Élections : Le plus grand choc fiscal de l’après-guerre

Tribune libre de Gilles Dryancour*

Un éditorial paru le 31 mars dernier dans le magazine The Economist, « La France dans le déni », a connu un certain écho dans nos médias. Il est vrai que celui-ci prononce un jugement sans appel sur la campagne présidentielle : « En ignorant les problèmes économiques de leur pays, les politiciens français rendent plus difficile leur traitement » (1).

L’éditorial de The Economist part du principe que la crise de la dette publique en Europe contraint les États surendettés à des réformes structurelles profondes. Son auteur cite, par exemple, le plan “sauver l’Italie” de Mario Monti, la réforme courageuse du marché du travail entreprise par le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy et la prise de conscience brutale, par les Grecs, que l’augmentation continue des dépenses publiques, sans impôts supplémentaires, relève de l’utopie.

Dans cette vague de réformes, sur fond d’austérité, le discours de la classe politique française apparaît comme une exception. Selon The Economist, chaque candidat à l’élection présidentielle ferait autant de promesses de dépenser plus que de dépenser moins. Chacun d’entre eux se préparerait aussi à imposer davantage les contribuables.

Cet aspect du consensus politique français est sans doute, le plus inquiétant d’entre tous. Il annonce la croissance d’un État déjà hypertrophié, une nouvelle régression des libertés économiques, la stagnation du PIB et le maintien de millions de Français dans le chômage et la précarité.

A ce propos, nous n’entrerons pas dans le piège dialectique de savoir si tel ou tel impôt serait justifié par la réduction des déficits publics, le remboursement de la dette ou la redistribution des revenus. Pour nous, il est un fait acquis que la France a, depuis plus de trente ans, dépassé le seuil à partir duquel l’excès d’impôts tue la croissance. Le véritable défi auquel la société française doit faire face est la diminution des dépenses publiques. En effet, en 2011, elles ont atteint un record historique absolu à 56% du PIB.

Face à de telles perspectives, nous nous proposons d’évaluer les propositions fiscales des principaux candidats à l’élection présidentielle et d’en comprendre les implications pratiques pour les contribuables et notre économie.

Par souci de méthode, nous présenterons un résumé des programmes fiscaux selon un classement décroissant en termes de hausses d’impôts, telles qu’elles ont été officiellement annoncées. Cela ne signifie nullement que cet ordre serait respecté si chaque programme était mis en application. Car, dans le domaine fiscal, plus que dans tout autre, les promesses des candidats n’engagent que les électeurs.

Maillot Jaune : Jean-Luc Mélenchon

Sans surprise, le candidat vainqueur de la course effrénée aux impôts est Jean-Luc Mélenchon. Selon les experts du Front de Gauche, les hausses nécessaires à la réalisation du programme de leur parti s’élèveraient à 160 milliards d’euros. Ce coût est faramineux. Il représenterait une augmentation des prélèvements obligatoires de 8 points de PIB et de 6200 euros pour chacun des 26 millions de personnes employées ou actives en France (2).
Lorsqu’on sait que le revenu moyen net après impôt est, en France, de 2 100 euros par mois, il faudrait amputer ce revenu d’un quart pour financer le programme Mélenchon.

Quant à la promesse de faire payer ces hausses d’impôts par les riches, nul ne peut sérieusement y songer. Ils ne seraient pas assez nombreux pour en supporter la charge à eux seuls.

Les responsables du Front de Gauche le reconnaissent implicitement, puisqu’ils prévoient de faire financer ces 160 milliards de recettes supplémentaires par la suppression de toutes les niches fiscales, aussi bien les déductions accordées aux particuliers que les réductions de charges sociales, sur les bas salaires, consenties aux entreprises. S’y ajouteraient l’instauration d’impôts nouveaux sur toutes les transactions mobilières et immobilières. Cela, pour les catégories aisées comme pour les catégories moyennes (3).

Plusieurs analyses montrent que le programme de Jean-Luc Mélenchon conduirait à la ruine des épargnants français et à la destruction, quasi immédiate, de plus d’un million d’emplois. Cette gageure vaut à Mélenchon le surnom d’Hugo Chavez français. Tout un symbole…

Heureusement pour notre pays, le rapport de forces politiques ne permettra, pas au programme du Front de Gauche d’être appliqué. Toutefois, le résultat de Jean-Luc Mélenchon, au premier tour, pourrait avoir un impact sur l’application du deuxième programme le plus coûteux de notre classement : celui de François Hollande.

Maillot rose : François Hollande

Le projet de François Hollande prévoit, pour sa part, l’augmentation progressive du taux des prélèvements obligatoires à 46,7% du PIB en 2017, soit officiellement 56 milliards d’euros de hausse sur la base du PIB 2011 (1 600 euros par contribuable).

Ce programme serait financé par sept mesures principales : i) le relèvement annuel de 0,1 point des cotisations sociales et patronales sur la partie déplafonnée, ii) La fin de la défiscalisation des heures supplémentaires, sauf pour les très petites entreprises, iii) le rétablissement de l’ancien barème de l’ISF, iv) la création d’une tranche à 45% pour les revenus supérieurs à 150.000 euros par part fiscale, v) la création d’une tranche à 75% pour les revenus supérieurs à un million d’euros, vi) l’augmentation des droits de succession et vii) l’alignement de la fiscalité des revenus du capital et du travail.

La simple déclinaison du programme fiscal de François Hollande nous montre qu’au-delà des discours démagogiques, sur les contribuables gagnant plus d’un million d’euros par an, c’est essentiellement la classe moyenne qui devrait prendre à sa charge les hausses d’impôts.

D’ailleurs, le nombre de contribuables visés par la tranche à 75% (87% avec les CSG, RDS et CRDS) est épiphénoménal.

La pyramide des revenus française montre que le nombre de contribuables gagnant plus de 100 000 euros par an se situe entre 1,5 et 2% du total – soit entre 45 000 et 50 000 individus). Les contribuables qui gagnent plus d’un million d’euros sont probablement moins de ½ pour mille – soit entre 2 000 et 3 000 individus.

Pratiquement, cette mesure ne ramènera donc rien à l’État. Ceci, pour une série de raisons bien connues des économistes un tantinet sérieux :

  1. L’assiette est trop faible et le taux trop élevé.
  2. Une majorité d’entre eux peut réorganiser fiscalement ses activités pour échapper à l’impôt.
  3. Ils peuvent s’expatrier dans un paradis fiscal.
  4. Même si la mesure s’appliquait de force, les contribuables concernés cesseraient de travailler préférant jouir à 100% des loisirs que leur procure leur premier million de revenus imposé à 45%, plutôt que de travailler à 87% pour l’État.

Si les économistes socialistes avaient étudié la microéconomie et les mécanismes psychologiques sous-jacents aux coûts d’opportunité, ils sauraient que cette mesure ne rime à rien. En l’état, elle est purement idéologique. Elle n’est ni plus ni moins qu’une interdiction, de fait, de gagner plus d’un million d’euros. C’est une taxe sur la propension à créer des richesses. Une mesure bien en phase avec les déclarations passées de François Hollande sur : « sa haine des riches ».

Encore faut-il nuancer cette haine des “riches”. Dans la pratique, le discours des hommes politiques, en faveur de la justice sociale, vise surtout les revenus privés qui dépassent les plus hauts revenus de la fonction publique à laquelle ils appartiennent, le plus souvent (François Hollande est énarque et appartient au corps de la cour des comptes).

À ce propos, il ne faut pas oublier que nombre d’hommes de l’État se sont octroyés des revenus mensuels élevés : 13 152 € pour un député, 11 000 € pour un ministre, 27 000 € pour le défunt directeur de Sciences-Po Paris.

Ces émoluments et les avantages en nature qui les accompagnent placent, l’élite soi-disant républicaine, dans le 1% des contribuables qui disposent des plus hauts revenus. Mais, aucun candidat à la présidentielle ne semble s’en indigner.

Quoi qu’il en soit, la “noblesse d’État” qui dirige notre pays est assez au fait de ses intérêts pour ne pas réduire ses revenus, à l’excès, par des mesures fiscales qu’elle proposerait à l’approbation des électeurs.

Toutefois, en stigmatisant systématiquement les hauts revenus privés, l’élite politique génère un état de frustration sociale qui entretient une demande politique permanente pour l’égalisation des revenus qu’elle se propose de réaliser…

Une autre dimension inquiétante du programme de François Hollande est celle qui conduira, inévitablement, au renchérissement du coût du travail (augmentation des charges patronales et fiscalisation des heures supplémentaires).

Il semble échapper aux experts socialistes que la compétitivité de la France est en chute libre par rapport à ses principaux concurrents, notamment l’Allemagne.

Peut-être, les experts socialistes se fondent-ils sur les statistiques quantitatives de l’INSEE pour soutenir que la différence du coût du travail entre la France et l’Allemagne est marginale et s’approche des 33€ de l’heure dans les industries manufacturières des deux pays.

Ce qui n’est pas dit dans ces études, c’est que si les coûts sont comparables les produits ne le sont pas. Ce dont témoigne la difficulté croissante de nos industries à exporter sur les marchés européens et mondiaux.

Rappelons, à ce propos, que le déficit commercial de la France ne cesse de se creuser : – 44 milliards d’euros en 2009, – 51 milliards en 2010, – 70 milliards en 2011. Dans la même phase, l’excédent commercial allemand n’a cessé de croître : + 136 milliards d’euros en 2009, + 155 milliards en 2010, + 158 milliards en 2011.

Avec le programme de François Hollande, ce retard de compétitivité s’accentuerait. Le déficit commercial abyssal se creuserait un peu plus et les pertes d’emplois dans les industries exportatrices s’accélèreraient.

Maillot vert : Nicolas Sarkozy

Dans la hiérarchie du tour de France, le maillot vert est porté par le leader du classement par points. De ce point de vue, il convient bien à la troisième position occupée par le candidat Nicolas Sarkozy.

Bien que Nicolas Sarkozy ait annoncé, à plusieurs reprises pendant sa campagne, que s’il était réélu il n’y aurait pas d’augmentation d’impôt, il a dû récemment reconnaître le contraire.

Selon Valérie Précresse, ministre du budget, le programme du candidat Nicolas Sarkozy porte sur 115 milliards, comprenant 75 milliards de réduction des dépenses de l’Etat et 40 milliards d’augmentation des recettes sur les cinq années à venir (4).

Ces chiffres sont toutefois sujets à caution. François Bayrou les a récemment mis en cause :

François Bayrou a expliqué qu’il n’avait “rien compris” aux chiffres avancés par Nicolas Sarkozy dans la présentation de son programme, renvoyant le président-candidat de l’UMP au “cours moyen deuxième année”. “Je n’ai rien compris aux chiffres qu’il a donnés”, a-t-il affirmé lors d’un meeting devant un millier de personnes à Poitiers. “Il (Nicolas Sarkozy, ndlr) a dit: +on a un déficit de 103 milliards, auquel j’ai ajouté 12 milliards de dépenses nouvelles, cela fait 115 milliards. Il faut donc qu’on trouve 53 milliards”.”En tant que défenseur du calcul mental dans la politique française, je dis au président de la République que s’il a un déficit de 115 milliards, il ne lui suffira pas de trouver 53 milliards (…) il va manquer dans cette affaire plus de 60 milliards”, a-t-il poursuivi. “Je ne sais pas qui a écrit ces chiffres mais je prétends que ces chiffres sont à la portée du cours moyen deuxième année » (5).

En toute hypothèse, l’évaluation du coût fiscal du programme électoral de Nicolas Sarkozy est particulièrement difficile. Celui-ci mélange des décisions dont le principe a été adopté mais qui ne sont pas encore entrées en application (TVA sociale, taxe Tobin sur les transactions financières) et des décisions qui seraient adoptées pendant le second mandat. Ajoutons à cela qu’un volet d’une vingtaine de milliards d’euros de hausse d’impôts n’a toujours pas été explicité. Ces hausses figurent, néanmoins, dans les projections fiscales envoyées par le gouvernement Fillon à la Commission européenne.

À ce stade, la seule certitude est que le programme de Nicolas Sarkozy représente une hausse des impôts comprise entre 40 et 56 milliards d’euros (Entre 1 200 et 1 600 euros par contribuable), soit deux à trois points de PIB de prélèvements obligatoires supplémentaires, par rapport à la situation actuelle.

Ces hausses se feraient selon le calendrier suivant :

Le projet de Nicolas Sarkozy se traduit […] par une hausse du taux des prélèvements obligatoires, de 43,8% en 2011, 44,6% en 2012, 45,1% en 2013, 45,4% en 2014, 45,6% en 2015 et 45,8% en 2016 » () soit 40 milliards de hausse sur la base du PIB 2011 (6).

Elles reposeraient sur six mesures principales: i) l’augmentation de la fiscalité sur les dividendes, ii) l’imposition minimale des grands groupes dont le siège est en France et dont la capitalisation en bourse est supérieure à un milliard, iii) la réduction des niches fiscales pour les particuliers et les entreprises, iv) la fin de la déductibilité des gros travaux dans l’immobilier, v) la non-réévaluation des tranches de l’impôt en fonction de l’inflation, vi) la taxation des exilés fiscaux.

Il faudrait amputer le revenu moyen net des Français d’un quart pour financer le programme de Mélenchon.

Comme on peut le remarquer, ce programme n’est pas exempt de démagogie. Prenons la cible des exilés fiscaux. Qui revêtira cette qualité ? Comment ces exilés seront-ils identifiés à l’étranger ? Que fera-t-on des exilés fiscaux qui renonceront à leur nationalité pour en prendre une autre de complaisance ? Comment distinguera-t-on le patrimoine, fruit du travail à l’étranger, de celui qui a été expatrié ? Comment fera-t-on pour rendre la mesure applicable sachant qu’elle remet en cause tous les traités bilatéraux de non-double imposition ?

Une fois encore, on désigne des “riches” à la vindicte populaire tout en se préparant à taxer les classes moyennes. L’artifice est dangereux. Il créera de nouvelles frustrations sociales quand il apparaîtra qu’un certain nombre d’impôts démagogiques ne pourront légalement être adoptés :

Près de 7 milliards de recettes affichées dépendront dans les faits de l’issue de négociations internationales plus qu’incertaines. C’est le cas de la taxe sur les exilés fiscaux (500 millions d’euros de rendement présenté), de la taxe (hypothétique) sur les grandes entreprises de l’internet (500 millions d’euros), des « 3 milliards d’euros » affichés au titre de la taxation sur les transactions financières, explicitement subordonnée à un accord de tous les États européens, des 3 autres milliards d’euros attendus au titre de l’impôt mondialisé sur les grandes entreprises qui nécessiterait la révision de plus de 100 traités internationaux, sans parler de l’économie de 3 milliards d’euros affichée au titre du gel des contributions à l’Union européenne (7).

De même, l’imposition minimale des grandes entreprises sera fiscalement contre-productive. Celles qui avaient conservé leur siège social en France, le déménageront à Londres, Francfort ou Luxembourg.

Avec le programme de Nicolas Sarkozy tous les contribuables paieraient davantage par la TVA (sociale) et aussi par la non-réévaluation du seuil des tranches de l’impôt sur le revenu en fonction de l’inflation. Cette décision aurait de graves conséquences économiques. Le revenu réel baisserait tandis que les impôts augmenteraient sur le revenu nominal. Les contribuables verraient, ainsi, leur pouvoir d’achat comprimé par les deux puissantes mâchoires de l’inflation et des tranches sur le revenu. En outre, cette décision va rendre imposables 150 000 à 200 000 salariés et retraités modestes qui étaient exemptés de l’IR. Corollairement, le fait de devenir imposable supprimera les dégrèvements de taxe foncière accordés à de nombreux petits propriétaires.

Quels effets attendre des hausses d’impôts annoncées par Nicolas Sarkozy, si elles étaient adoptées ? Très probablement, elles accentueraient la tendance à la récession qui se manifeste depuis le début de l’année. La demande intérieure baisserait sans que les exportations repartent. Ces deux leviers de la croissance étant grippés, ni le niveau du chômage, ni celui de la dette publique ne se résorberaient.

Maillot à pois rouge : Marine Le Pen

Du côté du Front National, il est difficile de se faire une idée du coût fiscal du projet de Marine Le Pen. Selon son discours, toutes les hausses d’impôts seraient compensées par des rentrées supplémentaires ou par un rééquilibrage de la fiscalité.

Par exemple, Marine Le Pen défend l’idée que sa proposition de sortir de l’euro et la dévaluation qui s’en suivrait redonnerait aux entreprises françaises leur compétitivité perdue. Celles-ci pourraient ainsi à nouveau embaucher. Ce qui aurait des effets positifs sur les comptes sociaux et les recettes de l’État.

De notre point de vue, cette hypothèse ne peut être retenue. Elle ne change en rien le périmètre fiscal de l’État. Techniquement, elle ne correspond pas à une baisse des impôts. Or, quand l’augmentation des dépenses publiques est programmée et que les recettes dépendent d’événements économiques aléatoires, il faut toujours s’attendre à de nouvelles hausses d’impôts.

De quel montant ? A cette question, la réponse des experts varie selon leurs sensibilités politiques. Les estimations les plus sérieuses s’échelonnent entre 20 et 40 milliards d’euros. Si l’on retient une hypothèse moyenne de 30 milliards, le Front National se place bien en quatrième position du palmarès fiscal de la course présidentielle. Et, pour rester dans l’analogie cycliste, on soutiendra que Marine Le Pen montre une certaine aptitude à grimper les courbes de la pression fiscale, mais que cette aptitude ne suffit pas à gagner la compétition. En cela, le maillot à pois rouge lui revient de droit.

Plus sérieusement, quelles seraient les hausses auxquelles le contribuable devrait faire face si Marine Le Pen était élue ?

Succinctement, la candidate du Front National propose : i) de rendre plus progressive les tranches de l’impôt sur le revenu en utilisant différents taux, allant de 5,5% pour la tranche la plus basse à 46% pour la plus haute – au lieu de 41% aujourd’hui. , ii) la fin de l’abattement de 40% sur les dividendes, de telle sorte que les revenus du capital soient taxés à la même hauteur que les revenus du travail, iii) le remplacement de l’ISF par une surtaxe qui se déclencherait à partir de 790 000€ au lieu de 1,3 million aujourd’hui, iv) de taxer davantage les grandes entreprises en empêchant leurs filiales basées en France de transférer leurs profits vers leur société-mère.
Ces mesures n’ont rien d’original. On les retrouve dans des termes équivalents chez François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Là où le Front National se distingue plus nettement de ses concurrents politiques, c’est sur la fiscalité indirecte. Marine Le Pen se dit favorable à l’instauration d’une TVA sur les produits de luxe et l’instauration de droits de douane sur les produits qui concurrenceraient déloyalement les productions françaises, particulièrement ceux en provenance de Chine.

Cette proposition se heurterait aux traités européens qui instituent un tarif douanier commun. En outre, elle serait une autre forme de taxe à la consommation et une source potentielle d’inflation. En France, comme en Europe, la progression de l’inflation a été limitée, ces dix derrnières années, par les importations des pays à faible coûts de production. Une fois ce frein disparu, l’inflation repartirait mécaniquement à la hausse.
Le programme de Marine Le Pen (sortie de l’euro, dévaluation du néo-franc, droits de douane, augmentation du SMIC, monétisation de la dette par la Banque de France) est clairement inflationniste. Il reproduirait, trait pour trait, la politique économique de la France des années 1968-1983. Une politique qui n’a pas permis ni de renouer avec la croissance, ni de faire baisser le chômage de masse dont notre pays est victime depuis quarante ans.
On remarquera aussi que la candidate du Front National, qui se pose en candidate “antisystème”, partage pourtant la croyance, avec tous ses concurrents politiques, dans le postulat de la rentabilité croissante du taux marginal de l’impôt. Une théorie toujours invalidée par les faits économiques et que réfute le simple bon sens.

Aujourd’hui, pour être “antisystème” et restaurer une croissance forte, il faudrait proposer une flat tax de l’ordre de 25% et la limitation des prélèvements obligatoires à 35% du PIB. Ce qui correspondrait à une diminution de 21 points de PIB de l’emprise de l’État sur la société française.

De toute évidence, aucun candidat à la présidentielle n’a le courage de formuler de telles propositions. Certainement par peur de perdre de larges fractions de l’électorat, devenues dépendantes de l’État-providence.
Même François Bayrou qui se présente comme le champion de la modération fiscale envisage aussi des hausses d’impôts.

Maillot blanc : François Bayrou

Dans la grande course présidentielle aux impôts, nous décernerons le maillot blanc à François Bayrou. Non pas parce qu’il serait, comme dans le tour de France, le meilleur des plus jeunes coureurs. Mais parce que son programme fiscal fait preuve d’une certaine ingénuité.

Par sa position centriste, François Bayrou veut à la fois dénoncer les dérives de l’État jacobin, le caractère insoutenable des prélèvements publics, fédérer les classes moyennes autour de sa candidature, rembourser la dette publique et produire français.

Pour atteindre ces objectifs contradictoires, Bayrou ne peut faire l’économie de hausses d’impôts. Mais celles-ci n’étant pas accompagnées de promesses mirobolantes en faveur de la redistribution des revenus, il ne peut espérer capter qu’une faible portion de l’électorat.

En quoi consisteraient les hausses d’impôts du candidat du centre ?

Fondamentalement, elles s’appuieraient sur deux mesures : i) l’adoption de deux nouvelles tranches de l’IR, l’une à 45% et l’autre à 50% pour les revenus supérieurs à 250.000 €. ii) La transformation de l’ISF en Contribution de Solidarité sur le Patrimoine (CSP). La CSP s’appliquerait pour tout patrimoine supérieur à 1 million d’euros. Au-delà de cette valeur, un revenu fictif de 1% du patrimoine serait intégré dans l’impôt sur le revenu. En d’autres termes, pour les contribuables, taxés au taux marginal, cela représenterait 5 000 euros d’impôts par million d’euros de patrimoine, déduction faite du premier million.

Par rapport au barème de l’ISF, retenu pour 2012, (0,25% pour les patrimoines allant de 1,3 million d’euros à 3 millions d’euros et 0,5% au-delà) la réforme proposée par le MoDem ne change pas foncièrement la donne fiscale. Elle offre, cependant, l’avantage de ne pas surtaxer les contribuables qui ont un patrimoine immobilier mais peu de revenus.

De ces hausses d’impôts, François Bayrou espère engranger un revenu fiscal supplémentaire de 10 milliards sur cinq ans – soit une augmentation de la pression fiscale de 2 milliards d’euros sur une base annuelle.
A ce titre, François Bayrou apparaît comme le candidat du statu quo économique. Rien ne s’aggraverait vraiment. Mais rien ne s’arrangerait non plus.

Objectivement, le candidat centriste est celui qui propose la hausse d’impôts la moins élevée. Mais, fait symptomatique, une hausse quand même (8).

Conclusion : tout le monde paiera

Pour nous, il est particulièrement significatif que les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle, totalisant plus de 90% des intentions de vote, proposent tous des hausses d’impôts.

Il y a là une dérive systémique inquiétante. Dans chaque pays européen, il existe au moins un courant politique pour proposer une baisse des prélèvements obligatoires, ne fusse qu’à des fins électorales.

La chancelière Angela Merkel est, parmi d’autres, une habituée de ce genre d’exercice qui consiste à promettre des baisses d’impôts avant les élections qui ne sont jamais mises en application après. Ces promesses de baisse ont toutefois l’avantage de rendre politiquement plus coûteuses la moindre hausse. Elles limitent les ambitions fiscales des concurrents et la dérive des prélèvements obligatoires.

En France, la classe politique n’est pas soumise à une telle concurrence. Cela signifie que notre marché politique fonctionne toujours sur la base des promesses faites à des majorités variables d’électeurs de taxer, à leur profit, des minorités variables de contribuables.

Ce que reconnaît implicitement François Hollande :

« J’ai préféré alerter les Français, de toute manière, quel que soit le président élu au mois de mai, il y aura une augmentation des prélèvements”, a affirmé M. Hollande. “D’ailleurs, a-t-il ajouté, le gouvernement sortant, le président sortant ont envoyé une stratégie de finances publiques à Bruxelles dans laquelle il est prévu une augmentation des prélèvements obligatoires de 2 % de la richesse nationale.”
“Donc le grand débat de l’élection présidentielle, ce n’est pas de savoir s’il y aura plus d’impôts ou pas, c’est de savoir qui va payer les impôts, (…) qui va assurer ces augmentations de prélèvements. Et j’ai dit : ‘ce seront les revenus élevés, les patrimoines importants et les grandes entreprises, en tout cas pas une très grande majorité de nos concitoyens » (9).

Sur un point, nous serons d’accord avec François Hollande : si lui-même ou Nicolas Sarkozy était élu, il y aura davantage d’impôts. Par contre, comme nous l’avons vu, ce ne seront pas les revenus élevés qui payeront. Cela ne sera ni les super-riches de Hollande, ni les exilés fiscaux de Sarkozy.

Inévitablement, cela sera l’immense majorité des contribuables.

Et, c’est là un sombre constat : ce que préparent les deux candidats, super-favoris du premier tour, c’est le plus grand choc fiscal pour la classe moyenne, depuis l’après seconde guerre mondiale.

Comment notre économie surfiscalisée et fragilisée l’absorbera ? Telle sera la grande question économique et existentielle qui se posera au prochain quinquennat.

Pour nous pauvres contribuables, taillables et corvéables à merci, il y a peu de doutes : nous le paierons tous très cher.

*Gilles Dryancour est docteur en sciences économiques d’Aix Marseille III et membre de la mouvance des nouveaux économistes aux côtés de Jacques Garello, Pascal Salin, Henri Lepage, Jean-Yves Naudet, Gérard Bramouille et Bertrand Lemmennicier.

Notes :

(1) “France’s future, A country in Denial”, The Economist, semaine du 31 mars au 6 avril 2012.
(2) Source : Insee.
(3) Le Figaro, “Présidentielle, le coût faramineux du programme Mélenchon”, 4 avril 2012.
(4) 20minutes.fr, “Sarkozy prévoit 45 milliards de réduction des niches fiscales selon Pécresse”
(5) Le Figaro, flash-actu, “Bayrou à Sarkozy, il manque 60 milliards”, 5 avril 2012.
(6) Le Monde, dépêches, “Nicolas Sarkozy prévoit un excédent public de 0,5% en 2017”, 5 avril 2012.
(7) Débats 2012, “Dépenses et hausses d’impôts : Les zones d’ombre du programme de N. Sarkozy”, 11 avril 2012.
(8) Débats 2012, “Francois Bayrou et la fiscalité”
(9) Le Monde, “Pour Hollande lé débat n’est pas de savoir s’il y aura plus d’impôts mais qui les paiera”, 1er février 2012.

Cet article est publié en partenariat avec l’Institut Turgot.

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