Waterloo, morne plaine mais sublime gloire !

La bataille de Waterloo, par Clément-Auguste Andrieux en 1852.

La France a décidément un problème avec son histoire. Alors que plus de 200 000 spectateurs sont attendus aujourd’hui même à Waterloo pour commémorer le bicentenaire de la bataille qui scella le sort de l’Europe pendant plus d’un siècle, la France, principale protagoniste de cette histoire, brillera par son absence, aucun représentant officiel du gouvernement n’ayant jugé opportun d’assister à ce grandiose spectacle. Fidélité à l’empereur déchu ? Volonté de ne pas commémorer l’humiliation terrible d’une sanglante défaite ? Rien de tout cela !

En fait, nos dirigeants, de droite comme de gauche, sont enfermés dans une logique qui les conduit à délaisser la grande histoire, faite de victoires et de défaites – celle qu’on apprenait jadis à l’école et qui dessina au cours des siècles le visage de notre continent -, pour privilégier les commémorations d’évènements ayant une portée affective plus prononcée ou servant une idéologie politique plus évidente. Ainsi, en va-t-il du musée de l’esclavage, inauguré en grande pompe le 10 mai dernier par François Hollande à Pointe-à-Pitre. Ainsi, en va-t-il aussi des traditionnelles repentances que tous les chefs d’État français sans exception ont proférées, telles un rituel, quand ils se rendent en Algérie, tant il est facile de s’inventer une posture de grand moralisateur en fustigeant l’héritage des générations précédentes. Ainsi, en va-t-il encore de l’omniprésence de l’histoire contemporaine dans les commémorations politiques. Comme le souligne l’historien Patrice Gueniffey, disciple de François Furet et spécialiste de l’Empire, « le rapport de l’État vis-à-vis de l’histoire […] s’est rétrécie aux seules guerres mondiales, dans une perspective du reste moins politique ou historique qu’affective ou mémorielle ». (1)

Or, il est important de célébrer les évènements qui décidèrent du sort de notre pays et de l’Europe, furent-ils douloureux. Célébrer une défaite ? Qu’importe si elle est glorieuse ! Souvent, les évènements les plus tragiques sont aussi ceux qui voient se déployer un héroïsme hors du commun, forgeant à juste titre la mémoire nationale dans le souvenir d’une gloire passée. La défaite de Camerone (30 avril 1863) n’est-elle pas devenue la fête annuelle de la Légion étrangère – qui s’illustra si magnifiquement à travers l’épopée du capitaine Danjou -, tout comme celle de Bazeilles (1er septembre 1870) celle de l’infanterie de Marine ? Or, Waterloo fut, aux dires des historiens, une glorieuse défaite, où se brisèrent à 1 soldat contre 3 tous les espoirs de la Grande armée. Il est d’autant plus absurde de ne pas célébrer Waterloo qu’en 2005, la France a préféré célébrer Trafalgar – où les Britanniques remportèrent une victoire totale malgré leur infériorité numérique -, à Austerlitz, qui fut le soleil de gloire de l’Empire.

Car Waterloo signe avant tout la fin d’une épopée dont la défunte gloire planera sur tous les grands esprits littéraires du XIXème siècle, de Chateaubriand à Stendhal, en passant par Musset, Dumas ou Hugo. C’est dans Les Châtiments que le grand poète exprime la nostalgie qui l’habite :

O, Waterloo ! Je pleure, et je m’arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre.
Chassés vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !

[…]

Et cette plaine, hélas ! où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui !
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants!

Mais Waterloo n’est pas uniquement la fin d’une cavalcade glorieuse où juchés sur leurs fiers chevaux, des généraux de 25 ans menaient la Grande armée aux confins de l’Europe. Elle clôt aussi le cycle révolutionnaire, animé par l’hubris et la démesure, si étrangers à la tempérance grecque, au pragmatisme romain et au sentiment chrétien. Elle permet à l’Europe de connaître enfin un siècle de paix qui verra naître les plus grands progrès scientifiques et germer les plus grands esprits littéraires et artistiques. Pour beaucoup de pays occupés par la France, Waterloo est la fin d’un cauchemar, et comme l’écrit Jacques Bainville en évoquant la figure de Napoléon, « sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé ! ». Mais justement la gloire et l’art priment tout !

> le blog de Charles Beigbeder

Note :
1. Entretien au Monde, 15 juin 2015.

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33 Comments

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  • Bardamu , 22 juin 2015 @ 17 h 46 min

    Curieuse lecture de l’histoire reflet d’une grave méconnaissance des causes et des conséquences, avec en plus des parti-pris sectaires montrant que les vainqueurs ont parfaitement réussi à falsifier l’histoire à leur profit. Et pourtant, on reconnaît l’arbre à ses fruits: pour la France, c’est une dégringolade qui n’a cessé de s’accélérer et qui est maintenant devenue incoercible.

  • Austerlitz1805 , 22 juin 2015 @ 18 h 59 min

    Avec de tels propos aussi insignifiants et creux, vous pouvez vous abstenir de ces commentaires.
    Suivez donc en silence votre pente et votre dégringolade pessimiste qui ne construit rien en s’attachant à tout dénigrer.

  • bygp , 23 juin 2015 @ 5 h 56 min

    Dommage qu’il y ait eu Austerlitz. L’histoire est décidément bien mal apprise et comprise. On célèbre tous les ans le 2S parmi les anciens de Saint-Cyr et on la présente comme une exploit et un modèle de victoire. Mais on oublie tout bonnement que cette victoire militaire est le revers de la plus cuisante défaite stratégique qu’ai connu la France de l’époque. Pour la première fois de notre histoire, nous avions l’opportunité de terrasser les anglais sur leur sol, de libérer l’Ecosse, de stopper leurs colonisations criminelles. Les troupes étaient prêtes à embarquer, il aurait suffit d’un peu plus de célérité dans l’opération pour les dominer définitivement. Mais Napoléon a trop attendu, on a laissé le temps aux anglais (certainement avertis de la menace) de former la coalition qui a fait avorter ce qui aurait conduit à une réelle victoire et non un fait d’armes.

  • bygp , 23 juin 2015 @ 6 h 10 min

    100% d’accord, le principal reproche que l’on peut faire à Napoléon c’est d’avoir bien trop investi dans les puissances terrestres et bien peu dans nos forces navales, sur mer face aux anglais, nous ne faisions clairement pas le poids, or le principal ennemi c’était eux (ça n’a pas beaucoup changé). Avec une force navale à la hauteur, le plan de conquête de l’Angleterre aurait été un succès total, le reste de l’Europe n’aurait pas bronché, il n’y aurait pas eu d’Austerlitz, mais l’Ecosse serait autonome, l’Irlande totalement irlandaise et tous les pays qui sont toujours asservis à la couronne britannique seraient totalement indépendants, le Canada serait probablement devenu un pays totalement francophone, bref, le visage de l’occident n’aurait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui et la langue anglaise n’aurait pas connue l’expansion que nous subissons aujourd’hui.

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