certains secteurs d’activité à une relocalisation avec des patrons qui reviennent créer de l’activité car il ont compris qu’en rémunérant mieux les gens et en profitant des aménagements du territoire (assurés par l’Etat c’est à dire nos impôts) des services publics présents et qui fonctionnent correctement, ils trouvent des conditions optimales pour mener leurs activités .
    Pour revenir sur le conflit de la Sncf ce qui est en jeu ( j’ai déjà eu l’occasion de le dire ) ce ne sont pas du tout les soit disant privilèges des cheminots qui sont en cause mais la qualité et la défense du service public qui se dégrade et ne répond pas ni aux nécessités du moments ( fermeture de gares , des lignes , suppressions des arrêts, désertions du personnel remplacé par des machines, irrégularités horaire des dessertes , prix de billets inaccessibles à certaines périodes … la liste est longue, ni aux nécéssités de mettre en œuvre d’urgence des politiques pour répondre aux grands enjeux climatiques et environnementaux . Sur le plan du développement plus global du transports collectif qui devrait être une priorité des gouvernements qui se succèdent la gabegie est encore plus installée . Le fret transporté par la SNCF est en régression au profit du transports routiers très polluants et dangereux . les réformes entreprises aggravent la situation au lieu d’y remédier . Celle concocté par les Socialistes, du fait qu’elle se situe dans le droit fil des réformes promues par l’OMC avec l’objectif de privatisation, à terme , continuera à aller dans le sens opposé à ce qui devrait être !
    Pour mieux comprendre les véritables enjeux du conflit de cheminots Français ? il faut regarder ce qui se passe en ce moment en Suède ou un conflit des cheminots se déroule .

    http://www.menara.ma/fr/2014/06/12/1213014-la-gr%C3%A8ve-des-cheminots-touchera-la-r%C3%A9gion-de-stockholm-%C3%A0-partir-du-20-juin-en-cas-d%E2%80%99%C3%A9chec-des-n%C3%A9gociations-syndicat.html

  • jojoduchato , 18 juin 2014 @ 8 h 45 min

    Appel du 18 juin 2014

    Les politiques libérales sont à l’œuvre depuis plus de 30 ans ( voir le livre de Serge Halimi du Monde Diplomatique « le grand bon en arrière » aux éditions Fayard ). Elles détruisent lentement mais sûrement tous les secteurs qui tenaient à peu prés debout depuis 1945. Chercheurs, Cheminots, intermittents du spectacle etc …après l’énergie, les communications , la Poste ( mais ce n’est pas terminé pour ces secteurs là !) tout le monde « passe à la casserole » pendant que des millions de Français sont dans la pauvreté pendant que la planète étouffe. Les gens n’en peuvent plus! Il faut inventer (ça a déjà commencé) une nouvelle société non plus fondée sur la concurrence mais sur la coopération. Fondée , non pas sur l’argent qui corrompt tout ( y compris les hommes politiques !) mais sur l’entraide, le soucis de l’autre!
    En 1945, Gaulliste et Communistes avec d’autres mouvement de pensées avaient su s’allier face au péril du Nazisme. Ils avaient mis au point un programme politique permettant de fonder un société nouvelle débarrassée de l’emprise des puissances de l’argent. Ce programme s’intitule « les jours heureux » (Éditions la Découverte) . Il était le fruit du travail de l’ensemble des mouvements de résistance regroupés grâce à l’action de Jean Moulin et du Général de Gaulle dans une instance : le conseil national de la résistance ( le CNR).
    En 1997 , Denis Kessler, alors vice-président du syndicat des grands patrons ( le Medef) déclarait dans le journal Challenge « ….Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
    Nous y sommes. Tout est défait ou presque. Il est grand temps de mettre hors d’état de nuire les Kesslers et consort avant qu’ils n’achèvent leur entreprise destructrice …….Il est temps de refonder une société nouvelle mais sur des bases saines, autres que celle du fric , du pognon , de l’argent Roi. Un société qui soit désormais protectrice, respectueuse des enfants , des femmes, des hommes, des animaux et de la nature en général . Respectueuse, enfin !!!! de l’autre ! C’est l’heure ! Les Hommes et dame Nature n’en peuvent plus.

  • dissident , 18 juin 2014 @ 20 h 19 min

    voila, le bolcho de service! si votre demagogie avait donne des résultats, on le saurait, l URSS aurait gagne la guerre froide, toutes les entreprises en France seraient etatiques et le pcf au pouvoir avec quelques idiots utiles mais votre système n a engendre partout que la MISERE et l OPRESSION, bilan 100 millions de morts, ca devrait vous clouer le bec mais non vous continuez a l ouvrir et a soutenir cette greve de nantis qui prennent en otage des personnes agees, des gamins, des travailleurs, des vrais honte a vous

  • jojoduchato , 18 juin 2014 @ 23 h 35 min

    no comment si ce n’est pour dire que le discours est éculé et resservi depuis tant d’années. Vous vous permettez de me cataloguer comme le “bolcho” de service mais que savez vous de moi ? Il aurait été plus compliqué de répondre vraiment à mes dires.

  • jojoduchato , 20 juin 2014 @ 15 h 43 min

    En gros, vive la dictature !

  • Lanfeust74 , 16 juillet 2014 @ 10 h 05 min

    Je prends le train tous les jours entre Lille et Paris. Les TGV sont en très grande majorité ce qu’ils appellent des rames “transmanche” (grosso modo, des Eurostar d’occasion, bien pourris, souvent en panne, dans un état lamentable, souvent les portes ne s’ouvrent même plus, l’affichage des voitures est souvent inexistant, les sanitaires en panne…) certainement pas luxueuse (aucun intérêt de payer un billet en première, c’est tout aussi pourri et inconfortable).
    Quant aux contrôleurs, depuis la fin de la grève, j’ai été contrôlé 1 seule fois…et le contrôleur, deux fois sur trois, ne fait même plus le passage annoncé dans la rame. Il file dans son compartiment et disparait jusqu’à la fin du voyage… pourtant cette fameuse visite, dite de sécurité, justifiait jusqu’à présent l’existence du contrôleurs à elle toute seule. Pour trouver le contrôleur… faut vraiment insister, pourtant ils sont 3 ou 4 pour une rame (qui est en fait une double rame dans les transmanche). Vu ce qui se passe, Il est donc tout à fait envisageable de ne laisser que 2 contrôleurs pour ces deux rames… et faire un pseudo contrôle (incapacité de contrôler les e-billet) à quai comme cela est déjà fait.

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