La crise ukrainienne : les vrais enjeux

Le référendum en Crimée, qui n’a fait que confirmer ce que l’on savait déjà : une écrasante majorité de la population de cette région, administrativement rattachée à l’Ukraine depuis un demi-siècle et où les Ukrainiens sont très minoritaires, souhaite le retour à la Russie.

Les raisons qu’évoquent la France et ses alliés pour condamner cette expression de vox populi font sourire. Les capitales occidentales se retranchent derrière un argument purement juridique et hautement contestable : le référendum en Crimée ne serait pas conforme au droit international.

Mais la France avait-elle eu le même souci du droit international en bombardant un pays souverain : la Libye (avec, comme conséquence, l’installation dans ce pays d’un régime islamiste) ?

La France respecte-t-elle le droit international en fournissant des armes aux rebelles syriens qui ont déclenché une terrible guerre civile pour renverser un gouvernement légitime et s’emparer du pouvoir (avec comme conséquence prévisible l’instauration d’un régime islamiste en Syrie) ?

Pour comprendre la géopolitique, il faut d’abord comprendre la géographie, souligne Robert D. Kaplan dans un éditorial publié sur le site de Stratfor.

Il suffit de regarder la carte pour saisir l’intérêt stratégique que représente la Crimée pour la Russie : l’accès à la Méditerranée. La Russie a toujours considéré l’accès aux « mers chaudes » comme un élément capital de sa sécurité et de sa présence sur la scène internationale. Les choses n’ont pas changé au vingt-et-unième siècle.

Aucun homme politique sain d’esprit et a fortiori aucun gouvernement n’aurait pu croire un seul instant que M. Poutine allait se résigner à ce que la base navale de Sevastopol se retrouve en plein milieu d’un pays pro-occidental et hostile à la Russie. D’autant plus que la Crimée est, comme on vient de le voir, une région très largement russophile.

“Une chose est sûre : personne en Europe ni en Amérique ne voudra mourir pour Kiev.”

Du point de vue de l’intérêt national de la Russie, la perte de la Crimée serait une faute politique impardonnable. Le Président Poutine en est conscient, de même qu’il sait que sa politique actuelle vis-à-vis de l’Ukraine augmente sa popularité en Russie. Dans un sondage publié début mars par par l’Institut WCIOM, considéré comme crédible, 68% des Russes considèrent que le M. Poutine est un bon président. De quoi faire rougir d’envie François Hollande !

Il était donc logique, inévitable et parfaitement prévisible que la Russie pousse la Crimée vers la sécession, ce qui s’est révélé très facile pour Moscou car les habitants de la Crimée eux-mêmes le souhaitent à une très large majorité. Pas un seul coup de feu n’a été tiré par les troupes russes pour faire basculer la Crimée.

Les choses auraient été autrement plus compliquées si la population de la Crimée était hostile à la Russie.

L’indignation manifestée par les capitales occidentales à propos du référendum en Crimée relève donc de la pure hypocrisie et est destinée surtout à leurs propres opinions publiques.

En réalité, la partie était jouée d’avance et la sécession de la Crimée était inévitable.

Les vrais enjeux sont ailleurs : Moscou va-t-elle chercher, en s’inspirant du scénario « criméen », à détacher de l’Ukraine ses provinces orientales, également russophiles, dans lesquelles est concentré l’essentiel de l’industrie ukrainienne ? La Russie va-t-elle accepter une Ukraine vraiment indépendante et dominée par les sentiments russophobes ?

Le manque de frontières naturelles entre la Russie et l’Ukraine, les moyens de pression considérables dont dispose la Russie vis-à-vis de l’ex-république soviétique d’Ukraine (pressions énergétiques, commerciales, et militaires) et enfin l’incapacité de l’Union européenne à parler d’une seule voix laissent penser que le sort de l’Ukraine est durablement lié à celui de la Russie et que la seule chance pour le gouvernement de Kiev de surmonter la crise actuelle réside dans le dialogue avec Moscou et non pas dans le soutien de l’Union européenne ni des États-Unis. Une chose est sûre : personne en Europe ni en Amérique ne voudra mourir pour Kiev.

Lire aussi :
> Crimée : la démocratie a parlé, l’Occident aboyé, par Éric Martin

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23 Comments

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  • Eric , 18 mars 2014 @ 9 h 09 min

    Seule petite remarque : “rattachée à l’Ukraine depuis 1/2 siècle”
    pas d’accord, car la Crimée à été rattachée à une république soviétique , donc restait en URSS.
    L’Ukraine a été crée en 1991 ( alors qu’elle n’a pas eu d’histoire apparavent – même en 1917-1920 , le territoire n’était pas le même et ce pays étant en guerre ne pouvait se prévaloir du titre Etat) et du même coup s’est retrouvée regroupant diverses régions qui n’avait rien de commun ensemble.Il aurait mieux valu la découper pour donner cohésion aux pays crées.

    La situation actuelle découle de ces disparités , mises à nues grâce à un coup d’état orchestré par les USA-UE utilisant des mouvements néo-nazis. Les criméens ont saisi cette opportunité et ils ont bien fait.

  • hermeneias , 18 mars 2014 @ 10 h 04 min

    M Genko

    Nos politiciens sont des ventriloques de l’UE et des USA libéraux du fric et très “mollah friendly” et “gay friendly” .

    Une boucherie en Ukraine ou …..en Europe mais ils s’en contre foutent .
    Je pense que c’est maintenant le ‘plan’ d’obamama et de gromhollande de lancer une guerre par procuration , de susciter une guerre civile , de l’attiser et de la financer en sous-main , avec conseillers militaires …..fourniture d’armes ( comme à Kiev )

  • JSG , 18 mars 2014 @ 11 h 02 min

    “…Allez à la pêche ce dimanche, il va faire beau!!…”
    Ah, même pas ! car les rivières sont en très grand nombre polluées pour peut-être un siècle par les PCB déversés par la magouille des anciens transfos EDF confiés à des entreprises de “dépollution”
    Résultat, grace à la “vigilance” de la Gent administrative, les liquides des transfos se sont répendus dans le fond des rivières polluant les sédiments. Donc les poissons brouteurs (carpes, brèmes, sillures, anguilles) ne sont plus consommables !
    A ce sujet tous ces ministres qui s’arrogent des prérogatives qui ne correspondent pas à leur capacité, ne disent rien à ce sujet, depuis ~vingt ans.
    Donc je vais aller voter.

  • Korrigan , 18 mars 2014 @ 11 h 12 min

    Toute l’agitation grotesque de cette clique de poli-tocards misérables, pilotée par le couple magnifique aussi glamour que compétent Catherine Ashton et Van Rompuy, font immédiatement penser à cette réflexion de Paul Valéry :

    “La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde”

    A cette partie d’échecs géopolitique à laquelle nous assistons (impuissants), ces histrions ne sont pas de taille.
    Les Russes ont les meilleurs joueurs, l’UE peut tout juste avancer un petit pion et se le faire bouffer par le moindre Cavalier de l’équipe d’en face.

    D’ailleurs ils n’ont même pas eu cette peine, illustrant un article paru récemment :
    Gagner la guerre sans combattre selon Sun Tzu, l’exemple de la Russie en Crimée.

  • montecristo , 18 mars 2014 @ 12 h 05 min

    Autre remarque attribué à Reagan

    “On dit que la politique est le deuxième métier du monde ?
    Je remarque qu’il ressemble bougrement au premier !”

  • Korrigan , 18 mars 2014 @ 15 h 29 min

    En complément et pour les joueurs d’échec, un grand roque pour Vladimir Poutine :

    “Les sanctions suscitent chez la Russie ironie et sarcasme

    MOSCOU – Les sanctions occidentales annoncées lundi à l’égard de hauts responsables russes suscitent l’ironie et même le sarcasme, a déclaré mardi un conseiller du président russe, Iouri Ouchakov.

    Nous en avons déjà assez de ces sanctions, elles suscitent l’ironie et même le sarcasme, a déclaré M. Ouchakov, cité par les agences de presse russes.

    Il répondait à une question sur le fait de savoir si Moscou allait répondre par des sanctions.

    Je pense que ce sont des sanctions très confortables, je n’y vois pour moi aucun problème. Cela ne me gêne pas, au contraire j’en suis fier. C’est une sorte d’+Oscar+ de la part de l’Amérique, dans la catégorie +meilleur second rôle masculin+, a ironisé un autre conseiller présidentiel, Vladislav Sourkov.

    Annoncées presque simultanément à Bruxelles et Washington, les sanctions européennes et américaines, plutôt symboliques, concernent un nombre limité de hauts responsables russes et ukrainiens pro-russes et épargnent a priori M. Poutine, mais frappent très près du président russe, au moins celles prises côté américain.

    M. Poutine s’exprimera sur le sujet à 11H00 GMT au Kremlin devant les deux chambres du Parlement russe, les dirigeants des régions russes et des représentants de la société civile, deux jours après le plébiscite sur le rattachement de la péninsule ukrainienne à la Russie.

    (©AFP / 18 mars 2014 12h10) “

  • charles-de , 18 mars 2014 @ 17 h 34 min

    Sans oublier l’avancée des frontières de 200 km vers l’Ouest pour l’Ukraine et la Biélorussie avec Staline en 1944:
    L’Ukraine avait donc reçu des régions polonaises (Lwow, devenu Lviv), qui avaient même été austro-hongroises avant 1918.

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