Oui, je suis antisioniste. Non, je ne suis pas antisémite.

Lettre ouverte au Premier Ministre, par Philippe Simonnot [1]

Monsieur le Premier Ministre,

Au cours du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le lundi 7 mars 1976, vous avez déclaré : «  il y a l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël ».

Avec tout le respect que je dois aux hautes fonctions que  vous exercez dans la République française, je ne peux que déplorer le simplisme et l’inculture que dévoilent de tels propos, ainsi que  leur dangerosité dans le climat délétère qui accable notre pays.

Assurément, beaucoup d’antisémites aujourd’hui se sont recyclés dans l’antisionisme. C’est l’un des effets pervers de la criminalisation légale de la détestation des juifs, et notamment de la « loi Gayssot ». Comme le torrent  au courant duquel un barrage tente de faire obstacle, interdire légalement une haine conduit  cette haine à prendre d’autres chemins. On ne change pas les passions humaines par décret, Monsieur le Premier Ministre, et vos paroles  ne sont pas faites pour apaiser les esprits. Elles n’arracheront même pas les masques que portent les mauvais bergers de notre peuple, qui se régalent déjà de votre discours.

Et s’il est un lieu où vous ne déviez  pas vous livrer à cette improvisation malheureuse, c’est bien devant le CRIF. Je vous mets au défi de prononcer  le même discours devant des instances musulmanes.

En même temps, ce qui est encore plus grave, vous avez insulté tous les juifs qui s’opposent au sionisme. Opposition qui ne date pas des exactions commises dans les territoires occupés par le gouvernement de votre homologue israélien, Benjamin Netanyahou, dont vous vous faîtes d’une certaine manière le porte-parole en France. Des juifs de renom s’opposent  au sionisme depuis des décennies. En voici quelques exemples, qui montrent qu’avant même  la création de l’Etat d’Israël, le ver était dans le fruit  :

Freud : pas l’ombre d’une sympathie pour cette piété fourvoyée

En 1930, Freud écrivait à son ami Einstein :  « Je ne peux trouver en moi l’ombre d’une sympathie pour cette piété fourvoyée qui fabrique une religion nationale à partir du mur d’Hérode, et pour l’amour de ces quelques pierres, ne craint pas de heurter le sentiment des populations indigènes » (lettre du 26 février)

En 1919, en marge de la Conférence de paix de Versailles, au moment où est discuté le sort de la Palestine, Sylvain Lévi, qui siège dans la commission des affaires palestiniennes, souligne les problèmes inévitables que susciterait l’établissement d’une entité juive : la Palestine est un pays exigu habité par plus de 600 000 Arabes, elle ne pourrait recevoir tous les émigrés juifs européens qui désireraient y vivre sans que les premiers ne fussent dépossédés par les nouveaux venus. De plus, expliquait-il, l’existence d’une telle entité introduirait partout dans le monde juif le principe dangereux de la double allégeance.

Je citais dans ces colonnes, il y a peu, le combat courageux de Martin Buber [2].  Cette « sentinelle de l’humanité », comme le qualifie  son biographe, Domnique Bourel [3], a eu le pressentiment en 1927 que l’œuvre des colons juifs en Palestine était « funeste », reprenant, consciemment ou non, un qualificatif appliqué aux juifs par Nietzsche lui-même [4].

« Les antisémites sont d’accord avec les sionistes »

Remontons encore le temps, jusqu’à 1917, l’année de la « Déclaration Balfour » (2 novembre), selon laquelle  « le Gouvernement de Sa Majesté [britannique] envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif ». Dans une lettre publiée par The Times, le 17 mai 1917, le président du Jewish Board of Deputies, Alexander, et le président de l’ Anglo-Jewis Association, Claude Montefiore, tous deux hommes d’influence et de grande fortune, écrivent qu’ils ne peuvent soutenir le schéma politique du sionisme, car les juifs, à leurs yeux, forment une communauté religieuse. Par conséquent  ils s’opposent à la création d’ « une nationalité séculière juive qui se fonderait sur un vague et obscur principe de race et de particularité ethnologique.»

Claude Montefiore, petit neveu du grand Moses Montefiore,  remet le couvert dans son opuscule intitulé  Les dangers du sionisme : « Nous savons que les sionistes s’obstinent à affirmer que les juifs, même hors de Palestine, possèdent une nationalité propre. Et nous savons à quel point les antisémites sont d’accord avec les sionistes. »     Autre figure marquante chez les juifs du Royaume-Uni de cette époque, Lucien Wolf campe sur la même position.

Toutefois,  l’opposant juif  le plus farouche au projet de déclaration Balfour est lui aussi un grand nom de l’aristocratie juive : Edwin Montagu. Le fils cadet du puissant  banquier Samuel Montagu  voit avec horreur « les sionistes travailler à un édifice  [l’Etat juif en Palestine] qu’il considérait comme un ghetto géant pour tous les juifs du monde ». Seul ministre juif dans le gouvernement Lloyd George où il est secrétaire d’Etat à l’Inde, il est invité à participer aux délibérations du Cabinet de guerre lorsque la question de la Palestine y est évoquée. Jusqu’au bout il s’opposera au projet de déclaration, y voyant une manifestation d’antisémitisme. Il exprime sa position dans un mémoire intitulé tout simplement The antisemitism of the present gouvernement . Lors des séances du Cabinet  du 3 septembre et du 4 septembre, il s’exclame : « Si vous faites cette déclaration, chaque organisation, chaque journal antisémite, demandera de quel droit  un juif anglais, avec le statut, au mieux, d’étranger, a de prendre part au gouvernement de l’Empire britannique. » Et encore : « Comment puis-je négocier  avec le peuple de l’Inde au nom du Gouvernement de Sa Majesté, si le Gouvernement de Sa Majesté décide que mon foyer national est en territoire turc ? » Il redoutait aussi de possibles  effets  de la déclaration sur les musulmans indiens. C’est pendant son absence de Londres que la déclaration est adoptée. En Inde, où il apprend la nouvelle, il s’exclame : « Notre gouvernement a porté un coup irréparable aux juifs anglais. Il s’efforce d’établir un peuple qui n’existe pas ».

Les juifs mis en danger par le sionisme

On peut remonter plus avant dans le temps pour trouver trace des inquiétudes que suscitait le sionisme parmi les juifs. Par exemple,l’Alliance Israélite Universelle, dès le lendemain du premier Congrès sioniste à Bâle (29-31 août 1897),  lançait cet avertissement prémonitoire : l’idée de la reconstitution d’un Etat juif au cœur du monde arabe, non seulement « met en danger les communautés juives vivant en terre d’islam, mais constitue une régression et un retour en arrière vers les temps où les juifs vivaient coupés de leurs voisins et formaient “une race”»..  Rappelons que le premier congrès sioniste s’est tenu à Bâle en 1897 parce que la communauté juive allemande n’en voulait pas à Munich, où il avait d’abord été programmé. Aux yeux d’un Ludig Geiger, rédacteur en chef de la Allgemeine Zeitung des Judentums, il était impossible pour des juifs allemands de participer au mouvement sioniste, car ils ne reconnaissaient qu’un seul peuple, le Volk  germanique.

La communauté juive française était particulièrement lucide sur les risques d’un retour à Sion. « Herzl a oublié de nous dire, demande le journal parisien L’Univers israélite,  le 29 janvier 1897, ce qu’il comptait faire de la population arabe de la Palestine : devra-t-elle se retirer devant le flot des nouveaux arrivants et émigrer à son tour vers quelque terre inconnue? Sera-t-elle, au contraire, autorisée à demeurer dans ses pénates, et quelle sera, dans ce cas, sa situation ? La considérera-t-on comme étrangère au pays où elle est née ? Mais alors vous la dépouillerez de sa nationalité et vous la condamnerez elle-même à l’intolérable sort dont vous voulez délivrer les juifs de certains pays d’Europe. »

Je pourrai multiplier les références et je me tiens à votre disposition pour vous les fournir, Monsieur le Premier Ministre, espérant que vous comprendrez  que je puisse être antisioniste sans être pour autant antisémite.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, etc.

Notes :

[1] Auteur de Mémoire adressé à Monsieur le Premier Ministre sur la guerre, l’économie et les autres passions humaines qu’il s’agit de gouverner (Seuil), .Juifs et Allemands. Préhistoire d’un génocide (Presses Universitaires de France), Enquête sur l’antisémitisme musulman (Michalon).

[2] NDF, 6 mars 2016

[3] Bourel Dominique, Martin Buber, Sentinelle de l’humanité, Albin Michel, 680 p

[4] Nietzsche Frédéric, L’Antéchrist, § 24

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54 Comments

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  • wojtek , 17 mars 2016 @ 9 h 07 min

    On comprend bien vos arguments, mais pourquoi cette prise de position sur ce conflit territorial en particulier ? alors qu’il en existe des dizaines d’autres, et qui plus est, bien plus dramatiques, avec des populations qui ne touchent pas des milliards de l’ UE.
    D’autre part, on ferait bien, en France, de s’inspirer du fonctionnement d’Israël, au lieu de faire open bar et d’œuvrer à notre disparition.

  • Jeanne E , 17 mars 2016 @ 9 h 18 min

    Excellents rappels de Philippe Simonnot !

    @ Francesco
    “je m’étonne du refus de certains Chrétiens de reconnaître la parenté charnelle et spirituelle entre l’Eglise et le peuple d’Israël (« Alliance irrévocable », cf. Benoît XVI et Rm 9-11), ”

    Eh bien, moi, c’est cette affirmation qui m’étonne, sauf le respect que je dois à B XVI et à St Paul.
    Car quand je lis
    Lévitique 25 44
    “25.44
    C’est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave et ta servante qui t’appartiendront, c’est d’elles que vous achèterez l’esclave et la servante.
    25.45
    Vous pourrez aussi en acheter des enfants des étrangers qui demeureront chez toi, et de leurs familles qu’ils engendreront dans votre pays; et ils seront votre propriété.
    25.46
    Vous les laisserez en héritage à vos enfants après vous, comme une propriété; vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à l’égard de vos frères, les enfants d’Israël, aucun de vous ne dominera avec dureté sur son frère.” (trad Segond)

    ou bien
    Deutéronome 23 20
    “23.19
    Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt.
    23.20
    Tu pourras tirer un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras point de ton frère, afin que l’Éternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession.”

    ou Deutéronome
    “7.1
    Lorsque l’Éternel, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu’il chassera devant toi beaucoup de nations, les Héthiens, les Guirgasiens, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi;
    7.2
    lorsque l’Éternel, ton Dieu, te les aura livrées et que tu les auras battues, tu les dévoueras par interdit, tu ne traiteras point d’alliance avec elles, et tu ne leur feras point grâce.
    7.3
    Tu ne contracteras point de mariage avec ces peuples, tu ne donneras point tes filles à leurs fils, et tu ne prendras point leurs filles pour tes fils;”

    et de nombreux autres passages, comme Isaïe 60,
    Isaïe 49, 23
    “Des rois seront tes nourriciers, et leurs princesses tes nourrices; Ils se prosterneront devant toi la face contre terre, Et ils lécheront la poussière de tes pieds, Et tu sauras que je suis l’Eternel, Et que ceux qui espèrent en moi ne seront point confus.”

    etc, etc…

    donc, quand je lis ces affirmations de l’AT, je me demande où est la continuité de ce discours raciste, totalitaire, esclavagiste, avec le Nouveau Testament.

  • Geneviève , 17 mars 2016 @ 9 h 19 min

    Personne ne réclame la destruction d’Israel, ô maître du pilpoul ! Beaucoup réclament simplement un état comme les autres avec des frontières fixées et qui respecte les résolutions de l’ONU, un état binational, c’est à dire non racialiste et dont la diaspora ne se permet pas de dicter par l’intermédiaire de pseudo -institutions communautaires la politique de la France livrée à l’inculture et l’arrogance de son personnel polltique stipendié.
    Merci à Philippe Simonnot de sa courageuse mise au point.

  • parole , 17 mars 2016 @ 9 h 22 min

    Quelle folie, ces raisons à bon marché …..mais c’est bien sur …..mais oui , il faut éradiquer Dieu , le vrai, de la terre….. les judéo-chrétiens il faut tous les éliminer …..vous n’avez rien inventé c’est écrit dans l’Apocalypse chapitre 11 .3 à 13

    3 Je donnerai à mes deux témoins le pouvoir de prophétiser, revêtus de sacs, pendant mille deux cent soixante jours. 4 Ce sont les deux oliviers et les deux chandeliers qui se tiennent devant le Seigneur de la terre. 5 Si quelqu’un veut leur faire du mal, du feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis; et si quelqu’un veut leur faire du mal, il faut qu’il soit tué de cette manière. 6 Ils ont le pouvoir de fermer le ciel, afin qu’il ne tombe point de pluie pendant les jours de leur prophétie; et ils ont le pouvoir de changer les eaux en sang, et de frapper la terre de toute espèce de plaie, chaque fois qu’ils le voudront.
    7 Quand ils auront achevé leur témoignage, la bête qui monte de l’abîme leur fera la guerre, les vaincra, et les tuera. 8 Et leurs cadavres seront sur la place de la grande ville, qui est appelée, dans un sens spirituel, Sodome et Egypte, là même où leur Seigneur a été crucifié. 9 Des hommes d’entre les peuples, les tribus, les langues, et les nations, verront leurs cadavres pendant trois jours et demi, et ils ne permettront pas que leurs cadavres soient mis dans un sépulcre. 10 Et à cause d’eux les habitants de la terre se réjouiront et seront dans l’allégresse, et ils s’enverront des présents les uns aux autres, parce que ces deux prophètes ont tourmenté les habitants de la terre.
    11 Après les trois jours et demi, un esprit de vie, venant de Dieu, entra en eux, et ils se tinrent sur leurs pieds; et une grande crainte s’empara de ceux qui les voyaient. 12 Et ils entendirent du ciel une voix qui leur disait : Montez ici ! Et ils montèrent au ciel dans la nuée; et leurs ennemis les virent. 13 A cette heure-là, il y eut un grand tremblement de terre, et la dixième partie de la ville, tomba; sept mille hommes furent tués dans ce tremblement de terre, et les autres furent effrayés et donnèrent gloire au Dieu du ciel.

    Vous préférez le califat la bête et son faux prophète …et bien allez , goûtez donc et jouissez de la splendeur de la bête …………bande de je ne dis pas ce que j’en pense :(

  • Geneviève , 17 mars 2016 @ 9 h 55 min

    Non pas judéo mais héllenochrétiens, svp monsieur le conteur de salades….

  • Gérard Brazon , 17 mars 2016 @ 9 h 58 min

    Ce qui est étonnant dans l’article et les commentaires est d’oublier les raisons de l’exode des juifs. Ils ne sont pas parti tout seul comme des vacanciers goûter les plaisirs d’ailleurs. Ils ont été “évacué”. De même le discours “religieux”sur le peuple condamné à errer par Dieu.
    Qu’y avait-il avant Israël et qu’est devenu ce territoire aujourd’hui capable de rivaliser avec les plus grands pays industriels. Il suffit de voir l’état des pays voisin pour comprendre.
    Pourquoi, concernant la destruction des lieux chrétiens, oublier de signaler la part qu’à prise l’islam. Cette religion conquérante est une malédiction pour les habitants de cette region. Faire le procès d’Israël sans faire le procès de la Rome antique est idiot. C’est comme faire le procès des croisades en oubliant que Jerusalem etait une terre chrétienne occupée faire par les envahisseurs islamistes.Je considére qu’en effet, l’antisociale est le masque derrière lequel se cache l’antisemite. Certes, il y a des juifs ordodoxes qui sont des “errants”de base et participe d’ailleurs en Iran à la haine d’Israël. Comme il y avait des collabos de gauche et de droite qui étaient des nazis. Cela change quoi au présent? Israël est le seul pays démocratique qui a réussi au moyen-orient. Le seul pays dans un océan d’obscurantisme islamiste. Même la France est incapable de promouvoir un système électoral du niveau de celui d’Israël. Un ancien Président de la République israélienne est en prison pour bien moins qu’un ancien Président de la République française qui siège à la cour constitutionnelle aujourd’hui.
    Bien à vous.
    Gérard Brazon

  • aixois , 17 mars 2016 @ 10 h 15 min

    La confusion des mots est permanente. On confond facilement Arabes et musulmans comme on confond Sémites et juifs. Je peux être islamophobe sans être arabophobe.

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