SMIC jeunes : entre réalisme et cris d’orfraies

Que le Président de la République déjeune avec trois économistes témoigne de sa part d’une louable soif de comprendre (enfin, diraient d’aucuns) ! Que les trois économistes soient d’obédiences de « gauche » n’est pas obligatoirement synonyme d’excellence mais c’est un bon début ! Le fait que furent évoquées les questions iconoclastes de la dérégulation du SMIC prouve que la gravité de la situation (de l’économie française) est peut-être parvenue aux oreilles élyséennes, absorbées par d’autres écoutes ! Que ce déjeuner, a priori confidentiel, ait opportunément fait l’objet de fuites et d’un événement médiatique nous renseigne sur le degré de transparence de la parole publique et sur l’opacité du rideau de fumée idéologique au sein duquel elle est contrainte de s’exprimer !

On l’aura compris : l’événement lié au SMIC jeunes ne consiste pas tant dans l’apparition d’une panoplie néolibérale dans l’arsenal keynésien de la « gauche plurielle » que dans les multiples détours et précautions oratoires qui l’entourent. Pour des raisons qui ne sont que trop évidentes, le pouvoir « exemplaire et normal » agit avec la duplicité d’un médecin contraint d’administrer un remède de cheval à un malade auquel, des années durant, il a tenu le discours lénifiant de « l’autre politique » (celle de la demande et des dépenses publiques) dans une perspective de « lendemains qui chantent (cf. le discours anaphorique du Bourget du 30 avril 2012 : « moi président ! ») ?

Nul ne peut dire avec certitude que la dérégulation du SMIC est la panacée de la reprise économique : le libéralisme consiste notamment à se méfier de tout dogme et à préconiser des préceptes discrets. En situation de marasme économique et de chômage de masse (laquelle caractérise la France post-mitterrandienne), il n’en est pas moins vrai que l’éventuelle mise en place d’un SMIC jeunes pourrait constituer un tremplin et une possibilité, pour de nombreux jeunes, d’accéder au monde de l’emploi et de l’entreprise. De multiples objections s’élèvent cependant. C’est du néo-esclavagisme, disent les uns. C’est une honte, c’est une situation que nul ne souhaiterait à ses enfants, disent les autres! Ces objecteurs sont-ils conscients qu’ainsi, ils préfèrent que l’on renonce à une possibilité d’avenir, même difficile, pour s’en tenir à une absence d’avenir à base d’allocations chômage et de RSA ?

En économie, il convient de se fier au seul pragmatisme. Ainsi vouloir, par mimétisme, transposer de ce côté-ci du Rhin ce qui, au cours de la dernière décennie, a marché de l’autre côté, relève du dogmatisme. Et aujourd’hui, la volonté allemande de mettre en place un SMIC qui limite les inévitables abus imputables à un système installé, ne signifie en aucun cas qu’il faille sanctifier cet acquis historique qu’est le SMIC français. L’Allemagne s’est peut-être rendue coupable d’avoir développé ce que, avec une emphase toute marxiste, une certaine gauche nomme « sous-prolétariat », il n’en est pas moins vrai que l’Allemagne a surtout produit un miracle économique adossé à une situation de quasi-plein-emploi.

“Dans sa déclaration, implicitement, la ministre laisse entendre qu’elle préfère les jeunes au chômage, indemnisés par les allocations, plutôt qu’en activité mais mal payés. Cependant elle se garde bien de le dire. Elle se contente du beau rôle, lequel consiste à vaguement lutter ‘contre le retour de l’esclavagisme’ ».

La France cependant n’est pas l’Allemagne. La topographie économique française comporte deux secteurs industriels de tailles inégales. Par malheur (ou par enchaînement d’erreurs historiques), le secteur à forte création de valeur ajoutée et main-d’œuvre hautement qualifiée est aussi le moins étendu (cf. l’aéronautique, la pharmachimie, etc.). Dans ce secteur, il y a peu de concurrence de la part des pays émergeants et les salaires restent élevés, mais il crée peu d’emplois. Dans l’autre secteur, en revanche, la valeur ajoutée est faible et la main d’œuvre peu qualifiée, ce qui implique, concurrence et compétitivité obligent, une permanente compression des coûts (il en va ainsi dans le tourisme, les transports, l’agro-alimentaire, etc.). Cela implique aussi que la puissance publique mette en œuvre toutes politiques et mesures, conjoncturelles ou structurelles, susceptibles d’améliorer la compétitivité. Et si la mise en place d’un SMIC jeunes permet de créer de l’emploi et reconquérir des parts de marché, devons-nous y renoncer pour des raisons idéologiques ? Celui-ci ne serait à vrai dire pas très différent de la situation des thésards ou des étudiants en médecine en fin de cycle universitaire !

Ce qui est extraordinaire dans ce débat, c’est la simplicité du problème en comparaison de la rhétorique diablement compliquée qui prétend s’en emparer. Le pouvoir lui-même s’évertue à brouiller les cartes : la ministre Najat Vallaud-Belkacem, experte en communication, ne déclare-t-elle pas qu’un SMIC jeunes serait « une mauvaise idée parce que ça reviendrait à créer un sous-prolétariat au sein des entreprises » ? L’idée est mauvaise seulement si elle coûte de l’argent sans créer des richesses et de l’emploi, mais il est demandé à la ministre de réciter une autre ritournelle, ce qu’elle fait sans état d’âme et avec le secours de primes bonifiées. Quant au « sous-prolétariat », le spectre en est déjà moins terrifiant si on le considère comme une porte d’accès, une sorte de sas économique où nul n’est destiné à rester très longtemps. De même, l’internaute lambda s’offusque en disant comment voulez-vous vivre avec un SMIC au rabais ? Oui, mais on serait tenté de lui répondre : comment vivent ceux qui sont sans emploi ? Devons-nous valider ad perpetuam un état-providence dont nous feignons d’ignorer qu’elle génère une économie parallèle dont les petites mains, pour le coup, sont en situation d’esclavage ?

Mais en politique française, l’indignation et les grandes envolées lyriques ont pris le pas sur la ratione economikos – oikonomia – ce qui, en grec, veut dire « administration du foyer ». Dans sa déclaration, implicitement, la ministre laisse entendre qu’elle préfère les jeunes au chômage, indemnisés par les allocations, plutôt qu’en activité mais mal payés. Cependant elle se garde bien de le dire. Elle se contente du beau rôle, lequel consiste à vaguement lutter « contre le retour de l’esclavagisme », sans que l’on comprenne en quoi consiste cette lutte. Cette rhétorique de cris d’orfraies fausse le débat et le rend impossible. En même temps elle crispe l’opinion publique dans une frilosité et un attentisme à l’ombre d’un état-providence dont, encore une fois, elle se garde de dire qu’il est à l’agonie. « Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde » disait Albert Camus. Ne pas les nommer du tout revient au même, et ce gouvernement s’y entend à merveille : pendant qu’en conférence de presse, le président rassure les français sur l’excellence du cap choisi, il laisse à des ragots de déjeuner le soin de les avertir que les « carottes sont largement cuites » et qu’il s’est trompé sur toute la ligne !

> Rolland Goeller anime un blog

Related Articles

18 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Frédérique1 , 17 avril 2014 @ 16 h 17 min

    Il n’y a pas que le smic a remettre en cause, mais aussi les horaires et les conditions du poste proposé.
    Qui peut se permettre, si ce n’est un Etat totalitaire, de définir les conditions de travail proposés?
    Si moi, aujourd’hui, cherchant un emploi pour survivre, je suis prête, situation économique oblige, à travailler 50h par semaine pour un salaire inférieur au smic, jour de travail incluant le dimanche et peut-être aussi les nuits, quel est l’Etat qui se dit pour ma protection qui peut me l’interdire, si ce n’est un Etat autoritaire?
    Vaut il mieux que je couche sous les ponts? Que je bouffe aux restaurants du cœur? Plutôt que de me sacrifier pendant quelques temps en attendant des jours meilleurs.?
    C’est aussi cela que l’on appelle la méritocratie, l’individu capable de mettre un bémol sur ses acquis sociaux, en période difficile, pour ne pas devenir un assisté social, sans pour autant continuer son combat légitime pour réduire les inégalités sociales dès que l’occasion s’en présentera.
    C’est le système étatiste qui crée la pauvreté, car il est incapable de se remettre en cause.. Mort au socialisme de droite, comme de gauche.

  • V_Parlier , 17 avril 2014 @ 17 h 46 min

    Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour s’accrocher à tout prix au libre échange… Encore pire que l’amour de l’Euro !

  • Balou , 17 avril 2014 @ 18 h 31 min

    Vous pouvez discuter autant que vous voulez du SMIC… Et du coût du travail. Selon les secteur, il ne représente que 15 à 20 % en moyenne des coûts de production. baisser le salir, c’est à dire baisser le montant net, les charges salariales et patronales, n’empêchera pas qu’il faut dépenser une fortune pour mettre n’importe quel produit de base sur le marché. Le coût du marketing est tel que l’on assiste à de soldes de plus en plus fréquentes et folles, du style acheter 24 bouteilles d’eau minérale, payez en 12 En réalité nous sommes un marché gavé et vendre ne rapporte plus assez. Il est donc normal que les investisseurs veuillent récupérer le capital immobiliser pour aller l’investir ailleurs, ou vendre une bouteille d’eau minérale constitue déjà une source de valeur ajoutée importante. Quand une vente rapporte 8 % net ici, il vaut mieux aller vendre là où elle rapportera 15 voire 20 % net. Tant que cette phase de transition ne sera pas terminé, c’est à dire tant que nous ne serons pas devenu un marché sous développé, les investissements se feront ailleurs et le chômage augmentera, quel que soit le coût du travail.
    Respectueusement.

  • ranguin , 17 avril 2014 @ 18 h 47 min

    Pour qu’il rapporte encore faudrait-il qu’il reste un marché

  • Balou , 17 avril 2014 @ 19 h 19 min

    C’est bien le problème. Mais les investisseurs s’en foutent eux. Ils font leurs bénéfices ailleurs. Les seules questions qu’ils se posent, c’est de savoir en combien de temps et quel capital maximal ils pourront retirer sans rompre la paix sociale.
    Notre avenir et celui de nos enfants n’est en rien leur problème.

  • marcS , 17 avril 2014 @ 21 h 53 min

    Votre point de vue Roland Goeller est pertinent, toutefois dès qu’un jeune rémunéré avec un “smic allégé” a atteint la productivité d’un adulte payé au “smic normal”, il devrait immédiatement être payé à ce smic (ce qui ne devrait pas demander beaucoup de temps car ces emplois payés au smic ne requièrent pas énormément de compétences….)

  • azraël de Gallia , 18 avril 2014 @ 8 h 49 min

    La grande crise est organisée et tout est fait pour nous tirer vers le bas…
    La remise en cause du taux horaire smig n’est qu’une préparation à un déferlement de travailleurs des pays de l’Est à 3€/heure.
    Il faudrait plutôt rendre le coût du travail moins lourd pour les patrons en sabrant les privilèges de nos milliers de gouvernants en tous genres qui ne sont bons qu’à nous mettre dans le mur… ils préconisent que nous puissions vivre avec – de 7€/heure alors que eux s’empochent des milliers d’€ mensuels sur notre dos !
    Et arrêter de distribuer des aides sociales à vie à commencer à des gens qui ne sont pas Français… si on va s’installer dans leurs pays, ils ne nous assisteront pas et c’est normal !
    La France meurt du poids de ceux qui la parasitent par le tout en haut et par le tout en bas.
    Il faut exempter de toutes charges les salaires de 1500€ à 3000€ = l’intérêt de l’employeur sera de nous augmenter pour atteindre cette tranche-là et ce que l’état n’encaissera pas en charges patronales, il le retrouvera par un accroissement de notre conso qui réactivera nos unités de production.
    Nos gouvernants sont payés très cher pour nous saborder !

Comments are closed.