Moral des industriels en « hausse bémol »

A gauche comme à droite se pose la question d’une réforme d’un droit du travail peut-être trop contraignant pour les entreprises. Un débat qui s’ajoute au problème global d’une France au nombre incalculable de normes. Les industriels espèrent ainsi voir des améliorations vers un système français davantage prompt à amener à maturité ses champions en gestation… Le choc de simplification et de compétitivité pour maintenant ?

Selon un rapport de l’INSEE, en 2015, « les industriels sont plus optimistes sur les perspectives générales de production du secteur dans son ensemble. » (1) Le moral est donc globalement bon et les entrepreneurs semblent avoir repris confiance en l’avenir. Cependant, plusieurs freins perdurent toujours, entravant le développement optimal de bon nombre d’entreprises et la reprise nette de la croissance.

Agro-alimentaire, aéronautique, automobile, la France possède de nombreux domaines d’excellence industrielle. Et pourtant, son système économique peut être perçu comme fonctionnant à deux vitesses. Ainsi, la force économique du pays se diviserait entre de grands groupes industriels mondiaux d’un côté, et de nombreuses PME innovantes de l’autre. Mais ces dernières ne trouvent pas toujours le soutien nécessaire pour développer comme il se doit leur potentiel de croissance… Un problème qui ne tient pas à leur manque d’expertise, loin de là. Mais si l’état de santé global des industries est satisfaisant, il pourrait néanmoins être meilleur puisque tous les ingrédients du succès semblent présents…. D’où vient ce paradoxe français entre discours pro-innovation et difficultés à soutenir les PME ?

Quels freins pour la nouvelle France industrielle ?

La France, championne des normes complexes et pas toujours cohérentes : tel est le premier frein dont souffre le milieu entrepreneurial. En décembre 2013 déjà, un article de Mediapart accusait « ces normes qui tuent la France ! » (2) « Millefeuille de contraintes », « lourdeur des dossiers d’autorisation », l’article dépeignait un véritable « fouillis » administratif pesant sur la compétitivité des entreprises. Avec plus de 400 000 normes à son actif, la France fait étalage d’une complexité administrative nuisible. Par exemple, comme l’expliquait en 2014 Jean Ferrando, de l’Union nationale de la propriété immobilière (Unpi), la multiplication des normes de construction fait qu’ « avant 2000, on bâtissait à moins de 1.000 euros le mètre carré. On en est aujourd’hui à 1.480 en moyenne, essentiellement à cause de toutes ces normes ». (3)

En plus d’être entravées par ce système normatif toujours plus compliqué, nombreuses sont les PME qui voient leur croissance freinée du fait d’un manque de moyen et d’une difficulté à accéder aux marchés publics qui restent aux mains des grands groupes industriels. De ce constat, le Sénat a remis un rapport jeudi 15 octobre afin « de faciliter l’accès des PME à la commande publique » (4). Car en l’état, l’opacité, la complexité et les stratégies de globalisation des appels d’offres publiques réduisent la capacité des PME à proposer une réponse… Le cas emblématique de la Poste qui a préféré acheter un lot de 3 000 scooters Taïwanais alors qu’existait une offre française chez Peugeot a à l’époque soulevé de nombreux mécontentements. La direction de Peugeot Scooter fera part à l’époque de sa « déception ». Hasard du calendrier ? La filiale Peugeot Scooters était revendue à l’Inde quelques temps après…

Cet exemple illustre d’une certaine manière le « gâchis » causé par un modèle qui, au lieu de porter ses jeunes entreprises et d’appliquer concrètement ses discours sur le « made in France », constitue « un réel frein et vient entraver l’émergence de futurs champions qui, pour de mauvaises raisons, voient leurs technologies écartées des processus de sélection des acheteurs lors de réponses à appels d’offres. » (5) Comme le dit Jean-Lou Blachier, « un effort de pédagogie à faire » du côté des autorités responsables des marchés publics. Les marchés publics devraient ainsi jouer davantage leur rôle d’aubaine de développement pour les PME. D’autant plus que du côté des PME,on constate une dégradation de la situation, notamment dans les appels d’offres pour l’entretien des infrastructures et la construction : « les marchés sont de moins en moins nombreux. Les dotations aux collectivités diminuent et les investissements aussi. Ces dernières économisent parfois sur l’entretien des réseaux d’eau et de ponts, au détriment du BTP et de la qualité des ouvrages. Le secteur est en difficulté », s’alarme ainsi Hugues Marron, dirigeant de la PME Marron BTP, à Barjac (6). Raison de plus pour favoriser les entreprises nationales en intégrant par exemple des critères environnementaux ou encore des conditions en termes de droit du travail. Ces initiatives seraient susceptibles de favoriser les entreprises françaises sur des appels d’offres ouverts à la concurrence internationales. La plupart des industriels attendent beaucoup des déblocages qui doivent advenir de ce côté-là, pour autant qu’ils réussissent à disposer des fonds nécessaires.

Miser sur l’innovation… et son financement

Avec tant d’entraves structurelles, comment expliquer que les industriels gardent le moral ? La confiance est toujours là car ceux-ci savent qu’ils ont le savoir-faire, les capacités et les idées. Il ne leur manque plus que le petit coup de pouce pour amener leurs entreprises au rang auquel elles peuvent prétendre… Ce coup de pouce prend souvent la forme d’investisseurs, dont la France manque encore.

Des partenariats se sont ainsi mis en place afin de pallier ce problème, à l’image d’EDF qui créer dès 2012 son fond d’investissement pour l’innovation : Electranova Capital. Grâce à ces initiatives, de nombreuses entreprises innovantes telles Forsee Power sont parvenues à faire reconnaitre leur savoir-faire. Ces partenariats sont essentiels puisqu’ils permettent à Forsee Power de passer à terme le cap du quantitatif en disposant des ressources suffisantes pour répondre à la demande… « Nous sommes noyés par les projets possibles, nous devons les trier ! » (7). Cette déclaration du PDG de Forsee Power Christophe Gurtner reflète ainsi cette contradiction entre des entreprises qui ne manquent pas d’expertise ni d’enthousiasme mais qui se retrouvent freinées par leurs difficultés à réunir suffisamment de fonds pour réaliser les investissements nécessaires. L’entrée en Bourse de de Forsee Power prévue pour 2016 témoigne d’une nécessité pour ces fleurons industriels français d’obtenir une réponse institutionnelle adaptée à leurs besoins de fonds de roulement. Investir dans l’innovation est donc à encourager puisque ce soutien d’Electranova Capital a permis à Forsee Power de passer « du statut de nouvel entrant à celui de sérieux challenger pour les géants du secteur. » (8)

Electranova Capital tire ainsi de sa politique Open Innovation un bilan positif qui confirme bel et bien la pertinence de ce pari audacieux. Poursuivant sur sa lancée, mais dans le domaine des startups, le fond investissait dans sa huitième startup en mai 2015. Ces fonds d’investissement représentent de réelles opportunités pour ces entreprises : sans l’aide de partenaires historiques comme BpiFrance, Electranova Capital et Foxconn, la startup Actility spécialisée dans les solutions de réseaux et de services liés à l’Internet des Objets aurait surement peiné à lever les 25 millions d’euros qui lui permettent désormais d’étendre son expertise au marché mondial. « Nous sommes ravis d’être associés à des leaders de premier plan pour conquérir le marché des objets connectés » a expliqué Olivier Hersent, PDG et fondateur d’Actility. (9)

Les PME et startups représentent le sang neuf de l’économie et il est donc nécessaire de pérenniser ce début de réponse à leurs besoins de fonds de roulements. Dans un monde économique abreuvé par les discours de compétitivité exacerbée, miser sur l’innovation et la nouveauté semble tout indiqué. Nous avons le qualitatif, faisons du quantitatif ! Les idées sont là, les capacités des industries aussi, il ne reste qu’à passer à la concrétisation des discours sur l’importance du « made in France ». Nous avons de nombreux champions, des grands mais aussi des petits. A nous désormais d’en favoriser l’éclosion, quitte, en matière d’innovation, à prendre des risques…

Notes :
(1) http://www.lepoint.fr/economie/france-climat-des-affaires-et-moral-des-industriels-en-hausse-22-07-2015-1950572_28.php
(2) http://blogs.mediapart.fr/blog/theo-rifumeuse/041213/ces-normes-qui-tuent-la-france
(3) http://www.capital.fr/immobilier/actualites/l-immobilier-neuf-bientot-libere-des-normes-qui-font-flamber-le-prix-du-metre-carre-944300
(4) https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-soutien-a-linnovation–un-levier-fondamental-pour-les-Start-ups–21228842/
(5) http://www.lesechos.fr/journal20151015/lec1_france/021404348081-le-senat-veut-faciliter-lacces-des-pme-a-la-commande-publique-1165750.php
(6) http://www.objectifgard.com/2015/11/10/leco-du-mardi-appels-doffres-publics-ces-entreprises-qui-se-regroupent/
(7) http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/021395638690-energie-solaire-les-solutions-de-stockage-commencent-a-trouver-leur-marche-1164321.php
(8) http://www.journaldeleconomie.fr/Marche-des-batteries-rechargeables-Forsee-finalise-le-rachat-de-Dow-Kokam-France_a332.html
(9) http://www.maddyness.com/finance/levee-de-fonds/2015/07/01/actility/

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