“Lettres beninoises”, une politique-fiction pour réveiller la France
Nicolas Baverez est connu comme l’analyste du déclin français. Ce moderne Cassandre nous l’a décliné sous toutes ses facettes. Économiste et historien, il n’est pas toujours prophète en son pays : son libéralisme y fait de lui un Persan ou un Béninois, Aussi pour mieux se faire entendre utilise-t-il le procédé de la distanciation des Lettres Persanes de Montesquieu. Le résultat est saisissant. Le héros de ce conte moral et terrifiant est Alassane Bono, un Béninois élu à la tête du FMI. L’histoire se passe en 2040 à Paris. Elle est une extrapolation de notre modèle irréformable et du déni contemporain de la réalité des changements du monde, auxquels, obstinément, les Français refusent d’accorder la moindre importance.
Chronique d’une débâcle annoncée
Cela nous donne une France, pauvre d’un côté, et immensément riche de l’autre, des régions entières qui sont transformées en bidonvilles sans fin où la loi de l’État français ne s’applique plus depuis belle lurette. On ne sera pas surpris d’y trouver le 93, gigantesque zone de non-droit abandonnée aux trafics et aux bandes qui assurent leur ordre propre loin de toute souveraineté de l’État. Mais aussi la région Rhône-Alpes qui s’est réformée et a fait sécession, s’alliant aux villes dynamiques de l’Italie du Nord (l’histoire ne dit pas si cette dernière a elle même abandonné le Mezzogiorno) et d’Allemagne du sud sous le nom de Ligue lotharingienne ! Tandis que Strasbourg se tourne vers l’Allemagne mais souffre du fait que les Allemands redoutent de l’Alsace qu’elle serve de zone de passage pour les « refugiés » français… Enfin, l’État à l’agonie dirigé par la même caste qu’aujourd’hui toujours aussi incapable d’enrayer un destin fatal. Une France qui a fini par quitter l’euro et a saboté littéralement l’Europe. Notre rédacteur écrit principalement à sa femme Stella, à la tête d’un empire médiatique, fille d’une des premières fortunes d’Afrique. Alassane Bono reconnaît avoir une dette à l’égard de son éducation française et veut aider la France par reconnaissance pour ses professeurs. Il tentera de la sauver des dettes abyssales, par une énième aide financière (après déjà trois plans d’assainissement du FMI, en 2025, en 2029 et en 2034). Autant dire qu’au sein du quartette chargé d’examiner les finances de la France, personne n’y croit. Le récit est loin d’être technique, il entretient un véritable suspens agrémenté de dangers réels liés à l’insécurité du pays, il se lit comme un roman haletant dans une France qui n’est plus riche que du règlement de ses taxes (les prélèvements obligatoires atteignent 75% du PIB), de ses retraités et de ses chômeurs. La France qui produit, qui invente résiste parfois dans des lieux résiduels ou s’est exilée et forme une diaspora offshore tolérée par le pouvoir parce qu’elle envoie de l’argent au pays. On y voit une VIe République improbable, dont l’invention n’a pas pu enrayer la machine infernale. Pendant le temps qu’il passe à Paris, tous, à Washington, pressent Bono d’abandonner sa francophilie et de ne pas se compromettre, lui qui veut se représenter à la présidence du FMI. Tout au long du livre, notre héros poursuivra la chimère du sauvetage de la France contre le monde qui la regarde avec mépris et commisération. Ce livre a les vertus de l’essai même si d’aucuns lui feront le reproche de forcer le trait. Mais Baverez avait déjà dit aux Français de se réveiller (Réveillez-vous !, Fayard, 2012). Cette fois l’essai se double d’une dimension littéraire tant chacune des lettres constituent autant de séquences d’un drame en plusieurs actes dont l’une, qui met en cause les services secrets, est digne du meilleur polar.
Geoéconomie et géopolitique-fiction
Mais il est une dimension du livre auquel l’auteur n’a peut-être pas principalement pensé, c’est aussi la projection géopolitique ou géoéconomique. Abordons les Trente Glorieuses du continent noir : celui-ci aurait décollé et joue désormais un rôle important dans les instances internationales. On trouve dans le quartette en charge du problème de la dette française, un Brésilien et, bien entendu, un Chinois. Zhu, le Chinois, est le plus résolu à exécuter la France, incapable d’équilibrer ses comptes, par l’arrêt de tout financement par la Chine. Le quatrième est un Américain, Mac Arthur, Washington demeurant une capitale influente. La France a dû renoncer à son poste au Conseil de sécurité de l’ONU et ne détient plus qu’une participation résiduelle dans le capital du FMI. On lit que le Brésil éprouve de grandes difficultés, quoique demeurant une grande puissance, en raison de son déficit d’infrastructures et de réformes tandis que le Mexique et la Colombie creusent l’écart avec lui non sans une certaine vraisemblance. « Il n’y a plus ni Nord ni Sud ni pays développées ni émergents, il n’y a que des nations et des États qui réussissent à se moderniser en permanence et ceux qui dévissent », voila en quelque sorte le nouveau paradigme de la croissance mondiale qui n’est pas non plus sans vraisemblance même s’il conforte manifestement la thèse de l’auteur sur la France. Dans cette analyse, les USA ne sont plus les gendarmes de la planète mais ils ont su résister à une nouvelle crise bancaire grâce à la vitalité de la Corporate America. On y voit une Chine puissante mais secouée épisodiquement pas son économie de bulles, une Corée réunifiée, un Vietnam, un Mexique, un Nigeria – ce dernier porté par le miracle africain – riches qui soutiennent la candidature de Bono à la présidence du FMI. Une Turquie prise en tenaille entre la longue guerre civile du monde musulman qui oppose Chiites et Sunnites et les troubles européens. Car en Europe, seule l’Allemagne demeure dans le classement des 10 premières nations. L’Inde, désormais le pays le plus peuplé de la planète (on s’y attendait un peu), est victime de sa bureaucratie, rien de bien original. En revanche, la Russie ne s’est pas montrée capable « d’échapper à la malédiction de ses richesse naturelles » mais on ne sait rien de son rôle proprement géopolitique dans les Balkans eurasiatiques et l’on peut douter de cette malédiction lorsqu’on lit par ailleurs combien les États du golfe ont su se développer à partir des mêmes richesses naturelles. Ainsi, Doha est devenue le centre mondial du marché de l’art en concurrence avec Shanghai, avec sa biennale où œuvre la fille de notre directeur du FMI. Mais, par-dessus tout, le golfe de Guinée voit affluer les cerveaux, les capitaux les entrepreneurs, grâce à un exceptionnel réservoir de main d’œuvre, une population de mieux en mieux formée et à 60% urbanisée (projection hautement probable au vu des évolutions actuelles), une classe moyenne en pleine ascension, des bidonvilles éradiqués. Les Trente Glorieuses africaines ont été marquées par une croissance soutenue de 8% et son moteur réside dans le vaste marché intérieur du continent. La création du Très Grand Marché africain en 2027 a accéléré le processus avec une forte différence avec l’Asie car le continent noir a su préserver, dans sa croissance, son développement durable appuyé sur ses immenses réserves d’eau et de ressources naturelles. L’Afrodol est une monnaie sure et les capitaux en quête de rendement affluent vers cette monnaie commune (précision qui a son importance : elle n’est pas monnaie unique). Et pendant ce temps en France, il n’y a plus de Défense et plus de Françafrique, il ne reste à notre pays que la Légion étrangère qu’elle loue aux autres États moyennant finance tandis que le siège d’Airbus s’est installé à Hambourg au détriment de Toulouse. À Bruxelles, le palais de Berlaymont, « jadis ruche bourdonnante, ressemble désormais à une maison fantôme », l’Unesco à quitté Paris pour Berlin. L’Union n’est plus qu’une coquille vide, les politiques communes ont été renationalisées et l’Europe prise en otage par la France. Le couple franco-allemand a divorcé lors de la deuxième restructuration de la dette française. Les Allemands on refusé à 82% l’union avec la France, échec d’un référendum qui a précipité l’explosion de la zone euro. Celle-ci a été remplacée par la zone euromark qui couronne une puissante zone économique s’étendant de la mer du Nord à l’Oural. Outre-Manche c’est la prospérité, Londres se paye le luxe de se réindustrialiser et de profiter de l’immigration massive de la main d’œuvre… française, surdiplômée ou analphabète. Celle-ci afflue pour ne pas repartir. Dans ce vaste tableau, il manque néanmoins une dimension : la puissance et les (dés)équilibres de la puissance, singulièrement absents. Nicolas Baverez se cantonne en effet à la seule dimension économique et si, en effet, on voit bien l’abaissement de la France, on ne saurait dire qui a vraiment la puissance, le leadership mondial et qui s’y oppose, sauf à supposer l’avènement du smart power, hypothèse pour le moins optimiste.
Nous tairons la chute des Lettres béninoises quoiqu’elle se laisse deviner. Ce roman épistolaire, Baverez l’a écrit sans dissimuler son nom, comme le fit Montesquieu qui craignait la censure. Il en existe une autre, contemporaine et plus insidieuse, ne prolongeons pas le déni dénoncé dans ces Lettres en ne leur assurant pas le succès que connurent celles de son illustre prédécesseur.
> Nicolas Baverez, Lettres béninoises, Albin Michel, 2014.
Quand sera passé ce qui doit arriver, simple citoyen lambda, je parie que la France pouilleuse de ce début de siècle sera redevenue, en 2040 ?, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un phare pour les nations de la terre !
Tant que les français voteront pour des abrutis, et que 70% des sympathisants de droite souhaiteront le retour de l’incompétent menteur Sarkozy, ou le démagogue bien pensant Juppé, rien ne changera. Quant à MLP, elle fait passer son parti avant son pays. On n’est pas sorti des ronces.
J’admire Baverez pour sa lucidité, mais là il plaisante sans doute.
Des “trente glorieuses africaines” avant 2040, il faudrait qu’elles aient déjà commencé
Baverez a dû se tromper de siècle. Mais même en 2140, je n’y crois pas.
J’aime les Africains pour ce qu’ils sont, mais rien dans leur mentalité ne les prédispose a un essor économique tel que le décrit Baverez.
Néanmoins la croissance africaine aujourd’hui est supérieure à 5% malgré les guerres civiles,un taux à comparer avec celui de la France en 2013 :0,3%!
Les pourcentages marchent-ils comme les statistiques? Croissance africaine de 5%, mais 5% de quoi? Si on part de pres de zero, 5% ce n’est pas encore l’Eldorado.
En effet.
De plus, cette fiction me laisse comme un ressenti de cette éternelle focalisation sur les seuls problèmes de la France (bien connus) alors qu’il y en a d’autres aussi graves de conséquences. Bref, çà sent tout de même la glorification d’un monde où les esclavagistes dominent avec l’admiration imaginaire de l’auteur.