Les politiciens défendent leur bout de gras

Tribune libre de Robert Ménard*

Dans un article du 10 novembre sur Boulevard Voltaire, mon cher Dominique Jamet s’est prononcé en faveur du cumul des mandats.

L’interdire, explique-t-il, « ouvrirait la voie à trois grands maux : la déconnexion entre les élus nationaux (…) et leur enracinement local ; le détournement immanquable de cette mesure par la mise en place d’hommes et de femmes de paille qui ne seraient que des marionnettes (…) ; la multiplication des petits fiefs, des intrigues et des rivalités de clochers (…) » Et de conclure :« Ô Vertu, que de sottises on commet en ton nom ! »

Dominique Jamet est de bonne foi, je n’en doute pas un instant. Il ne brigue aucun mandat et n’est donc pas soupçonnable de plaider pour son compte. Mais il se trompe. Je passerai sur les deux derniers arguments tant ils me semblent faire fi de la réalité – le « terrain » comme disent nos politiciens. Les « petits fiefs », les« intrigues », les « rivalités », les « marionnettes » existent déjà. Ils ne sont pas un risque mais une réalité… En revanche, l’argument massue, celui que, de François Rebsamen à Brice Hortefeux, toute une partie de notre classe politique répète en boucle, mérite qu’on s’y attarde : le risque, en cas de non cumul, de « déconnexion avec le local ».

Je vous avoue ne pas comprendre : élu d’une circonscription pour un député, dans un département pour un sénateur, vous n’en seriez pas moins déconnecté d’un territoire ! Qui veut nous faire croire pareilles balivernes ! Les élus eux-mêmes, bien sûr, qui ne courent après aucun « lien » mais gèrent un ego, des avantages et, disons-le, une carrière.

Est-ce le provincial que je suis resté mais je ne crois pas un mot de ces plaidoyers pro domo. Dans nos villes et villages, ce qui se construit autour de nos notables n’est rien d’autre que des baronnies, plus ou moins grandes. Des féodaux qui monnaient, le jour venu, leur « implantation »et les électeurs qui vont avec, contre un maroquin.

Et puis, qui peut nous faire croire qu’il est possible, le temps étant ce qu’il est et les lois de la biologie ce qu’elles sont, de légiférer à Paris et d’exercer, en même temps et sérieusement, son mandat de maire, de président de Conseil général ou régional ? Nous n’avons malheureusement pas à faire qu’à des surdoués, des petits génies capable de maîtriser tous les dossiers, de siéger, tout à la fois, à l’hôtel de ville, à la présidence de l’hôpital local, de l’office de HML, de sociétés d’économies mixtes, de syndicats inter quelque chose, de l’agglo ou de la communauté de communes… et j’en passe.

À les entendre, ils sont débordés, fatigués mais toujours prêts à se sacrifier. On ne leur en demande pas tant. Qu’ils laissent la place, c’est tout. Mais non, ils sont irremplaçables. Les seuls susceptibles de défendre nos intérêts. Pas les leurs, bien sûr. Pas leurs indemnités, leurs retraites, leur train de vie, leurs « éléments de confort » comme disent certains…

Encore une remarque. Citez-moi une démocratie qui tolère pareille anomalie. Mais, comme chacun sait, nos élus, en France, sont exceptionnels. À l’écoute du peuple. Pas coupé pour deux sous des réalités. Bénéficiant de la confiance des citoyens. Aimés d’eux. Admirés par eux. C’est bien pour cela qu’ils veulent être partout, squatter toutes places, cumuler tous les postes. Pour une fois, élus de droite et de gauche au coude à coude. C’est tout à fait admirable. Dominique Jamet a raison. Je suis décidément un bien mauvais coucheur.

*Robert Ménard est journaliste et fondateur de l’association Reporters sans frontières. Il vient de lancer le portail Boulevard Voltaire.

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6 Comments

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  • marie-france , 15 novembre 2012 @ 11 h 55 min

    100/100 pour cent d’accord avec Mr. Ménard ,j’irai plus loin que Jospin les maires au bout de dux mandats devraient laisser leur place,c’est honteux ils sont comme les rois des décennies!!!houste la place aux autres!!

  • Paul-Emic , 15 novembre 2012 @ 12 h 31 min

    Au moins aussi utiles que l’interdiction du cumul me paraissent être :

    + la réduction de la durée de la législature : Aux USA les Représentants sont élus pour deux ans et les Sénateurs pour quatre ans contre 5 et 9 en France.

    + La réduction de la durée de la vie politique que l’on pourrait limiter à une vingtaine d’années de mandats successifs (soient 4 législatures en l’état actuel) avec une limite d’âge .

    Vu l’état actuel du pays on peut penser qu’il n’en serait pas moins bien gouverné

  • sergeG , 16 novembre 2012 @ 8 h 27 min

    J’ai été élu régional durant une mandature. A ce simple poste, je travaillais d’arrache pied pour essayer de maîtriser les dossiers soumis à débat. Je ne vois pas comment j’aurais pu assumer un mandat de député ou de sénateur en plus.

  • Elsaesser , 16 novembre 2012 @ 9 h 24 min

    Que déjà tous les politiciens qui en font partie démissionne de la fonction publique avant de se lancer en politique, ça fera déjà un premier tri.
    Que l’on passe ensuite, comme pour les autres secteurs, du bas vers le haut, sans griller les étapes en se faisant parachuter dans une circonscription, ça permettra de connaitre les difficultés du terrain et permettra une meilleure maîtrise des dossier plus tard.
    Et enfin, si quand bien même ils estiment être en mesure de gérer plusieurs postes, laissons les essayer, mais avec une seule rémunération, de préférence celle afférente au poste le plus élevé pour lequel ils ont été élus par le peuple.

    Nous verrons bien alors jusqu’où va leur “dévouement”.

  • sainte lance , 16 novembre 2012 @ 15 h 19 min

    Effectivement, commençons par le non cumul des “rémunérations” et le maintien (partiel) d’une activité hors mandat permettant de conserver un contact avec les réalités des citoyens.

  • Moundy , 18 novembre 2012 @ 10 h 08 min

    Cumuler les mandats oui mais pas les salaires….et les grosses retraite ….

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