La théorie du ruissellement

Cette fois-ci, c’est sûr : ce sera un plan social. Pour Robert et la centaine de salariés du chantier, la prochaine étape ce sera le licenciement économique, Pôle Emploi et bien peu d’espoir de retrouver du travail dans la même branche : des chantiers spécialisés dans les yachts de luxe, il n’y en a pas des masses et, dans quelques jours, il y en aura un de moins.

Pour Robert, il n’y a aucun doute : cette faillite, c’est à cause de la mondialisation et du néolibéralisme ; un symbole de la désindustrialisation ; encore un savoir-faire qui se perd à cause de ces élites incapables de prendre leurs responsabilités. Une fois de plus, lui et ses collègues ont été trahis par ce gouvernement pseudo-socialiste. Robert s’en doutait. C’est pour ça qu’il avait pris sa carte au Parti de Gauche.

Pourtant, Robert en est certain, sauver le chantier, c’était possible ; ce n’était qu’une question de volonté politique ; il suffisait de prendre l’argent où il se trouve : dans les poches des riches.

Salauds de riches !

S’il y a une idée qui a le don de mettre Robert en rage, c’est cette fumisterie de théorie du ruissellement. C’est un camarade du parti qui lui a expliqué. La théorie du ruissellement, c’est un peu comme la main invisible, mais en pire : c’est l’idée selon laquelle les riches réinjectent leur argent dans l’économie réelle en consommant ou en investissant. C’est comme ça qu’ils s’y sont pris pour ne pas être taxés comme ils auraient dû l’être. Ah oui ! On la voit bien la théorie du ruissellement maintenant !

Ça a commencé il y a un peu plus de trois ans, quand le patron du chantier a commencé à leur raconter que les affaires se portaient mal. « Les ventes se sont effondrées de 75% en deux ans » qu’il disait, « on est dans le rouge » qu’il rajoutait, « on va devoir se serrer la ceinture » qu’il concluait. Alors, bien sûr, Robert et ses collègues avaient dû avaler toutes les couleuvres possibles et imaginables : gel des embauches, gel des salaires et même du chômage partiel. Vous parlez d’un ruissellement !

Et quand ça a empiré, qu’est-ce qu’il a fait le patron ? Du ruissellement ? Eh bien non : il a voulu jeter l’éponge et fermer purement et simplement le chantier. Il a voulu laisser une centaine de travailleurs sur le carreau pour éviter que ça ne ruisselle trop.

C’est à ce moment que le commissaire de Montebourg est arrivé avec son soi-disant « repreneur ». Un type qui, paraît-il, travaillait pour fonds-vautour et qui avait passé plusieurs jours à se pavaner sur le site en faisant semblant de s’intéresser au chantier. La comédie a durée deux semaines jusqu’à ce que le commissaire vienne leur annoncer piteusement que le vautour, lui-aussi, avait laissé tomber. Le marché, ceci, cela, les taxes sur les plus-values qui font fuir les investisseurs… Bref, pas de profits pour les charognards et, là encore, pas de ruissellement ! Salauds de riches !

Les poches des riches

Demain, le chantier livrera son dernier yacht. Un bijou. Robert et ses collègues y ont passé six mois et tous s’accordent à penser que c’est une de leurs plus belles réalisations. Le client, un riche Américain qui travaille à Wall Street, est passé hier après-midi avec sa femme après avoir déjeuné dans un des meilleurs restaurants du coin. Il est arrivé au volant d’une Jaguar qui suffisait à peine à contenir les emplettes matinales de sa femme – Dior, Cartier, Chanel… – et a demandé à jeter un œil sur les dernières finitions qu’il avait commandé.

Perdu dans ses pensées, Robert n’a pu s’empêcher de noter que cette Jaguar sortait des usines anglaises qui font vivre pas moins de dix mille employés dans les Midlands. Par association d’idées, il a pensé aux serveurs, aux cuisiniers et au sommelier du restaurant dans lequel l’Américain avait déjeuné ; si ça se trouve, il y a commandé une bonne bouteille et permis à un viticulteur du Bordelais d’augmenter ses ventes. Son esprit a aussi évoqué les milliers de nos compatriotes qui travaillent pour Dior, Cartier ou Chanel, le couturier parisien qui a confectionné le costume de l’Américain et – de proche en proche – les millions de gens que ce genre de clients font vivre ; à commencer, bien sûr, par Robert lui-même et ses collègues.

Et puis, c’est jouer de malchance : si ce type-là avait géré un « fonds vautour », il aurait pu être un repreneur idéal pour le chantier. Pensez donc : non seulement, il a l’air d’aimer les bateaux mais en plus, il apprécie manifestement le savoir-faire de ce chantier en particulier. Il aurait su que la boîte avait besoin d’argent frais, il aurait négocié un bon prix pour l’augmentation de capital et aurait déversé une partie des centaines de millions qu’il gère pour le compte de ses riches clients étasuniens dans l’entreprise. Ça aurait sauvé une bonne centaine d’emplois plus sûrement que l’intervention d’un commissaire au redressement productif.

Tout compte fait et maintenant qu’il considère la précarité qui va devenir son lot quotidien, Robert se dit qu’il aurait bien aimé que le ruissellement continue.

> le blog de Georges Kaplan (Guillaume Nicoulaud)

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24 Comments

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  • 0 / 10
  • géodith , 16 mai 2013 @ 16 h 41 min

    Le ruissellement s’arrete mais le prélevement continue : il faut bien que le Sénat, les députés et les gouvernants + amis des gouvernants continuent à avoir leurs mannes.
    Tout un chacun met la main à sa poche et je ne sais pas si vous avez fait calculer votre imposition mais je ne vois pas comment la croissance pourrait repartir…
    Que fait-on ?
    4 ans ainsi ?

  • Tintin , 16 mai 2013 @ 21 h 50 min

    Concernant l’économie, voici la dernière déclaration du pape :

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2013/05/la-crise-financi%C3%A8re-trouve-son-origine-dans-la-crise-anthropologique.html

    Il faut faire le siège du Vatican jusqu’à ce que la franc-mac en soit purgée et ce pape démissionné.

    Le projet du pape est limpide, préparer la taxe sur les transactions financières, donc l’impôt du gouvernement mondial.

    Nous devons en attendant faire sécession du catholicisme et rejoindre le culte orthodoxe en réquisitionnant nos églises contre le clergé catholique.

  • anonyme , 16 mai 2013 @ 22 h 17 min

    En effet le discours du Pape est dangereux dans l’interprétation qui peut en être faite et qui peut mener à la légitimation du communisme et à la substitution de population, c’est à dire à la dépossession des hommes de leur patrie, Beaucoup d’appel à la “solidarité ” mais aucun à la responsabilité de l’individu dans la qualité de sa vie, aucun rappel de la valeur de l’effort, du travail.

  • Goupille , 16 mai 2013 @ 22 h 32 min

    Qu’est-ce que c’est que cette volée de bois vert ? Où avez-vous lu que le Pape se soucie de légiférer, ou de faire légiférer, sur la taxation des transactions financières ?

    Il analyse la situation avec un regard d’éthique chrétienne : à savoir qu’il y a un renversement de situation, que l’économie n’est plus un outil au service de l’homme, mais l’inverse. Que primat est donné à “des idoles nouvelles.”
    “L’adoration de l’antique veau d’or a trouvé un visage nouveau et impitoyable dans le fétichisme de l’argent, et dans la dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain.
    La crise mondiale qui touche les finances et l’économie semble mettre en lumière leurs difformités, et surtout la grave déficience de leur orientation anthropologique qui réduit l’homme à une seule de ses nécessités : la consommation. Et pire encore, l’être humain est considéré comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter. De fait, nous nous sommes jetés dans une culture du déchet.”

    C’est violent et sans complaisance. Les êtres humains ne sont-ils pas devenus la variable d’ajustement d’une économie mondialisée devenue folle ?

    Où est l’influence franc-mac là-dedans ?

    J’ai quelquefois du mal à vous suivre jusqu’au bout de votre culture OVNI et plasma, mais là, je ne vois qu’une solution : l’abus de vodka, russe bien sûr, donc orthodoxe.

  • anonyme , 16 mai 2013 @ 22 h 54 min

    Quand on ne peut faire la différence entre un discours de supposé catholique et celui d’un démagogue de gauchiste, au service secret de la finance apatride, c’est qu’il faut revenir au vrai catholicisme (et non venir à l’orthodoxie).

  • Goupille , 16 mai 2013 @ 23 h 09 min

    ???

    Révélation de ce soir : le Pape est un test projectif où chacun dépose ses idées fixes et ses soucis.

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