Les électeurs ne sont-ils que des spectateurs ?

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Progressivement la politique a basculé du côté du spectacle. Certes, l’apparat du pouvoir comme les joutes électorales participaient depuis longtemps au domaine du spectaculaire, mais non du divertissement, si on met à part quelques personnalités hors du commun. Mais les politiques restaient maîtres du jeu. Simplement, la mise en scène leur échappait peu à peu. Certains commençaient à se laisser toiser par quelques journalistes ou animateurs innovants. Le renversement s’est opéré avec Sarkozy lorsque la communication a pris le pas sur l’action, lorsque la vie privée a été révélée au grand jour et minute par minute, lorsque les ministres n’ont été choisis ni pour leur autorité ni pour leur compétence mais comme on élabore une distribution cinématographique. Désormais le quatrième « pouvoir » devenait le premier et se chargeait de la production. Avec Hollande et ses confessions régulières à deux journalistes du Monde, le basculement devenait impressionnant et semble irréversible. Désormais, c’est le microcosme médiatique, ses préférences et ses orientations dominantes qui dessinent le paysage politique. Les journalistes sont évidemment moins légitimes que les élus, mais ils peuvent choisir les événements importants et le sens qu’il convient de leur donner. Ils peuvent notamment établir une relation fructueuse avec le « troisième pouvoir », l’autorité judiciaire, qui n’est pas élue non plus, pour peser sur le destin des hommes et des femmes politiques. Les sondages quotidiens sont utilisés comme des informations alors qu’ils sont l’écho de la rumeur médiatique. Ainsi, après avoir fabriqué l’opinion, la presse écrite ou surtout audiovisuelle s’appuie sur le produit pour parler de ce que pensent les Français, comme s’ils possédaient la vérité absolue sur cette question. Récemment, après avoir interrogé Mme Le Pen sur le Vel d’Hiv, le microcosme reprochait à la candidate de diviser les Français en revenant sur le passé. Comme la réponse avait été celle du Général de Gaulle, on mesure la double imposture des journalistes qui se permettent de renverser les rôles. Ce sont eux qui ont abordé le sujet, et la réponse qui ne leur convenait pas, était néanmoins la plus capable de réunir les Français autour de leur fierté nationale, puisque c’était celle que la Libération avait imposée

L’élection présidentielle actuelle risque bien d’être la première à appartenir entièrement au domaine du spectacle. Echaudé par un certain nombre de résultats électoraux qui lui avaient déplu, le microcosme s’est mobilisé pour éviter que François Fillon transforme l’essai des primaires. Il était le seul à présenter un programme réaliste capable de redresser la France sur le plan économique et de lui redonner sa place en Europe et dans le monde. Les prétendues « affaires »  qui n’en faisaient qu’une, et fabriquée pour la circonstance, ont réduit les chances du candidat gaulliste sans les anéantir. Ce montage a fait subir au favori du mois de Décembre une séquence dramatique à laquelle il n’était nullement préparé puisque précisément il est l’un de ceux auxquels cette déchéance de la politique en spectacle répugne.

En revanche, deux prétendants ont trouvé leur rôle dans la programmation. Leur point commun est de n’avoir pas été choisis par les électeurs d’un parti politique ou d’une primaire. On pourrait s’en féliciter en disant qu’ils échappent au système. Non, ils sont au contraire les purs produits du nouveau système bien moins démocratique que l’ancien, celui qui a donné le pouvoir aux communicants. L’envolée sondagière de Macron et la remontée héroïque de Mélenchon privilégient actuellement un duo d’affiche : un énarque devenu banquier et lié à un tout petit groupe qui depuis longtemps influence le sommet de l’Etat, la quintessence du système déguisée en téléévangéliste inspiré d’un côté, et de l’autre, le tribun communiste au verbe fort, à la répartie cinglante, qui allie à la nostalgie des lendemains qui chantent la modernité des hologrammes. Le premier préfère la « vision » au programme. Ses tirades aussi creuses que bien senties rappellent qu’il a suivi des cours de théâtre. C’est avec une conviction parfaite qu’il dit tout et son contraire ou d’énormes bêtises. Faut-il s’appesantir sur le fait que les médias ne soulignent ni ses contradictions, ni ses énormités ? Le clown blanc passe à travers les gouttes. L’Auguste amuse, lui, par ses outrances. Sa faconde libératrice fait des envieux.

Devant les écrans, les Français oublient-ils qui sont ces deux personnages ? Le premier personnifie tout ce dont ils ont raison de se plaindre : l’oligarchie qui les dirige si mal, mais vit dans un cocon de privilèges, la solidarité occulte des pouvoirs, l’indifférence profonde à la France qu’on n’hésite pas à salir à l’étranger, à soumettre à l’Europe, à vendre en pièces détachées à un capitalisme financier qui tue le capitalisme industriel et nos emplois. Le second est un contre-sens caricatural par rapport à ce que la situation de notre pays exige. La France souffre d’un excès d’Etat-Providence devenu inefficace à force de dépenses improductives. La France est un pays bloqué par sa dette et ses déficits, incapable de résoudre des problèmes qui s’incrustent dans son actualité, de la Guyane à Grande-Synthe, des prisons au terrorisme islamiste, du commerce extérieur au chômage… et Mélenchon veut, sans pétrole, mener la politique suicidaire de Chavez et Maduro au Venezuela, en augmentant la dépense publique ! Il veut même adhérer à l’Alliance bolivarienne.  Comment les Français pourraient-ils, après cinq ans de gauche calamiteuse, être séduits par les deux gauches ainsi représentées, celle d’un Hollande enfin libéré du « peuple » de gauche à travers Macron et celle qui tourne plus résolument que jamais le dos au réel ?

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