Sécurité routière : ça ne marche pas, mais on s’en fout car ça rapporte

L’actualité joue parfois de facéties qu’il est difficile de ne pas voir et parvient souvent à équilibrer une nouvelle tragique avec une nouvelle réjouissante, le tout pimenté d’une subtile dose d’ironie que beaucoup feignent de ne pas sentir, journalistes en premier. Le domaine de la sécurité routière n’échappe pas à cet intéressant phénomène.

En France, la sécurité routière, c’est plus qu’un marronnier, c’est devenu une institution. Littéralement, même, puisque ce qui était au départ un souci d’ordre social est rapidement devenu une entité politique puis institutionnelle à part entière, avec son joli petit site web, ses moyens financiers, ses campagnes de propagsensibilisation, et ses associations satellites lucratives à buts variables comme la Ligue contre la violence routière, actuellement conduite à tombeaux ouverts par Chantal Perrichon.

radar-poubelleCe pilotage effréné aura permis à l’association de s’introduire avec constance dans les petits papiers des gouvernements successifs depuis les années 2000, ce qui se sera très concrètement traduit par l’apparition du permis à point, d’une avalanche de nouvelles obligations règlementaires comme le siège bébé et la baisse régulière du maximum d’alcoolémie autorisé. Elle n’est pas non plus étrangère à l’arrivée des distributeurs automatiques de prunes routières, mais elle arrive cependant après le lobbying permanent et agressif de certaines entreprises privées chargées de la mise en place des systèmes en question.

Radars dont l’implantation frénétique en France a toujours été présentée comme un facteur de sécurisation des installations routières du pays et dont le but officiel de réduire la vitesse moyenne des automobilistes en les surveillant assidûment à chaque instant de leur voyage a toujours été mis bien plus en avant que les éventuelles retombées financières que ces photo-matons de grand chemin génèrent pourtant.

Compte tenu de leur nombre, de la publicité qui fut et est encore faite pour ces appareils, et des moyens mis en œuvre pour les déployer, les Français s’attendent maintenant à ne plus constater qu’une seule tendance dans les accidents routiers : la baisse. Du reste, avec toute la mauvaise foi disponible lorsqu’il s’agit de s’attribuer une réussite, le gouvernement a régulièrement fanfaronné sur cette diminution drastique du nombre de morts sur les routes.

Pour rappel, le petit graphique suivant donne une idée de cette belle tendance. Notez que je n’y ai pas mis les années, ce qui permet de ne pas tricher sur l’arrivée des radars qu’on doit, en toute logique, situer au moment de la décrue la plus forte de la courbe.

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En réalité, les radars n’ont fait qu’entériner une tendance déjà en place, et le même graphique avec les années permet de bien comprendre la supercherie : le nombre de morts sur les routes décroît bien avant leur introduction et doit donc s’expliquer par d’autres facteurs que la seule apparition de la répression tous azimuts qui s’est mise en place depuis quelques années.

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Et ces éléments ne sont pas anodins puisqu’ils viennent corroborer la triste nouvelle que j’évoquais en introduction : les chiffres de la mortalité routière de septembre sont tombés il y a quelques jours et ils ne sont pas bons, puisque 30% de morts supplémentaires ont été constatés sur les routes françaises au mois de septembre 2016, soit 78 de plus qu’en septembre 2015.

Rapidement, des raisons sont trouvées : septembre 2015 avait été exceptionnel, la météo a été trop clémente cette année, favorisant les déplacements donc les accidents (alors que tout le monde sait qu’une météo exécrable réduit les accidents, pour sûr), bref, c’est « pas de bol » pour reprendre l’argumentaire ciselé d’un président de République.

Balayons tout de suite l’argument tout à fait juste qui veut qu’il est irréaliste de faire une analyse des tendances sur un mois unique, surtout lorsque le nombre de victimes est assez faible (on parle de moins de 400 personnes à l’échelle d’un pays de 65 millions d’habitants) ; après tout, lorsque ce nombre diminue comme on s’y attend, les mêmes analyses sont pourtant produites pour justifier l’emploi des radars qui, là, sont jugés responsables du bon résultat. D’autant qu’en plus, la tendance depuis 2013 montre surtout que septembre est parfaitement dedans, à savoir une augmentation des victimes de la route (de 3,5% de 2013 à 2014 et de 2,4% de 2014 à 2015). Zut alors.

En réalité, que les chiffres soient bons ou non, que la tendance montre une augmentation ou une diminution n’est que peu d’importance : dans le schéma global, il s’agit avant tout de toujours trouver de bonnes raisons de continuer la répression routière (avec – littéralement – des douzaines de mesures d’interdictions et de restrictions) et l’extension compulsive de la radaromanie à tout le territoire (500 de plus en trois ans et 10.000 leurres). Eh oui : comme les graphiques ci-dessus le montrent, ça ne marchait pas vraiment, ça ne marche plus franchement, mais on va continuer.

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Pourquoi ?

C’est justement là qu’arrive la seconde nouvelle, la « bonne » (du point de vue gouvernemental), qui remet en perspective les mauvais chiffres de la répression sécurité routière : si les résultats (sécuritaires) ne sont pas au rendez-vous, les recettes obtenues grâce aux radars continuent, elles, de grimper gentiment, à tel point qu’on devrait atteindre un niveau record (champagne, les amis, champagne !) en 2017 et titiller allègrement les 844 millions d’euros avant majorations, 991 après.

Frôler le milliard d’euros avec des automates, voilà qui explique très très bien pourquoi, que les résultats en terme de sécurité soient positifs ou non, la pluie de radars continue drue. Et peu importe que la vitesse moyenne des automobilistes français décroît d’année en année (prévue à 77 km/h en 2017 au lieu de 78,5 pour 2016), le nombre de radars augmentera.

Finalement, la politique sécuritaire en matière de transports est assez simple : lorsque le nombre de morts sur les routes diminue, on loue le bon résultat de la mesure, ce qui pousse à augmenter le nombre de radars et leurs déploiements sur tous les chemins de France. Lorsque le nombre de morts augmente, on blâme le relâchement de la part des automobilistes (qui ne se vérifie pas dans les chiffres), ce qui pousse à augmenter le nombre de radars et leurs déploiements sur tous les chemins de France. Pile je flashe, face tu paies.

Le gouvernement américain avait utilisé, avec cynisme, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 pour pousser ses lois sécuritaires à la Patriot Act qui ont abouti à toutes les dérives possibles. Le gouvernement français utilise certes les ressorts de la sécurité routière mais surtout le même cynisme pour mettre en place ses radars. Reconnaissons une certaine finesse aux politiciens français : là où le Patriot Act s’est traduit par des dépenses parfois énormes (TSA, par exemple), le programme de radars français aura le mérite, lui, de rapporter sans vergogne près d’un milliard d’euros dans les caisses de l’État.

Souriez, c’est vous qui payez.

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