Recrute katekita !

« Bien que confrontée à une perte chronique de clergé local et de personnel missionnaire en l’absence de renouvellement générationnel, la Polynésie française continue à apporter une réponse généreuse à l’Evangile au travers de l’implication toujours plus responsable de laïcs aux missions relevant de la catéchèse et des œuvres de charité. Le 27 juillet 2012, en l’église de Marie No Te Hau de Papeete a eu lieu la Messe d’investiture des nouveaux « katekita », hommes et femmes qui, au terme d’un parcours de formation appelé « Ecole de la foi » reçoivent les ministères extraordinaires de la communion, du lectorat, de catéchiste et de chantre. » [1]

Depuis quelques mois, nous vivons en famille à Raiatea dans l’archipel des Îles-sous-le-Vent en Polynésie Française. S’il y a une paroisse avec trois lieux de culte catholique sur l’île, il n’y a pas de prêtre à demeure, seulement un diacre – qui doit desservir aussi l’île soeur de Tahaa qui compte deux églises.

Il s’agit du même genre de situation que j’ai vécu chez les Tibétains catholiques : des prêtres passent plusieurs fois par an pour les principales fêtes (au mieux), confessent et marient en série à ces occasions (et enterrent aussi, car les vieux les attendent pour mourir), consacrent de nombreuses hosties gardées dans les tabernacles qui servent à ça (d’où le pain azyme en Occident, alors que l’Orient chrétien – orthodoxe, catholique, etc. – consacre du pain levé qui ne peut et doit être consommé entièrement durant la liturgie). Et le reste de l’année, des ADAP (assemblée dominicale en l’absence de prêtre), dirigée au mieux par un diacre (qui est un clerc ordonné et non pas un laïc) ou par un catéchiste (qui sont chez les Tibétains catholiques les responsables des Eglises et les équivalents des katekita polynésiens) : prières, lectures, chants, communion…

ADAP… Un acronyme que l’on n’aime pas trop, synonyme de déclin de la foi, de « messe au rabais », de laïcisation de la liturgie, d’aplatissement du sacerdoce ministériel sur le sacerdoce commun des fidèles. [2] Mais cette vision négative, signe de recul de la vocation sacerdotale et de la pratique dominicale, bref signe de déchristianisation dans nos pays postchrétiens, dans nos vieilles chrétientés sécularisées, ne revêt pas du tout la même signification dans des chrétientés minoritaires et missionnaires : loin d’y être un signe de désévangélisation, ces assemblées sont au contraire des foyers d’évangélisation. Ne pourraient-elles pas jouer un rôle dans la nécessaire réévangélisation de notre continent ?

Il ne s’agit pas de promouvoir des sacrements au rabais, faute de mieux, mais une véritable assemblée dominicale en l’attente de prêtre. Le problème est s’il y a une désacralisation de la liturgie qui confine à la profanation. Mais malheureusement, la présence du prêtre n’offre pas toujours de garantie contre de tel excès… [3]

Beaucoup d’Eglises missionnaires, par exemple en Chine ou en Polynésie, pallient au manque de prêtres en instituant justement des catéchistes qui remplissent toutes les fonctions ministérielles des anciens ordres mineurs pour seconder les prêtres et les diacres. Cette forme d’adaptation dynamique de l’évangélisation n’est-elle pas parfois en Europe freinée par une culture ecclésiale très cléricale ? Il ne s’agit pas de nier l’importance du prêtre, cet alter Christus, mais quand il n’y a plus assez de prêtres, nous sommes perdus ! Ne participons-nous pas souvent à une mentalité spectaculaire, passive et consommatrice, qui juge de la prestation offerte ?

Les ordres mineurs : portier, lecteur, exorciste, acolyte ont été supprimés pour l’Eglise romaine par motu proprio de Paul VI en 1972 qui les remplace par des ministères extraordinaires – institués et non ordonnés -, mais maintenus par motu proprio de Benoît XVI en 2007 pour les communautés suivant la forme extraordinaire du rite romain, mais qui ne les envisagent que comme des étapes vers le sacerdoce. Les Eglises catholiques orientales, en revanche, ont conservé leurs ordres mineurs – acolyte, chantre, sous-diacre – et maintenu l’importance du diacre permanent – il en faut normalement un pour chaque liturgie. [4]

Ne faudrait-il pas réfléchir, si ce n’est à restaurer les ordres mineurs, du moins à développer dans un sens liturgique les ministères institués des laïcs – distincts des ministères ordonnés des évêques, prêtres, diacres – qui permettent d’intégrer des laïcs bien formés à la liturgie – et d’éviter les lectures à la diable et la communion distribuée n’importe comment par n’importe qui, par exemple ?

Ne faudrait-il pas réfléchir aussi, dans un autre ordre qui est celui de l’ordre, pour que soit ordonné au moins un diacre permanent (qui peut être un homme marié) par paroisse, (ou même par clocher, notamment dans les « déserts sacerdotaux » ruraux), comme le permet l’Eglise romaine qui depuis Vatican II a restauré le diaconat permanent ?

Loin d’affadir la liturgie, ne pourrait-on pas même s’inspirer de l’Orient catholique pour ajouter aux ministères institués actuels – lecteur et acolyte – celui de chantre, qui recevrait une formation appropriée (de préférence de tradition grégorienne dans les Eglises latines) ? Et celui, d’inspiration plus évangélique, de catéchiste, prioritaire pour l’évangélisation qui passe par la catéchisation non seulement des enfants et adolescents, mais des adultes, des convertis, des recommençants, des futurs mariés – et par l’annonce directe ?

Il ne s’agit ni de laïciser la liturgie ni de cléricaliser les laïcs, mais plutôt de liturgiser le laïcat, d’incorporer les laïcs à la liturgie, il s’agirait non pas d’une laïcisation du rite mais d’une ritualisation des laïcs, en n’oubliant pas que la liturgie, leitourgia, signifie service du peuple, et que le laïcat,laos, signifie le peuple, mais en tant que peuple de Dieu, formé par l’appel de Dieu dans la liturgie [5].

C’est en ayant un tel tissu ecclésial de diacres permanents, d’acolytes, lecteurs, chantres, catéchistes, etc., bien formés, que des vocations naîtront dans une vraie culture d’Eglise qui baignera les enfants et les adolescents depuis la naissance. Ce tissu liturgique, ce milieu chrétien ne remplacera jamais le prêtre, mais formera un terreau fertile et une semence de vocations. Ad majorem Dei Gloriam.

> Falk Van Gaver anime l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon

1. « Une Eglise vivante au milieu du Pacifique », Tahiti, Agence Fides, 31/07/2013
2. « Alors que le sacerdoce commun des fidèles se réalise dans le déploiement de la grâce baptismale, vie de foi, d’espérance et de charité, vie selon l’Esprit, le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun, il est relatif au déploiement de la grâce baptismale de tous les chrétiens. » Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, Cité du Vatican, 15/08/1997
3. Cf. Falk van Gaver, « Veritatis splendor ? », La Nef n°254, Décembre 2013
4. Code canon des Eglises orientales, canon 327
5. « Le substantif laos, dont dérive l’adjectif laïkos, signifie justement le peuple en tant que peuple de Dieu, d’un terme homérique repris par la traduction grecque de la Bible hébraïque (Septante). Le laïc, à la différence de l’individu, du sujet, du citoyen, est l’homme en tant qu’il est appelé par Dieu à faire partie de son peuple et qu’il revêt par là la dignité de celui qui se sait promis à une destinée éternelle. » Rémi Brague, La loi de Dieu, Gallimard, 2005

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10 Comments

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  • Sullly , 18 décembre 2014 @ 14 h 52 min

    Le pb est que , ds nombre de paroisses , notamment rurales , le prêtre s’est retiré en laissant un pouvoir absolu à une maffia de bonnes femmes , incompétentes , tant au niveau liturgique (choix ineptes des cantiques , incapacité de chanter juste et encore plus à diriger correctement une assemblée , réflexes “humanistes” :on râle contre la “morale”, militantisme “de gauche” , etc… et évidemment rage haineuse contre tout ce qui pourrait les mettre en question si peu que ce soit ) . Comment s’étonner que les églises soient vides ? Quant à moi , j’ai compris , je suis parti vers l’orthodoxie , dont l’Eglise de Rome n’aurait jamais dû s’éloigner .

  • PG , 23 décembre 2014 @ 0 h 19 min

    Voilà qui nous sort du sempiternel débat sur les deux rites, la liturgie et le rôle des laïcs, mais par le haut.
    Très intéressant et stimulant : en attendant le retour de nombreuses vocations sacerdotales, il va falloir faire sans prêtres. Former sérieusement certains laïcs, et leur conférer des ordres mineurs, et en faire les seuls autorisés ensuite dans le choeur et la liturgie, serait sans doute à tenter. Le danger étant que ces laïcs recevant ces ordres minuers ne oient encore plus arrogants avec les prêtres.
    Car actuellement les diacres ordonnés sans formation sérieuse et catholiquement structurée sont une catastrophe absolue

  • Victorien , 5 janvier 2015 @ 10 h 42 min

    Assez bien vu, sauf la fin. Les EAP, constituées majortitairement de femmes choisies pas une sorte de cooptation selon des critères indéfinis, sont une calamité dans les paroisses. Dans la mienne, elles décident de tout, le curé obéit, les paroissiens qui ne sont pas contents sont priés d’aller voir ailleurs.

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