La convergence des catholiques

Il y a quelques mois, le blogueur Léonidas Durandal a publié une tribune dans laquelle il dénonce en les renvoyant dos à dos catholiques progressistes et traditionalistes, coupables selon lui d’être par leur dualité même les deux faces d’un même mouvement de féminisation de l’Église. Ce raisonnement peut être validé et approfondi par un certain nombre d’éléments théologiques et spirituels. Néanmoins, certaines évolutions ayant affecté ces dernières années différentes composantes du monde catholique français semblent montrer que ce mouvement n’est pas irréversible.

Les trois centres d’intelligence

« Pouvait-on rien dire de plus profond que ce qui fut dit au Christ dans les trois tentations repoussées au désert ? S’il y eut jamais un miracle authentique, ce fut le jour où ces trois questions furent posées », disait Dostoïevski, cité par le philosophe Fabrice Hadjadj dans son livre La foi des démons. S’appuyant sur les trois tentations du Christ au désert rapportées dans l’Évangile selon Saint Matthieu (4, 1-11), à savoir : le pain, l’abandon aux anges et les royaumes terrestres, Hadjadj identifie trois aspects essentiels de la vie chrétienne : amour des pauvres, abandon à la providence, annonce de la bonne nouvelle. Chacun de ces aspects pris à l’exclusion des autres peut déboucher sur une déviance potentielle correspondant à chacune des trois tentations, à savoir respectivement : humanitarisme, providentialisme et activisme. Schématiquement, la première correspond à la chair sans l’Esprit, la seconde à l’Esprit sans la chair, la troisième à la chair et l’Esprit démonétisés.

La figure ésotérique de l’ennéagramme, présente au sein de plusieurs civilisations, est utilisée notamment en psychologie par la classification exhaustive des individus en neuf types de personnalités. Développé dans une perspective chrétienne par Richard Rohr et Andreas Ebert dans leur livre Les 9 visages de l’âme, ce modèle distingue trois centres d’intelligence : émotionnel, mental et instinctif. Le centre privilégié par un individu ou une communauté dans son mode de fonctionnement conditionne sa manière d’être au monde.

Pour caractériser les diverses tendances au sein de l’Église, Durandal reprend la distinction courante entre traditionalistes et progressistes. Or, comme le montre le politologue Gaël Brustier dans son livre Le Mai 68 conservateur, l’essentiel de ces derniers se sont rapprochés du Renouveau charismatique lors de l’effondrement du catholicisme de gauche au cours des années 80. Enfin, un mouvement notable amorcé lors du mouvement de 2013 d’opposition à la loi Taubira aura été l’évolution de la mouvance identitaire vers le catholicisme. Charismatique, traditionaliste et identitaire : ces différentes facettes du catholicisme peuvent dans une large mesure être identifiées aux typologies définies précédemment.

Les charismatiques : émotion et humanitaire

Apparu en France au cours des années 70, le mouvement du Renouveau charismatique se caractérise par un rapport plus individualisé à la foi, mettant davantage l’accent sur l’émotion et l’expérience individuelle. La plus à l’image de la société, donc la plus en prise sur elle, cette tendance du catholicisme drainera pendant plusieurs décennies l’essentiel des nouveaux pratiquants du monde catholique, dont les jeunes, en particulier à travers les Journées Mondiales de la Jeunesse. Les catholiques charismatiques, porteurs d’une culture du volontariat et sensibilisés aux questions sociétales, auront constitués les gros bataillons du mouvement de la Manif Pour Tous.

Par ailleurs, comme le montre Gaël Brustier, les catholiques charismatiques, plutôt progressistes à l’origine, se sont rapprochés à partir des années 2000 de la tendance traditionaliste, en matière liturgique notamment, accouchant de cet esprit dit «tradismatique» caractéristique de LMPT. Les catholiques issus de cette tendance auront pu également à l’occasion des manifestations développer une culture de l’engagement politique adaptée à leur philosophie, dont le mouvement des Veilleurs constitue l’une des meilleures illustrations. D’une manière générale, le mouvement contre la loi Taubira aura été pour cette tendance du catholicisme l’occasion de rompre avec le tropisme purement humanitaire qui pouvait être le sien, en renouant avec les racines spirituelles du catholicisme et en développant une culture de l’action.

Les traditionalistes : tradition et providence

Désignant les mouvements catholiques critiques à l’égard du Concile Vatican II, cette tendance du catholicisme longtemps marginale a connu une normalisation de ses relations avec l’Église suite au motu proprio Summorum Pontificum de 2007, normalisant la célébration de la messe selon le rite extraordinaire. Gardienne du temple, mettant l’accent sur la pureté liturgique, cette mouvance tire sa force de sa profondeur doctrinale, dépositaire de rites dont les catholiques modernistes ont pour beaucoup perdu le sens spirituel.

Bien que faiblement représentée au sein de la structure LMPT, la mouvance traditionaliste aura été très présente dans les mouvements satellites, notamment via l’institut Civitas dont les membres sont rompus à l’agit-prop, mais pas seulement. Parmi les 67 membres du mouvement Camping pour tous ayant inauguré les gardes à vue au printemps 2013, une quinzaine étaient issus de la paroisse Saint-Eugène, principale Église traditionaliste de Paris avec Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Le mouvement contre la loi Taubira aura permis aux catholiques traditionalistes de rompre avec un certain attentisme les amenant parfois à se comporter en village gaulois assiégé, investissant à cette occasion la persévérance que procure la fidélité dans un engagement public direct. Le nombre record, en 2014, de 69 personnes recevant le sacrement de confirmation à l’église Saint Eugène, et plus généralement le fait qu’aujourd’hui un tiers des prêtres ordonnés en France soient issus de la mouvance traditionaliste, permet de mesurer son dynamisme et son regain en influence au sein de l’Église.

Les identitaires : force et activisme

Apparu au début des années 2000, le mouvement identitaire s’inspire à l’origine des travaux du Groupement de Recherche et d’Études sur la Civilisation Européenne, promouvant un programme de défense globale de l’identité du niveau local au niveau civilisationnel. Caractérisé par une culture de l’activisme de terrain et de l’action médiatique, ce mouvement avait été rejoint depuis sa fondation par de nombreux jeunes issus des milieux catholiques, souvent par rejet de la pusillanimité d’un univers autant apte à se faire aimer qu’incapable de se faire respecter.

Comme noté dans le livre de Gael Brustier au chapitre « Les Identitaires : du Marteau de Thor au crucifix », l’évolution du mouvement identitaire à l’occasion des Manifs pour Tous constitue l’un des éléments politiques principaux du printemps 2013, et le plus important au vu de sa signification spirituelle profonde. Comme vu précédemment, la culture païenne met l’accent sur la virilité matérielle, tandis que le christianisme invoque la virilité spirituelle. A contrario de la tendance à l’abandon précédemment évoquée, le retour massif vers le catholicisme d’individus pour qui le combat constitue un état d’esprit est le signe que celui-ci devient à leurs yeux digne de respect. Cette évolution leur permet en retour d’inscrire leur action identitaire dans une perspective spirituelle en tournant le dos à un certain folklorisme stérile, tout en poussant une certaine frange du monde catholique à une remise en cause salutaire.

Conclusion : la revirilisation du catholicisme

« Le diable est toujours double, ces deux ennemis apparents que sont l’hypercriticisme et le fondamentalisme sont ses deux jumeaux mimétiques », rappelle le philosophe Fabrice Hadjadj dans son livre La foi des démons. La division du monde catholique, appelé à choisir entre s’identifier au monde, se couper du monde, ou sortir du catholicisme pour agir sur le monde, est effectivement un symptôme d’impuissance comme le note Durandal, analyse qu’il est une fois encore le seul à faire.

Néanmoins, un effet spirituel du mouvement de 2013 aura été d’amorcer une fusion des différentes composantes du monde catholique, retrouvant dans le combat la force d’assumer un début d’unité que seule une fierté commune peut permettre. Richard Rohr et Andreas Ebert postulant dans leur livre une analogie entre la dynamique de l’ennéagramme et celle du Pater, le processus « d’intégration » engagé par les différentes composantes du monde catholique est autant un signe de leur retour au monde que de leur retour au Christ.

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23 Comments

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  • guigui , 15 décembre 2014 @ 10 h 58 min

    Village gaulois pour les cathos tradis? Et qui s’est retrouvé en garde-à-vue pour avoir protesté contre les théâtres blasphématoires en 2011? Ce n’était pas les charismatiques mais bien des tradis pour la plupart.
    Alors les donneurs de leçon assis dans leur salon peuvent se la boucler une fois pour toute!!!

  • PG , 15 décembre 2014 @ 11 h 14 min

    On peut noter avec amusement que les catholiques du FN n’existent pas dans cette analyse : or ils contribuent à ”gérer ” simplement 30 % de l’électorat français……dont de nombreux électeurs catholiques qui savent que l’abrogation de la loi TAUBIRA ne se trouve qu’au FN.
    Avec de telles analyses bidonnées, M. de Morcourt ne va pas très loin.
    Et faire des Identitaires une composante du mouvement catholique, c’est réellement se fourvoyer : le catholicisme défend les nations et leurs cultures (Jean-Paul II) , et les Identitaires rejettent l’idée de nation. De plus leur ancrage païen ne s’est pas démenti, et il suffit d’écouter leurs groupes musicaux.
    Mais derrière cette analyse se profile la stratégie anti FN que certains mercenaires catholiques de l’UMP sont chargés de mettre en oeuvre : faire croire aux catholiques que tout le catholicisme est étranger au FN, y compris les identitaires néo païens à 80 %, et créer une grande coalition catholique UMP y compris les identitaires néo païens à 80 %,qui apportera sa caution à SARKOZY ”sens communisé”.
    L’insistance répétitive à utiliser le livre filandreux de BRUSTIE (qui devient le marqueur de toutes ces justifications à venir) tente de faire croire que le catholicisme français est unanime et actif alors que la MPT a démontré son incapacité à avoir une stratégie de rupture avec le système. De plus elle a transposé au sein du mouvement anti TAUBIRA les ostracismes du politiquement correct en éliminant le FN et les catholiques traditionnalistes, ainsi que les évêques jugés trop conservateurs au sein de la Conférence épiscopale : alignée UMP et Vingt-Trois, l’évêque décoré de la Légion d’honneur par N. SARKOZY, celui qui avait dit : “Nous sommes tous des Simone VEIL”.
    Il faut donc lancer un buzz : nous catholiques nous avons une unité sur le plan poltique et la voie se situe à l’UMP, et passe par SARKOZY relloké conservateur des valeurs, comme l’avait fait croire Famille Chrétienne et Liberté Politique en 2005.
    A rêve bourgeois de reconnaissance il faut illusion de l’être.

  • Tite , 15 décembre 2014 @ 12 h 09 min

    “Bien que faiblement représentée au sein de la structure LMPT, la mouvance traditionaliste”….

    ….. écartée “manu militari” et reléguée au bout du bout du cortège….

    Surtout, ne pas mélanger les torchons et les serviettes !

    Malgré tout, comme le disait Staline, ironiquement et avec mépris :
    “Le Pape ! Combien de divisions ?” et, finalement dans cette bataille, c’est bien Dieu et son église qui ont eu le dernier mot…

  • rebecca , 15 décembre 2014 @ 12 h 25 min

    Je ne réponds plus depuis longtemps à Leonidas qui est une des plus belles illustrations du proverbe : les idées sont comme les clous, plus on tape dessus et plus on les enfonce.
    Chez lui virilité versus féminité est le point focal de toute vérité, toute politique et même toute foi. Ce manichéisme est à peu près l’équivalent de force versus faiblesse, et plutôt que revenir à ce que le XIX s. abritait sous “sexe imbécile” (aux deux sens du mot…), je conseille la lecture roborative de ce que Claudel écrivit sur l’animus et l’anima.
    Mais il a visiblement fait des émules…. Quand donc arrêtera-t-on d’utiliser ces critères débiles pour parler de la religion de nos contemporains ? Dieu nous créa homme et femme et cela ne voulait pas dire un être intelligent pour guider sur les routes de la vie et de la foi un être sans intelligence, tout instinct, tout sentiment. N’y ont jamais cru que les plus bornés des inquisiteurs. Le catholicisme est dans l’état où il est aujourd’hui pour bien d’autres raisons, un peu plus profondes et malheureusement plus fondamentales. Le sociétal a beaucoup plus trempé ses lignes dans le flux marxiste par exemple, que dans la “bisounoursie” propre à ces dames compassionnelles (Charlotte/Carla Marx ??). En outre brandir le “féminisme” comme LE danger qui viserait et les clercs et les pauvres mâles à l’heure de l’esclavage sexuel féminin devenu banalité, de l’avortement préférentiel selon le sexe et de couveuse utérine pour couple masculin en veine de tendresse puérile me paraît avoir quelque chose d’indécent.

    PS à PG
    N’a-t-il pas dit
    “Nous sommes tous des Simone Weil ?

  • PG , 15 décembre 2014 @ 13 h 00 min

    @rebecca
    N. SARKOZy a prononcé ces mots le jour de la réception de la petite Veil (par rapport à la grande Simone Veil, la philosophe amie de G. THIBON) : “Nous sommes tous Simone VEIL” ou ”des Simone Veil” : à rechercher.
    mais le sens est le même et il n’a pas empêché les bons cathos gogos de voter pour lui.
    L’article de ce MORCOURT est de la même veine implicite :puisque les cathos sont unis sans le FN, il ne reste que L’UMP et Sarkozy.

  • Goupille , 15 décembre 2014 @ 14 h 33 min

    Ah bon ? Il y aurait un contenu politicien dans ce papier qui semble plus être un appel à un front commun d’action, sous le regard de Celui qui fait notre unité.
    Il est vrai que l’absence de la moindre allusion au Printemps pour tous, vivier des gardés à vue du Camping pour tous, va dans le sens de vos soupçons.

    Enfin, tant que Civitas est nommé…

    Il faut dire que j’ai lu vite, que j’ai faim, et que je plie les gaules.
    Ciao.

  • kanjo , 15 décembre 2014 @ 15 h 02 min

    @rebecca
    ne pas confondre le féministe et la féminité !
    Le féminisme est une guerre sans merci pour transformer certaines femmes en hommes-qui-commandent, les autres femmes en esclaves et les hommes en mauviettes.
    Cela n’a rien à voir avec la féminité qui est l’art d’être une femme sans écraser les hommes ni être écrasée par eux.

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