Avortement et christianisme, remettre les pendules à l’heure !

Il y a un mois, j’ai publié un article sur l’avortement qui a fait grincer des dents. Si tous les chiffres et événements énoncés dans le billet sont vérifiables, j’ai volontairement grossi mon point de vue sur ce sujet sensible afin de susciter une réflexion salutaire qui, à me sens, manque trop souvent à la pensée de droite. Vu les commentaires acharnés, souvent très bons, j’ai plus que remporté le pari ! La très grande force du site Nouvelles de France est d’être un véritable havre de liberté où des idées distinctes voire antagonistes peuvent coexister. Et ceci est essentiel car ce sont bien les pensées, positives ou non, qui mènent les hommes et très souvent elles se forment discrètement aux marges du pouvoir officiel dans des laboratoires bouillonnants au sein desquels des points de vue opposés se frottent continuellement, permettant peu à peu l’émergence d’une synthèse inédite et novatrice ayant, à terme, un impact politique.

Personnellement, je suis tout à fait d’accord avec les arguments d’Ihemeu ou de Frédérique qui, bien que conscients de l’urgence d’enrayer une démographie mondiale devenue folle par des mesures volontaires et vigoureuses, préfèrent nonobstant utiliser l’avortement comme ultime recours. Je disais que l’avortement était un acte neutre afin de piquer le lecteur même si en réalité je ne le pense pas vraiment…

Par contre, certains catholiques, sur l’avortement comme sur bien d’autres sujets, idéalisent totalement la France chrétienne et monarchiste d’antan, un peu à l’image de ces socialistes progressistes rêvant d’un futur parfait. Pourtant, l’histoire, qui est une incomparable source d’humilité, nous aide à appliquer la phrase du Seigneur : « Au lieu de regarder la paille de ton voisin, observe plutôt la poutre qui est dans le tien » et à mettre beaucoup d’eau dans le vin des certitudes.

En effet, le penseur Alain de Benoist dans un excellent livre intitulé Famille et Société démontra que l’avortement, qu’il soit in utero ou par l’abandon d’enfants après leur naissance, non seulement ne disparut pas sous la France chrétienne et monarchiste mais au contraire s’amplifia à cause du puritanisme de la religion catholique.

a) L’avortement in utero

Voici ce qu’il dit à propos de la doctrine de l’Église concernant l’avortement in utero. « L’Église proscrit l’avortement, comme l’avaient déjà fait Tertullien, dans son traité Ad nationes, ainsi que saint Augustin, dans son De nuptiis et concupiscentia. Toutefois, contrairement à ce que l’on croit souvent, si elle proclame que l’avortement est toujours un péché, l’Église ne considère pas automatiquement tout avortement comme un crime. Les autorités religieuses ont en effet adhéré très tôt à la théorie aristotélicienne selon laquelle l’embryon ne peut acquérir une âme qu’à partir d’un certain stade de son développement : quarante jours pour les garçons, précise Aristote, et quatre-vingts jours pour les filles. Avant ce délai, l’embryon n’est pas « animé » ; son élimination n’est donc pas un homicide. C’est ce que saint Jérôme déclare sans ambiguïté dans l’une de ses lettre : « Les semences prennent forme graduellement dans l’utérus, et il n’y a pas d’homicide tant que les divers éléments n’ont pas reçu leur apparence et leurs membres ». Ayant adopté cette théorie de l’animation médiate de l’embryon, les Pères de l’Église d’Occident sont donc amenés à distinguer deux catégories d’avortement : l’avortement-homicide, postérieur à l’ «animation», et l’avortement intervenant à un stade très précoce de la conception, assimilé à un acte contraceptif et seulement condamné comme tel.

Dans les pénitentiels du haut Moyen-Âge, entre le VIIe et le Xe siècles, l’avortement-homicide est puni de 10 ans de pénitence, l’avortement-contraception d’un an seulement. En 1140, le Décret de Gratien souligne à nouveau que « n’est pas homicide celui qui procure l’avortement avant que l’âme ne soit infusée dans le corps ». Cette affirmation est reprise en 1211 par le Pape Innocent III, puis en 1234 par Grégoire IX dans l’une de ses décrétales. On la retrouve chez Thomas d’Aquin qui, estimant à son tour que l’âme ne peut être insufflée dans un corps insuffisamment formé, en déduit logiquement que « dans la génération de l’homme existe d’abord ce qui a vie puis un animal et en dernier lieu l’homme ».

Au XIIIème siècle, Barthélémy l’Anglais ira même jusqu’à faire de l’animation immédiate de l’embryon un privilège de Jésus, dont le corps assure-t-il « fut, par le mystère du Saint-Esprit, fait et formé parfaitement en sa conception », contrairement à celui des autres hommes, qui est « édifié en quarante-six jours ». Cette théorie imprégnera par la suite toute la théologie scolastique et la législation canonique, à tel point qu’au XVIIe siècle, un théologien aussi réputé que Sanchez autorisera même la femme enceinte à se faire avorter, en cas de force majeur, avant que l’embryon ne soit devenu un fœtus. Ce n’est qu’un siècle plus tard, en plein XVIIIe siècle, qu’Alphonse de Liguori, dans sa Theologia moralis, mettra sur pied d’égalité toute forme d’avortement, annonçant ainsi ce qu’est devenu depuis la doctrine officielle de l’Église. »

Or c’est l’alignement de l’avortement-contraception sur l’avortement-homicide qui va être le ferment à partir du XIXe siècle d’une législation pénale particulièrement sévère en France, allant de 10 ans d’emprisonnement au début du XXe siècle à la peine de mort sous le régime de Vichy. Mais l’attitude de l’Église puis des autorités politiques est, tout au long de l’ère chrétienne, schizophrène. En effet, sous l’Antiquité, les paganismes gréco-romains considéraient la sexualité de plaisir comme totalement sacrée à côté de celle de reproduction. Ainsi, il y avait une très grande diversité de moyens de contraception, notamment à base de plante, qui seront interdits plus tard par les pères de l’Église dont Saint Jean Chrysostome ou Saint Basile le Grand. Même la contraception « naturelle », pas très probante, sera regardée dans les premiers temps de l’Église comme suspecte. Saint Jérôme expliquait qu’une trop grande fréquence de rapports sexuels au sein d’un couple légitime constituait un adultère et que l’épouse devait être condamnée à mort !

Or, l’interdiction des moyens de contraception va engendrer une explosion de grossesses non désirées provoquant à leur tour une multiplication d’avortements officieux s’effectuant dans des conditions atroces durant lesquelles beaucoup de femmes mourraient totalement ensanglantées. Dans ses écrits confessionnels, le prêtre roumain Cléopas (1912-1998) expliquait qu’il donnait souvent l’absolution à des femmes qui mettaient un terme à leur gestation. L’une d’entre elles, une paysanne vivant dans des conditions économiques désastreuses, avait tué 5 enfants in utero sur les 10 conçus.

C’est à cause de cette bondieuserie puritaine aux conséquences terribles qu’aujourd’hui, l’Occident, ayant rejeté la religion dans la sphère privée, produit par contre-coup, dans une réaction excessive, une industrialisation massive de la contraception et de l’avortement stérilisant à terme de nombreuses femmes qui s’accrochent à la PMA.

Beaucoup de catholiques brandissent la statistique véridique expliquant que 72% des femmes qui avortent consommaient initialement la pilule anticonceptionnelle. Mais leur interprétation de ce constat me semble biaisée. En effet, ils affirment qu’il vaut mieux utiliser la contraception « naturelle » que la pilule qui se révèle inefficace dans l’évitement de la gestation. Or comme l’a très bien démontré Éric Zemmour dans son excellent Premier Sexe s’appuyant sur l’étude de Marcela Iacub intitulée Géniteur sous X, une bonne partie des femmes avortant alors qu’elles prenaient la pilule sont tombées enceintes suite à « un oubli » de celle-ci, en faisant un môme dans le dos d’un partenaire masculin qui n’était pas d’accord.

Curieuse que l’attitude de ces jeunes gens se prohibant une descendance et ordonnant à leur copine d’avorter sous peine de la quitter, d’autant plus qu’une simple observation montre que ce sont les hommes qui désirent bien plus les petits (environ 4) que les femmes (environ 2). Mais ce comportement masculin est dû à un autre tabou voilé par le christianisme et la société postmoderne lui succédant : la polygamie masculine. Toutes les études scientifiques démontrent que l’homme est par essence polygame, cautionnant les visions des religions pré-judéo-chrétiennes européennes et polythéistes asiatiques, africaines et amérindiennes qui n’appuyaient pas leur spiritualité sur des dogmes oniriques mais sur la constatation du réel.

Sous la Rome antique, l’homme pouvait légalement avoir une épouse avec laquelle il créait une famille, mais aussi des maitresses et/ou des prostituées, pour les plaisirs amoureux. Puisque nous leur refusons ce privilège, au mépris de leur nature, ils enfilent désormais dans une société chaotique les filles à la chaîne, et lorsque l’une d’entre elle leur fait un enfant dans le dos, ils veulent absolument qu’elle avorte, tout simplement car ce gamin les obligerait à fréquenter la même femme à vie. La majorité des mâles n’arrivent pas à accomplir leur devoir de père et fonder une famille si on leur interdit le droit à la sensualité et à l’érotisme des concubines ou des beautés tarifées. Comme le rappelle pertinemment Zemmour, la famille en Occident s’est effondrée avec la fermeture des maisons closes (1946) et la chasse aux courtisanes (à partir des années 70) qui étaient pourtant largement tolérées par pragmatisme sous la monarchie chrétienne…

b) L’abandon d’enfants

C’est l’Antiquité gréco-romaine et l’Inde hindoue et non le christianisme comme on le croit souvent qui ont édifié le mariage monogamique. L’homme pouvait côtoyer des amantes ou filles de joie mais il devait avoir des enfants avec une seule épouse. Même si le consentement mutuel existait, l’objet du mariage était d’abord la procréation et la transmission du patrimoine. Mais les religions antiques incitaient à faire peu d’enfants afin de mettre en cohérence la démographie et les ressources disponibles. Le but du pater familias était d’avoir un fils pour continuer la lignée mais dès qu’il en avait un, il pouvait s’arrêter. Il lui était accordé de construire une famille nombreuse s’il le souhaitait mais devait la soutenir entièrement financièrement ; les aides sociales, appelées « évergétismes » (dons de la part de la caste élitiste), étant consacrées prioritairement à la construction de temples, statues, monuments et non aux allocations familiales.

Dans l’Europe antique, l’abandon d’enfants aux forces de la nature était toléré, notamment par eugénisme, mais s’est avéré peu fréquent grâce à une spiritualité appelant en amont à la tempérance démographique et à l’autorisation de la contraception pour les rapports sexuels notamment avant le mariage où le concubinage était totalement accepté. En Inde, l’abandon d’enfants était exceptionnel : un Prince d’un des multiples royaumes hindous pouvait ordonner de laisser le plus souvent des petites filles (car elles sont le sexe de gestation) à la lisière d’un champ ou d’une forêt si la nourriture se tarissait pour la communauté.

Grâce à ces spiritualités qui, partout dans le monde, confortaient à la modération démographique, chacun mangeait à sa faim. Sous la Rome antique, un simple boulanger ou affranchi pouvait s’acheter une maison de 700 m2 ! En Afrique le mot pauvre était inexistant des dialectes ! Mais, avec l’arrivée du christianisme, tout changea. Étant une religion de « Vérité Unique » qu’il faut étendre à la Terre entière, son prosélytisme comme celui du judaïsme jusqu’au début de l’ère chrétienne et de l’islam ensuite commandait d’avoir un très grand nombre d’enfants. Voici ce que dit le livre de la Genèse, valide pour les trois religions abrahamiques : « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la Terre et soumettez-là » (Gen. 1,28). Résultat : les rejets d’enfants sous la France du Moyen-Âge et de l’Ancien Régime vont exploser car la démographie sera toujours trop importante par rapport aux ressources énergétiques et à la richesse économique produite.

En France, aux XIIe et XIIIe siècles, l’abandon d’enfants ainsi que l’infanticide sont monnaie courante. À partir XIVe siècle, sont créés, dans les campagnes loin des villes, les bureaux de nourrices : sorte d’hospices à gosses délaissés par leur mère. « En 1780, sur 21 000 enfants nés à Paris, un millier seulement sont nourris par leur mère, un autre millier par des nourrices vivant à proximité. Les autres ont été envoyés à la campagne, dans des conditions de transfert généralement déplorables. (…) Les démographes estiment qu’un bébé sur quatre, parmi ceux qui étaient ainsi mis en bureaux de nourrice, ne survivait pas au-delà de quelques années, contre un sur six (ce qui est déjà pas beaucoup) pour les enfants élevés par leurs mères. Vers 1771-1773, 62% à 75% des nourrissons lyonnais envoyés par l’Hôtel-Dieu dans les villages de Savoie, de Franche-Comté ou du Vivarais, ne survivent pas. À l’époque, le décès d’un « poupard » est si banal que les mères n’assistent presque jamais aux obsèques. Elisabeth Badinter, dans un livre qui provoqua quelques remous, n’hésite pas à décrire la mise en nourrice comme un infanticide déguisé » (Alain de Benoist).

Le culte de l’enfant prôné par le christianisme actuel s’insérant dans une époque moderne de l’enfant-roi désiré, est relativement récent. Dans la France de l’Ancien Régime à 90% agricole, marchande et artisanale, on engendrait des gosses avant tout pour obtenir des bras aidant à labourer la terre, porter les marchandises, laver le linge et assurer les vieux jours ; la rémunération de retraite n’existant pas. L’enfant n’était absolument pas affectionné par les membres du clergé du Grand Siècle. Le fameux évêque de Meaux et précepteur du dauphin de Louis XIV, Bossuet déclarait : « l’enfance est la vie d’une bête ». Le cardinal de Bérulle renchérissait : « l’état enfantin est le plus vil et le plus abject de la nature humaine après la mort » !

Conclusion : sus au puritanisme !

« Les chrétiens font comme les autres mais éprouvent des états-d’âmes », disait Nietzsche. Il avait partiellement raison : en vérité, ils ont parfois fait pire dans l’Histoire malgré de très bonnes intentions pour la simple et bonne raison que la bondieuserie pudibonde, l’arbitraire puritain, trahissant selon moi le message christique initial, ambitionnent de transformer l’univers en fonction de ses vues étriquées au lieu de l’accepter tel qu’il est, et gonfle ainsi systématiquement ce qu’il prétend combattre. Concernant la sexualité, il est tout à fait louable que certains, par amour pour Dieu ou convictions religieuses, s’astreignent à des devoirs supérieurs tels que la virginité avant le mariage ou pour la vie entière ainsi que la contraception naturelle. Mais vouloir imposer ce mode vie aux autres au détriment de la nature humaine et de la sexualité de plaisir est mortifère (selon les scientifiques l’un des points qui nous diffère des animaux est la sexualité de plaisir, en effet ces derniers obéissent seulement aux instincts reproductifs).

Ce n’est absolument pas un hasard si le technicisme, le matérialisme, la pornographie, le divorce de masse, les contraceptions et avortements industriels, le mariage homosexuel, l’enfer multiracial soient tous nés de pays dont la religion jadis abhorrait l’argent, les plaisirs érotiques procurant un bonheur extrême accessible à tous, la vrai différence des sexes, les spécificités raciales sous prétexte d’universalisme biblique et assimilait les homosexuels à des êtres abominables dignes de mort (cf. Saint Paul). Ce n’est pas moi qui le dit mais des hommes extrêmement pieux tels que le théologien orthodoxe Jean-Claude Larchet ou encore le célèbre écrivain Alexandre Soljenitsyne. « Qui fait l’Ange fait la Bête » s’exclamait si justement Blaise Pascal.

Sources bibliographiques :
– Alain de Benoist : « Famille et Société (origines, histoire, actualité) »
– Alain Daniélou : « Les Quatre sens de la vie – Système social des Hindous »
– Allan et Barbara Pease : « Pourquoi les hommes veulent du sexe et les femmes de l’amour. Les explications scientifiques derrière les vérités toutes simples.»

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54 Comments

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  • 0 / 10
  • jephe , 19 avril 2014 @ 8 h 11 min

    Une fois de plus, il faut remettre les choses dans le contexte de l’époque et lire correctement ce qui a été écris (si la traduction est bonne, parfois du latin au français ce n’est pas triste).

    À cette époque, pour diverses raisons, il était important d’être sûr qu’une femme enceinte porte bien un être humain. À mon humble avis, c’est dans ce sens que Saint Jérôme ou Saint Thomas d’Aquin l’explique. De plus, il faudrait connaître l’ouvrage ou ils se sont exprimés !

    Personnellement, lorsque l’on analyse les phrases, rien de choquant, ils n’ont jamais consenti à l’avortement sous quelques formes que se soit !

  • jephe , 19 avril 2014 @ 8 h 12 min

    Désolé mon texte n’est pas à la bonne place !

  • jephe , 19 avril 2014 @ 8 h 14 min

    Une fois de plus, il faut remettre les choses dans le contexte de l’époque et lire correctement ce qui a été écris (si la traduction est bonne, parfois du latin au français ce n’est pas triste).

    À cette époque, pour diverses raisons, il était important d’être sûr qu’une femme enceinte porte bien un être humain. À mon humble avis, c’est dans ce sens que Saint Jérôme ou Saint Thomas d’Aquin l’explique. De plus, il faudrait connaître l’ouvrage ou ils se sont exprimés !

    Personnellement, lorsque l’on analyse les phrases, rien de choquant, ils n’ont jamais consenti à l’avortement sous quelques formes que se soit !

  • Xair , 26 mai 2014 @ 10 h 02 min

    Des raisons matérielles me conduisent à apporter un complément tardif à mon précédent message.

    Que la substance pensante nous soit connue comme étant moins sujette à être anéantie que la substance étendue est, pour Descartes, une évidence. Si la proposition « Je pense, donc je suis » est bien le produit de la réduction de ma pensée à ce qui ne concerne pas la substance étendue, elle n’en demeure pas moins possible indépendamment de cette réduction. C’est ce qu’il affirme clairement, dans sa Lettre à Silhon (?) de mars ou avril 1648 : « [cette proposition] vous est une preuve de la capacité de nos âmes à recevoir de Dieu une connaissance intuitive » (considération implicite, en Méditations II AT 21-22). Au cas où la substance étendue n’existerait pas, autrement dit au cas où aucune information tendant au moins à attester son existence (et pouvant être mise en doute et niée, dans la perspective du cogito résiduel) n’arriverait à la pensée, la substance pensante n’en penserait pas moins (« l’âme pense toujours », Lettres à l’Hyperaspistes d’août 1641, AT 424, et à Gibieuf du 19 janvier 1642, AT 478 ; « il est certain que le cerveau est de nul usage, lorsqu’il s’agit de former des actes de pure intellection », Réponses aux cinquièmes objections – contre la Seconde Méditation, AT 509), à savoir n’en penserait pas moins au fait qu’elle existe et qu’elle existe en tant que chose pensante. Au contraire, de son côté, la substance étendue, si elle ne peut être autre qu’étendue, soit peut n’être pas déterminée par quelque figure, soit est réduite au néant par l’absence de figure (figure dont on peut, en effet, penser qu’elle est seule à lui conférer ses trois dimensions et, du même coup, son extension, car où sera le haut et le bas, la droite et la gauche, etc., si aucune détermination corporelle ne le détermine), le dilemme inhérent à cette alternative constituant, d’ailleurs, l’une des preuves du fait qu’elle est moins connue que la substance pensante.

    Pour autant, Descartes affirme qu’il est porté à considérer, jusqu’à preuve du contraire, que les vérités métaphysiques (entre autres, le « je pense, donc je suis ») ne sont pas pensées par l’être humain embryonnaire, mais sans, pour autant, être absentes de son âme : « Ce n’est pas que je me persuade que l’esprit d’un petit enfant médite dans le ventre de sa mère sur les choses métaphysiques ; au contraire, s’il m’est permis de conjecturer d’une chose que l’on ne connaît pas bien, puisque nous expérimentons tous les jours que notre esprit est tellement uni au corps que presque toujours il souffre de lui et quoiqu’un esprit agissant dans un corps sain et robuste jouisse de quelque liberté de penser à d’autres choses qu’à celles que les sens lui offrent, toutefois l’expérience ne nous apprend que trop qu’il n’y a pas une pareille liberté dans les malades, dans ceux qui dorment, ni dans les enfants, et même qu’elle a coutume d’être d’autant moindre que l’âge est moins avancé ; il n’y a rien de plus conforme à la raison que de croire que l’esprit nouvellement uni au corps d’un enfant n’est occupé qu’à sentir ou apercevoir confusément les idées de la douleur, du chatouillement, du chaud, du froid et semblables, qui naissent de l’union, ou pour ainsi dire, du mélange de l’esprit avec le corps ; et toutefois en cet état même, l’esprit n’a pas moins en soi les idées de Dieu, de lui-même, et de toutes ces vérités qui de soi sont connues, que les personnes adultes les ont, lorsqu’elles n’y pensent point, car il ne les acquiert point par après avec l’âge. Et je ne doute point que s’il était dès lors délivré des liens du corps, il ne les dût trouver en soi. »

    Les textes où Descartes parle de l’âme (c’est-à-dire de la pensée) de l’embryon humain :

    « Lettre à l’Hyperaspistes d’août 1641 », § 2, AT 423-425.
    « Lettre à Gibieuf du 19 janvier 1642 », AT 474-479.
    « Lettres à Arnauld du 16 juillet et du 29 juillet 1648 », AT 192-193 et 220-221.

  • Xair , 26 mai 2014 @ 10 h 22 min

    La référence de la dernière citation est « Lettre à l’Hyperaspistes d’août 1641 », § 2, AT 423-424.

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