Écrire et parler un bon français au travail : tout sauf une lubie élitiste !

N’en déplaise à ceux qui pensent qu’il est ridicule d’étudier La Princesse de Clèves au collège, la maîtrise de la langue reste un atout majeur dans la vie, y compris au plan professionnel. Et même davantage que par le passé !

À l’issue de la publication du dernier classement international Pisa sur les connaissances des élèves de 15 ans, la France est sous le choc. À en croire cette enquête réalisée par l’OCDE, le système éducatif français s’est en effet dégradé entre 2003 et 2012, tout spécialement en sciences et en mathématiques, un secteur dans lequel la France a perdu 16 points (1). De là à prévoir une concentration des moyens sur ces disciplines, il n’y a qu’un pas qu’il faudrait toutefois éviter de franchir.

Bien sûr, notre monde est saturé de nouvelles technologies. Bien sûr, l’économie est devenue mondiale. Mais est-ce une raison pour privilégier l’enseignement des sciences et celui des langues étrangères – c’est-à-dire de « l’anglais globish » – par rapport à celui du français ? Rien n’est moins sûr. Car désormais, la bonne maîtrise de la langue n’est plus seulement mise en valeur par les nostalgiques de la culture humaniste d’antan, de la République des lettres ou de l’idéal du gentilhomme, mais par les experts d’une discipline pourtant désignée d’un mot anglais, à savoir… le management !

Une véritable révolution qui, loin de relever d’un effet de mode, s’inscrit dans les mutations de l’économie contemporaine. Les experts en management, comme ceux qui le pratiquent au quotidien, ont tout d’abord pris note que la fin du modèle tayloriste modifiait considérablement les compétences qui permettent aux entreprises d’être efficaces. Comme l’écrit le coach de dirigeants Benoît Melet, « dans un contexte d’accélération du changement, de coexistence des différentes façons de travailler ensemble, d’environnements divers […], les entreprises se trouvent placées dans l’obligation de faire appel plus fortement que jamais aux qualités personnelles des acteurs : capacités relationnelles, d’adaptation, d’initiative, de créativité… » Si bien que les entreprises ont été amenées à « penser des formes d’organisation permettant que le sujet puisse s’exprimer pleinement dans des lieux où sa parole est réellement entendue » (2).

On ne saurait être plus clair : dans ce nouveau type d’organisation, la capacité à s’exprimer, à écouter et comprendre les autres devient essentielle. Si bien que, dans cet univers fondé sur la capacité à communiquer, les compétences de l’ingénieur ne suffisent plus. Le bon manager n’est plus tant celui qui détient le pouvoir et le savoir que celui qui s’avère capable d’en assurer le partage au sein d’un collectif de travail. Inutile de dire que de telles capacités sont plus facilement accessibles à ceux qui maîtrisent toutes les subtilités et les nuances de la langue.

Les patrons sont de plus en plus nombreux à souligner l’importance du savoir-être à côté du traditionnel savoir-faire. Et ce, dans tous les secteurs. « Lorsque j’étais ingénieur chez Philips, confie Jean-Claude Rassou, DG de Motorola Mobility France, je sentais bien qu’acquérir une crédibilité de leader supposait de sortir du profil technique. » De même, Vincent Prolongeau, directeur de Pepsico France, affirme qu’il « préfère l’intelligence – intellectuelle et émotionnelle à la compétence ». Les qualités humaines sont plébiscitées à commencer par les aptitudes relationnelles. « Un succès n’est jamais solitaire. Celui qui réussit, c’est celui qui sait travailler en équipe. Plus on grimpe dans la hiérarchie, plus la capacité à entraîner les autres fait la différence », souligne Elisabeth Fleuriot, présidente France de Kellog’s (3).

“L’on redécouvre dès lors que le regain d’intérêt pour la maîtrise de la langue n’est peut-être finalement que le révélateur d’un mouvement plus profond : celui de la redécouverte de la dimension humaine de l’entreprise.”

Des remarques qui s’expliquent aussi par l’effondrement simultané de l’autorité. Alors qu’un chef pouvait autrefois se contenter de donner des ordres à des subordonnés, il doit maintenant convaincre des collaborateurs. « La décision ne peut plus aujourd’hui s’imposer simplement parce qu’elle provient de l’échelon approprié de l’organigramme. Elle ne peut plus se passer de convaincre si elle veut être suivie d’effets », remarquent Éric Delbecque et Laurent Combalbert, auteurs d’un récent ouvrage sur le leadership en temps de crise (4). Si bien que la capacité à maîtriser la langue et même l’art de la rhétorique participe désormais des compétences clefs des chefs, à tous les niveaux de l’entreprise.

Ici encore, malheur à celle qui ne sait pas plaider sa cause avec des mots choisis. « Les leaders d’aujourd’hui doivent avoir des tempéraments de plaideurs. Ils doivent être capables de défendre, par la parole et l’écrit, les projets de leur organisation, exprimer une vision et forcer le mur de suspicion érigé entre l’entreprise et la société », renchérit Christophe Blanc, expert en communication d’entreprise. Difficile d’être plus explicite : aujourd’hui pour agir, pour créer et aller de l’avant, il faut aussi savoir parler (5).

Mieux : il faut savoir parler au cœur et aux tripes. Car un langage de raison ne suffit plus. D’où le succès croissant du concept de « QE », autrement dit de « quotient émotionnel » à côté de celui, bien connu de « QI ». Une évolution à nouveau bien identifiée par les chefs d’entreprise. Dans un ouvrage dédié à ce concept (6) par, Christophe Haag, Professeur à l’EM Lyon Business School, Xavier Huillard, directeur général de Vinci affirme « Il est primordial de prendre en compte les émotions, surtout dans nos métiers qui sont des métiers de gestion des hommes. […] Une entreprise, c’est d’abord du management, et ensuite seulement de la finance et de la stratégie. Et comme le management c’est de la psychologie et de l’intuition, comment ne pas prendre en compte les émotions ! »

Un constat que ne renierait sûrement pas Arnaud Nourry, le PDG de Hachette Livre, dont le métier d’éditeur l’amène à travailler la langue et les mots avec des auteurs sensibles, comme lui, à la fonction première de l’écrit. « Comme les éditeurs, les auteurs sont des passeurs de sens et de connaissances. L’intuition de l’auteur intervient dans sa rhétorique, car l’écriture est aussi un travail de projection dans l’interprétation et le ressenti du lecteur. Comment imaginer, en effet, qu’il soit possible de ‘séduire’ le lecteur sans le comprendre intimement ? » Dans cette perspective, le patron d’Hachette considère que « le travail de l’éditeur consiste en grande partie à améliorer l’expérience de lecture à travers l’ergonomie du texte. C’est presque un travail de design intellectuel. En cela, auteurs et éditeurs peuvent être perçus comme des architectes du sens. »

L’on redécouvre dès lors que le regain d’intérêt pour la maîtrise de la langue n’est peut-être finalement que le révélateur d’un mouvement plus profond : celui de la redécouverte de la dimension humaine de l’entreprise. Rien que de très logique, car l’amour et l’enseignement de la langue ont toujours été le socle de l’humanisme. Le langage n’est pas un attribut du snobisme ou une manifestation d’élitisme. Il est l’instrument qui permet aux hommes de communiquer, échanger et travailler ensemble.

1. Quand tout paraît chaotique, rien n’est encore perdu, par Benoît Melet, Editions Demos, 2008.
2. Quand tout paraît chaotique, rien n’est encore perdu, par Benoît Melet, Editions Demos, 2008.
3. Management, juillet-août 2011
4. Le leadership de l’incertitude ou la renaissance des organisations, par Éric Delbecque et Laurent Combalbert, Éditions Vuibert, mai 2010
5. La Lettre Alter&Go (www.alteretgo.fr)
6. Génération QE, par Christophe Haag et Jacques Séguéla, Éditions Pearson Education, octobre 2009

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8 Comments

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  • fleurdenavet , 18 septembre 2014 @ 18 h 13 min

    je vois que dans notre beau pays, le niveau de connerie n’a pas baissé.

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