«Un spectre hante l’Europe» : la déflation. Vraiment ?

Marx et Engels commençaient le Manifeste communiste, publié en 1848, en affirmant : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ». À lire les analyses des médias aujourd’hui, le nouveau spectre qui fait peur à tout le monde, ce serait la déflation. Quasi-unanimité des journaux, des dirigeants de Banques centrales, des politiques et des experts réels ou auto-proclamés : la déflation, voilà l’ennemi, qu’il faut combattre par la création monétaire. Est-ce si sûr ? Est-ce si grave ? Est-ce qu’on n’est pas en train de se tromper de cible et, en prétendant combattre la déflation, ne crée-t-on pas des bulles spéculatives et l’inflation de demain ?

Où est la déflation, quand les prix progressent ?

La déflation est-elle à nos portes ? À en croire notre confrère Le Monde, cela ne fait pas de doutes : « Gare au piège déflationniste » « Déflation, l’Europe se divise ». Heureusement, « la BCE prête à tout pour lutter contre le risque de déflation ». Mais Les Échos ne sont pas en reste : « Le spectre de la déflation resurgit dans l’hexagone. Le recul de l’inflation fait peser une menace ». Bref, la déflation, voilà l’ennemi, et l’ennemi n’est même plus à nos portes, il est dans la place.

Voyons d’abord les chiffres. Le dernier communiqué de l’OCDE en matière d’inflation est daté du 6 novembre. On y apprend que, pour les douze mois entre août 2012 et août 2013, la hausse des prix a été pour l’ensemble de l’OCDE de 1,5%. Ce n’est pas exactement une déflation, qui, elle, se traduirait par un recul du niveau général des prix. Mais la déflation est-elle en Europe ? On observe 1,3% dans l’Union européenne (les 28) et 1,1% dans la zone euro (les 17). Pour douze mois se terminant en octobre, la zone euro annonce 0,7%. En France même, très touchée selon nos confrères, la hausse des prix a été de 1,0%, selon les indices harmonisés et 0,6% selon le dernier indice INSEE.

La modération des prix est une bonne nouvelle

On admettra que c’est une hausse faible, modérée, mais nous aurions tendance à dire que c’est une bonne nouvelle. C’est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat : à un moment où il est en souffrance avec la baisse des revenus, il échappe à l’érosion due à la hausse des prix. Un plein d’essence un peu moins cher, c’est toujours ça de pris. C’est aussi une bonne nouvelle pour la compétitivité de nos pays : dans le cadre de la mondialisation et d’une concurrence internationale sévère, mieux vaut avoir des prix relativement sages. Mais de façon plus générale, c’est une bonne nouvelle pour la santé de l’économie, parce que le calcul économique est plus rigoureux avec une monnaie stable : entreprises, épargnants, investisseurs ne se sont pas trompés par les faux prix liés à la spéculation, qui aboutissent à rentabiliser des activités improductives. L’inflation c’est la victoire de la cigale sur la fourmi. Le calcul économique des entreprises et des ménages a besoin de s’appuyer sur des prix relatifs fiables, significatifs, donnant une information sincère sur la vraie valeur de marché.

Par contraste l’inflation crée désordres et gaspillages, et ruine les bases mêmes de la société. De la chute de Rome à la République de Weimar en passant par la Révolution Française, les exemples historiques des dangers mortels de l’inflation, aussi bien pour l’économie que pour la politique, ne sont que trop nombreux.

Mais que disent les angoissés de la déflation ? Que c’est la pire des maladies. Ils ignorent donc les chaos inflationnistes, ils déplorent que les salaires ne progressent pas assez vite. Ils en oublient qu’en inflation les salariés sont payés avec de la monnaie de singe, et que des coûts plus élevés ruinent la compétitivité.

Oui, l’économie va mal…

Pour étayer leur argumentation, les angoissés de la déflation mettent en avant la situation des pays du sud de l’Europe. Ces pays ont des déficits extérieurs et des coûts de production trop élevés. S’ils avaient chacun leur monnaie, cette situation se traduirait par une perte de valeur de leur monnaie et une dévaluation. Cette adaptation par les taux de change n’aurait sans doute qu’un effet éphémère en l’absence de changements structurels, mais elle permettrait un sursis qui pourrait être exploité pour de vraies réformes.

Mais avec la zone euro, plus de dévaluation possible puisque les monnaies nationales ont disparu, donc plus d’ajustement par les taux de change. Alors, la seule adaptation possible est par les coûts de production y compris salariaux. Les excédents allemands s’accompagnent d’une relative stagnation des salaires en Allemagne, et c’est ce qui met cette économie sur le chemin du redressement.

Oui, mais c’est précisément ce qui fait réagir ceux qui dénoncent les dangers de la déflation. Comme l’économie va mal, il faudrait au contraire augmenter les salaires, distribuer du pouvoir d’achat, pour relancer la croissance et l’emploi. On en revient ainsi à l’éternelle erreur keynésienne : dépenser pour sortir de la crise. Mais qui peut croire que le chômage massif disparaît en gonflant des revenus factices ? Ce tour d’équilibriste ne peut se faire qu’en injectant de la monnaie dans le corps économique. Mais n’est-ce pas ce qui se fait déjà, et pour quel résultat ? En Europe comme aux États-Unis, les pays croulent déjà sous la création monétaire et le taux de base des Banques centrales est proche de zéro. Veut-on un taux d’intérêt négatif ? Le laxisme monétaire n’a en rien empêché la récession et Le même Monde qui crie contre la déflation titrait il y a peu que les relances monétaires n’avaient servi à rien. Est-ce que doubler la dose du drogué peut le guérir de son addiction ?

Ce n’est pas le laxisme monétaire qui la guérira

Ceux qui estiment que nous sommes en déflation et qui proposent une création monétaire accrue, sont les mêmes que ceux qui ont proposé et obtenu en 2009, face à la récession, une relance budgétaire. Cela a relancé à coup sûr quelque chose : les dettes souveraines et on a provoqué la crise de l’endettement public. Les keynésiens ont été pris au piège de la relance budgétaire, ils se rabattent maintenant sur une relance monétaire. Mais ils repassent toujours le même plat. Tout d’abord, ils éliminent leurs responsabilités dans la crise engendrée par les déficits budgétaires, en prétendant, comme l’ineffable Paul Krugman, que c’est la politique de réduction des déficits qui a créé la stagnation : on ne serait pas allé assez loin dans la relance budgétaire, donc on a aggravé la récession et créé la déflation.

Ensuite, ils soutiennent que le financement des déficits par la création monétaire est une bonne chose et ils applaudissent aux politiques monétaires « non conventionnelles » – c’est-à-dire sans limite – menées par la FED, imitée maintenant par la BCE sous l’impulsion de Mario Draghi. Comme l’expansion monétaire sert surtout à faire crédit aux Etats, directement ou indirectement, le tour de magie est opéré : on fait d’une pierre deux coups, on assouplit la gestion des finances publiques tout en distribuant du pouvoir d’achat pour tous.

Certes, ces savants nous expliquent que la drogue monétaire n’est pas dangereuse. La preuve : les bilans des banques centrales explosent et les prix restent sages. Oui, mais l’inflation peut revenir brutalement et, en attendant, elle s’est déversée dans les pays émergents : plus de 10% d’inflation en Inde ou en Argentine, plus de 8% en Indonésie, autour de 6% au Brésil, en Russie ou en Afrique du sud. D’autre part, ces politiques monétaires laxistes provoquent des bulles spéculatives, semblables à celles qu’on a vues dans l’immobilier ou sur les places boursières et qu’on retrouvera ailleurs demain. Étrange politique que celle qui consiste à critiquer la « spéculation » qui se produit sur les marchés tout en fournissant l’aliment monétaire qui rend cette spéculation possible !

Si la déflation est actuellement un fantasme, le spectre véritable, c’est la récession et le chômage. Il n’a pas de cause monétaire. Dans une interview au Monde du 16 novembre, Michael Heise, économiste chez Allianz à Munich affirmait que « la reprise doit se faire grâce au redémarrage de l’économie réelle, pas grâce aux liquidités de la FED ou de la BCE ». La baisse des salaires est une remise à niveau en Europe du sud, qui contribuera à cette reprise. Là où les rigidités sont trop grandes, comme en France, l’ajustement ne se fera pas. Au fond, tous ceux qui affirment craindre la déflation sont ceux qui refusent les réformes réelles de l’État, des prélèvements excessifs, des rigidités règlementaires, pour nous proposer l’illusion monétaire. Ces étranges médecins nous offrent un peu plus de drogue pour mieux fuir le réel.

> Cette tribune est publiée en partenariat avec l’ALEPS.

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10 Comments

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  • Charles , 18 décembre 2013 @ 19 h 53 min

    Pour Clément
    Vision simpliste et marxiste de la variation des prix.
    La déflation actuelle n’a rien de vertueux.

    Elle est la conséquences des 7 facteurs suivants:

    1.Ouverture sans limite des frontières aux marchandises
    et services venus à bas prix venus du monde entier.
    ces prix bas étant liés au dumping social,monétaire et écologique.

    2.Pression à la baisse des salaires faibles du fait des arrivées
    illimitées des clandestins du grand sud,prêts a tout faire
    à n’importe quel prix dans tous les domaines,y compris la prostitution.

    3.Sur-fiscalité continue sur les petites et moyennes entreprises
    (et non pas sur les grandes) qui doivent sacrifier leurs marges pour survivre.Leurs prix de ventes ne comprennent plus (ou peu) de contribution aux amortissements et aux recherches et développement
    L’entreprise cherche à maintenir son volume de ventes a minima pour survivre.Elle ajuste donc ses prix à la baisse aux dépends
    de son développement.

    4.Les nouvelles embauches se font a des niveaux inférieurs aux niveaux antérieurs.Les jeunes et les chômeurs sont obligés d’accepter les nouvelles conditions incohérentes avec le niveau de compétence.
    Exemple;Temps partiel comme caissière chez carrefour
    avec un bac +5 à 500€ /mois.
    Autre exemple: Assistante commerciale quadrilingue au smic.

    5.Blocage des capitaux longs privés liés au blocage des transactions immobilières sur l’ancien.Chaque année une partie du parc ancien est mis sur le marché du simple fait des décès (et départs en retraite ou en maison de retraite).Il n’y a plus d’acheteurs du fait de la baisse continue des prix (on attend)et de la baisse des salaires et de la hausse des impôts.
    Les vendeurs refusent de baisser les prix suffisamment
    et les acheteurs ne peuvent pas acheter à ces prix.

    6.Blocage des prêts immobiliers par les banques compte tenu de ce qui précède:Incertitude sur les revenus,sur les emplois,
    sur les valeurs immobilières (en baisse).

    7.Blocage des chantiers neufs ,à la fois du fait de la chute de la demande et du fait d’un niveau incompressible des coûts de construction en neuf qui placent les logements neufs a des niveaux trop éloignés des prix des logements anciens qui baissent ou qui “vont” baisser.Les acheteurs attendent et en attendant,
    les entreprises du BTP licencient…

    Vous répondez quoi à ces 7 points????

  • Pierre sur , 18 décembre 2013 @ 20 h 47 min

    La déflation ne fait peur qu’aux banquiers, aux spéculateurs et aux épargnants.
    Mais aujourd’hui, nombre de citoyens ne veulent plus de cette Europe, ni de L’euro.
    Ils souhaitent un retour en arrière sur l’ouverture des frontières, la libre circulation de l’argent, des personnes et des marchandises.
    Ils souhaitent reprendre leur sort et leur avenir en main, et ne plus le laisser à une clique de politiciens aux ordres des loges franc-maçonnes, du Braïn-Brit, et des grands banquiers juifs

  • johnDeuf , 18 décembre 2013 @ 23 h 37 min

    Déflation et croissance ne sont pas du tout antinomiques. L’Amérique a connu une croissance après la guerre de sécession et une déflation. Ca a été une période de prospérité.
    Par contre il y a assez de moyens de paiement monétaires en circulation et le fonctionnement de la planche à billets va encore une fois de plus entraîner une crise nouvelle.
    Que les néo keynésiens nous foutent la paix et laissent le marché fonctionner sans intervention aucune et cela ira mieux. Toutefois il est indispensable en France de faire une réelle décentralisation en commençant par mettre la plupart des ministères en province qui seront suivis par les sièges sociaux des sociétés travaillant avec et ainsi de suite ce qui permettra de mettre un terme aux gabegies budgétaires comme le grand Paris de Sarkozy, éminent économiste, ou la constitution de métropoles, ces monstres hideux qui ressemblent aux politicards actuels, les Juppé, Hollande, Borloo, Bayrou, Barouin ..j’en passe et des meilleurs .

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