Vive le pape quand même !

Votre serviteur fait sienne la devise des ultras de 1815 : “Vive le roi quand même !”, et il la détourne en un “vive le pape quand même !”, expression de son amour pour le souverain pontificat en dépit de la tristesse et de la déception dans laquelle il se trouve en lisant deux entretiens que le pape a accordé ces derniers temps au journaliste Eugenio Scalfari.

Le premier entretien, en date du 10 octobre 2013, est à proprement parler le compte rendu de la rencontre entre ce journaliste athée, directeur du quotidien italien La Repubblica, et le pape François. On s’en souvient, cet article avait fait grand bruit, à tel point que le directeur de la salle de presse du Vatican, le père Frederico Lombardi, avait cru bon de désavouer Scalfari et de rappeler qu’il ne s’agissait pas des paroles proprement dites du pape, mais de propos rapportés et donc interprétés. Enfin, le texte litigieux était retiré du site internet du Vatican. On pouvait respirer. Ouf ! Le pape n’avait finalement été que la victime d’un mauvais plaisant.

Hélas !

Ce n’était qu’une “combinazione” de jésuite. Les esprits apaisés, l’oubli étant passé, l’article a fait sa réapparition sur le site de l’Etat pontifical. Que faut-il en conclure ? Que le directeur de la salle de presse du Vatican et l’administration pontificale en charge de la communication a roulé les chrétiens et l’opinion publique comme le dernier des députés en campagne pourrait le faire. Finalement, si l’interview reparaît sur le site officiel de l’Etat, c’est donc que son contenu est véridique et accepté par le pape, puisqu’il est l’auteur de ces propos.

Fort bien. Prenons-en acte et relevons les points qui ont fait litige en octobre :

François attaque fort, en proclamant : “Les maux les plus graves qui affligent le monde d’aujourd’hui sont le chômage des jeunes et la solitude dans laquelle sont abandonnées les personnes âgées.”
Fort bien Saint- Père. Mais s’il s’agit des maux les plus graves qui affligent le monde, si “voilà, selon moi, le problème le plus urgent auquel l’Église est confrontée”, alors qu’elle est la place du combat pour la vie de l’enfant à naître, de l’enfant esclave, du vieillard assassiné, de la femme bafouée, et pour revenir à l’intérieure de l’Eglise, de la crise des vocations en Europe et de l’apostasie silencieuse du continent ?

Lorsque Scalfari, un peu plus loin, plaisante sur un possible risque de se faire convertir par le pape, celui-ci rétorque qu’il n’a nulle intention de le convertir, et il continue :

“Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive qu’après une rencontre j’aie envie d’en avoir une autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s’imposent. C’est cela qui est important : se connaître, s’écouter, élargir le cercle des pensées. Le monde est fait de routes qui rapprochent et éloignent, mais l’important est qu’elles conduisent vers le Bien”

Certes, par le Bien avec un “B” majuscule, le pape entend certainement Jésus Christ, et en effet, l’important est de marcher vers Lui. Mais pour revenir au début de la réponse pontificale, le travail de milliers de missionnaires pendant des siècles fut-il une absurdité ? Sans eux, sans leur prosélytisme, François n’existerait pas et Bergoglio ne connaîtrait pas Dieu. Est-ce absurde ?

Mais le plus inquiétant est pour la suite, puisque le pape François vire clairement au relativisme. A la question de savoir s’il existe une vision unique du bien ou du mal, ce qui mérite bien-sûr une réflexion très approfondie, le pape répond sans fard :

“Chacun de nous a une vision du Bien, et aussi du Mal. Notre tâche est d’inciter chacun à aller dans la direction de ce qu’il estime être le Bien.”

Ainsi, à chacun son bien, à chacun son mal. Et que fait-on de ceux qui, faute d’éducation ou faute d’intérêts concordants, ont une vision du bien qui conduit au mal ? Pas besoin d’être fou pour cela. Des nations très sereines constituent leur bien sur le mal, d’ailleurs le pape l’a dénoncé avec force dans son exhortation Evangelii gaudium. Ainsi, dans un entretien il dit une chose, et dans un document magistériel il en dit une autre…

Au cas où nous n’aurions pas compris quel relativisme l’anime, il repart à la charge un peu plus bas :

“Et je le répète ici. Chacun a une idée à lui du Bien et du Mal et chacun doit choisir de suivre le Bien et combattre le Mal selon l’idée qu’il s’en fait. Cela suffirait pour vivre dans un monde meilleur”

Ainsi, il n’y a plus de mal objectif ou de bien objectif… Deux mille ans de théologie peuvent aller se rhabiller ! Au vestiaire la prétraille !

Plus loin le pape précise que la propagation de la parole du Christ est de l’amour et pas du prosélytisme. Ouf ! Mais vous remarquerez que la notion est subtile. Digne d’un jésuite. Le pape ne se disait-il pas un peu candide et un peu fourbe dans un entretien précédent ? Nous en avons la démonstration.

Lorsque Scalfari parle du narcissisme de certains chefs de l’Eglise, François enfonce le clou :

“Vous savez ce que j’en pense ? Les chefs de l’Église ont été souvent narcissiques, en proie aux flatteries et excités à mauvais escient par leurs courtisans. La cour est la lèpre de la papauté.”

Bien sûr, on ne peut que donner raison au pape. Mais on ne peut aussi que déplorer son propos univoque et sans nuance. Il n’ignore pas pourtant quel détachement a animé nombre d’évêques, de cardinaux, de papes. Il n’ignore pas que si certains pontifes se sont comportés en monarques brillants, cela correspondait aussi à une époque, et que les trésors de leur cour, loin d’être une lèpre, chantent Dieu sur toute la gamme ! Bien sûr, les prélats vivant en grand seigneur sont parfois une honte. Mais pourquoi ne parler que d’eux ? Le pape a eu l’occasion, à plusieurs reprises de revenir sur ce sujet et de frapper toujours plus fort contre la hiérarchie de l’Eglise. Mais peut-être faudrait-il aussi réconforter les bons serviteurs et pas uniquement frapper les mauvais ?

A tout seigneur tout honneur, la suite de l’entretien, sur les figures de saints auxquelles le pape est attaché, sur le corps de l’Eglise et la place de la curie, sur la foi du pape sont autant de perles à méditer, dans la ligne des discours officiels du pape et de son enseignement magistériel.

Si nous ne devions donner qu’un seul de ces propos édifiants, voici celui que nous pourrions choisir :
“François d’Assise voulait un ordre mendiant qui fût aussi itinérant. Des missionnaires à la recherche d’occasions pour rencontrer, écouter, dialoguer, aider, diffuser la foi et l’amour. Surtout l’amour. Il avait ce rêve d’une Église pauvre, qui prendrait soin des autres, qui recevrait des aides matérielles et les utiliserait pour soutenir les autres, sans se soucier d’elle-même. Huit cents ans se sont écoulés depuis et les temps ont beaucoup changé, mais l’idéal d’une Église missionnaire et pauvre reste plus que fondé. C’est bien l’Église qu’ont prêchée Jésus et ses disciples.”

Mais ces paroles magnifiques ne sont qu’une piètre consolation face au relativisme post-moderne qui semble se dégager de cet entretien. Le pape y montre ce qu’il pense directement, sans la barrière de la relecture par une armée de secrétaires. On ne citera pas ses propos sur le groupe des huit cardinaux nommés par lui pour le conseiller dans la réforme du gouvernement de l’Eglise. Il y promeut une synodalité poussée, une Eglise horizontale et fait référence à la pensée du cardinal Martini, dont on se souvient que son testament politique, publié dans la Stampa et La Croix à l’automne dernier, défendait l’ordination d’hommes mariés dans l’Eglise latine, en dépit du fait que ce point ait été fermement rejeté par les papes Paul VI, Jean XXIII et Benoît XVI.

Justement, puisqu’il s’agit du célibat sacerdotal, c’est l’objet du nouvel entretien que le pape a accordé au même Scalfari, toujours aussi athée, ce 12 juillet 2014. Le pape, dans ce long entretien qui roulait sur l’éducation, la pauvreté, l’immigration, la mafia, la pédophilie dans l’Eglise, a également abordé la question du célibat sacerdotal. Il y tient le propos suivant :

“Il y a vraiment un problème, mais il n’est pas majeur. Cela prendra du temps, mais il y a des solutions et je vais les trouver.”
Ce sont des propos surprenants, en rupture avec le magistère et surtout appuyés sur un mensonge historique, puisque le pape soutiendrait que le célibat sacerdotal n’a été mis en place que 900 ans après la crucifixion de Jésus-Christ. Ce second point est une vieille lune anticléricale. Le premier historien venu, ouvrant Grégoire de Tours, y verra les pères conciliaires d’Orléans, en 508, défendre le célibat sacerdotal comme une règle fort ancienne. Les historiens plus chevronnés en retrouveront la trace dans les conciles du IVe siècle. 900 ans ? Vraiment ?

Evidemment, là encore, Lombardi démine le terrain et condamne des propos rapportés, qui ne sont pas ceux tenus textuellement par le pape. Mais ayant opéré ce tir correctif, Lombardi balance et précise que ces propos reflètent bien l’état d’esprit général et la forme de la conversation entre le pape et Scalfari.

Evidemment, ces propos sont inquiétants, car en tant qu’entretiens journalistiques, s’ils n’ont aucune valeur doctrinale, reflètent la pensée du pape sans travail de réécriture par ses bureaux, sans réflexion préalable. C’est son esprit brut qui se livre à nous.
Le pape François, d’une certaine manière, donne donc dans le relativisme post-moderne.

Alors pourquoi écrire vive le pape quand même ?
Parce qu’il n’est pas seulement François alias Bergoglio, il est le souverain pontife, le successeur de Pierre et exerce une fonction protégée et éclairée par l’Esprit Saint qui lui permet, dans le cadre de ses déclarations magistérielles, de toujours se situer dans la Tradition bi-millénaire de l’Eglise. Le Pape reste le pape quoiqu’il arrive. Tout comme le justiciable obéit à son juge, aussi imparfait soit-il, en respectant la loi et la décision considérée comme équitable, le chrétien continue d’écouter le pape et de lui obéir, en tant que dépositaire d’un pouvoir conféré par Jésus-Christ lui-même à saint Pierre.

Vive le pape quand même ! Parce que François a aussi écrit Lumen Fidei et Evangelii gaudium dont on n’incitera jamais assez à la lecture et dont nous avions, en leur temps, livré un commentaire et un résumé intégral.

Vive le pape quand même ! Parce que François a tenu, sur l’accueil des pauvres, sur le gouvernement de l’Eglise, sur le zèle évangélisateur, des paroles tonifiantes et conformes, avec son charisme propre, à l’esprit de ses prédécesseurs et des évêques qui composent l’Eglise universelle.

Vive le pape quand même ! Mais cela ne nous empêche pas, avec douleur, d’éviter de tomber dans la papolâtrie et de nous inquiéter de ces deux interviews.

Mais vive le pape quand même ! Auquel il faut obéir dans le cadre de son ministère et de ses fonctions pontificales. Qu’il faut aimer et écouter ! Pour lequel il faut prier car c’est entre ses mains que se nouent et se dénouent les affaires de l’Eglise universelle, c’est à dire nos affaires.

> Gabriel Privat anime un blog.

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10 Comments

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  • 0 / 10
  • cril17 , 19 juillet 2014 @ 12 h 02 min

    Vive le Pape quand même … ou comme » un concentré d’atmosphère de juin 1914, juin 1939 » … et de juillet 1789 ?… ***

    … ou » à la périphérie » de quelle catastrophe apocalyptique sommes-nous ?…

    http://cril17.info/

  • Droal , 20 juillet 2014 @ 20 h 43 min

    Il ne faut pas confondre le bijou & l’écrin. Dieu est le bijou et la religion est l’écrin.

    Maintenant les religions sans Dieu pullulent comme les vers dans un cadavre.

    Le François de Rome ressemble fort au François de Paris.

  • eljojo , 24 juillet 2014 @ 0 h 25 min

    Je crains que l’auteur de cet article n’aie un regard par trop superficiel sur la question du relativisme.

    Relisez attentivement cette interview (qui est plutôt un compte rendu d’entretien, en fait), et vous verrez qu’il n’y a rien que de très catholique là dedans, même si les termes employés peuvent paraître ambigus.

    Ainsi, c’est une évidence que de dire que si les gens cherchaient à servir ce qui leur paraît bien, le monde irait déjà mieux. C’est le sens du Gloria : “paix sur terre aux hommes de bonne volonté”. En soi, le désir de faire le bien est un premier pas vers Dieu, même si notre perception du bien est par définition biaisée, en raison de l’inclination au mal présente en tout homme.

    De même en ce qui concerne le prosélytisme, il ne faut pas prendre ce terme au sens antique, car effectivement il est bon d’être zêlé pour l’Evangile. En revanche, la connotation de contrainte présente dans le sens moderne du terme est elle profondément négative, et condamnable. C’est toute la fine distinction entre le témoignage et la pression psychologique, sociale, culturelle.

    Et de fait, “le sang des chrétiens est semence de martyrs”, c’est à dire que c’est le témoignage d’une vie donnée (“voyez comme ils s’aiment”) qui sera le plus efficace, d’autant plus dans une société si marquée par le besoin de d’émancipation personnelle.

    Je crois qu’il ne faut pas perdre de vue que si la foi est bien une certitude intérieure d’ordre surnaturel, elle est également un saut dans l’inconnu, parce que Dieu dépasse tellement notre intelligence, parce qu’il est le tout autre, et parce qu’il est volontairement discret, afin de respecter notre liberté.

    En ce qui concerne les grands maux de notre époque, il faut voir qu’il y a actuellement une idéologie dominante ultra-matérialiste qui tend à nier l’humanité de l’homme, pour le réduire à un statut d’animal intelligent et consommant. En soi, le chômage de masse, l’avortement, le divorce généralisé et la solitude massive sont des éléments liés, qu’il faut résoudre ensemble. Car la défense de la dignité humaine passe autant par la défense de la vie que par la défense du chômeur, du pauvre, de l’immigré. Il n’y a de droit à vivre cohérent que s’il s’accompagne à un droit de vivre dans la dignité.

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