Les nouveaux braqueurs

Des contrefaçons qui dupent même les plus expérimentés, des virus informatiques qui activent de distributeurs de billets à distance ou qui effectuent des virements à l’insu des banques… Comment la nouvelle génération de malfaiteurs réinvente-t-elle ses méthodes et techniques en tirant profit des opportunités qu’offrent la technologie et la mondialisation ? La réponse en exemples.

Braquage 3.0

Les superlatifs sont de retour : « Casse du siècle », « coup de génie »…. Le vol d’argent le plus important et le plus sophistiqué de l’histoire, dans le pur esprit de « Ocean’s Eleven » (1), s’est déroulé entre la fin de l’année 2013 et le début de l’année 2015. Sur ce court laps de temps, un groupe de malfaiteurs aurait volé entre 300 millions et un milliard de dollars à plus d’une centaine de banques et autres institutions financières établies principalement en Russie, au Japon, aux Etats-Unis et en Europe Occidentale. Les cyber-braqueurs auraient en fait installé un virus dans les systèmes informatiques de leurs victimes, afin d’effectuer des virements vers des comptes créés à cet effet et d’actionner à distance des DAB (distributeurs automatiques de billets). Jackpot !

Cette histoire révèle une réalité devenue évidence : les méthodes et les techniques des braqueurs évoluent. La technologie est devenue la clé de voûte de la guerre entre ces nouveaux criminels et leurs victimes potentielles (particuliers, entreprises, mais aussi …États). L’histoire est connue, c’est celle de l’épée et du bouclier : chaque nouvelle épée appelle la réalisation d’un bouclier plus résistant, appelant à son tour la création d’une nouvelle épée… et ainsi de suite.

Imiter plutôt que voler

Parce que le vol n’est pas sans risques, certains jugent plus simple et plus rentable de fabriquer des faux produits, vendus naturellement aux prix des vrais. Si la contrefaçon n’est pas un phénomène nouveau, on assiste à une montée en puissance technologique spectaculaire des contrefacteurs. Bien que dans l’imaginaire collectif, technologie rime souvent avec informatique, les évolutions des méthodes et des techniques des braqueurs ne se limitent pas à ce domaine. En se professionnalisant, et aidée par la mondialisation, la contrefaçon s’est étendue à un nombre croissant de secteurs. Par exemple, en 2012, 20 % des bouteilles dans le commerce international de vin étaient des contrefaçons : « Les étiquettes étaient tellement bien faites que je me suis demandé si ce n’était pas les nôtres », expliquait notamment Laurent Ponsot, du domaine de Bourgogne homonyme (4). Certains faussaires arrivent à copier les hologrammes de sécurité présents sur les bouteilles. Face à ces pratiques dommageables pour le consommateur comme pour l’image de la filière dans le monde, une entreprise française innovante a proposé une solution basée sur les Codes à bulles : Prooftag™. C’est une sorte d’empreinte digitale apposée sur les bouteilles qui permet, à l’aide d’un smartphone ou d’une simple connexion Internet, de vérifier leur authenticité.

Il s’agit là de solutions pour lesquelles des solutions n’auraient pas été mises au point si les malfaiteurs n’avaient pas d’abord « innové ». Mais il n’est pas toujours possible d’agir seulement en réaction : dans d’autres domaines, le but reste de garder de l’avance, car la contrefaçon la plus tentée reste évidemment celle des billets de banque. En 2014, selon la Banque centrale européenne, 507 000 euros de faux billets ont été saisis, représentant une progression de 25 % par rapport à 2013 (2). Des chiffres qui s’expliquent par l’augmentation de l’activité de réseaux mafieux ou assimilés de plus en plus nombreux, mais aussi parce que les copies sont plus faciles à détecter. Toujours plus complexes, les billets tiennent encore à distance les contrefacteurs, comme le rappelle Thomas Savare, directeur général d’Oberthur Fiduciaire, une ETI française qui a su se positionner dans le trio de tête mondial de l’impression fiduciaire. En effet, selon le dirigeant, les billets sont devenus de véritables « condensés de technologie et le fruit d’une innovation permanente (…), en recourant sans cesse à de nouveaux procédés, à de nouvelles technologies, le tout dans le but de maintenir un niveau irréprochable de qualité ». (3)

Même si elles ne sont pas désignées de la sorte, les faussaires exercent de plus en plus des activités qui s’apparentent à celles de R&D. Oberthur Fiduciaire et son directeur Thomas Savare résume le constat fait par l’ensemble des professions concernées : « derrière chaque réseau de faussaires, on trouve forcément des ingénieurs. » (3) C’est évidemment l’innovation, en plus d’un certain goût pour le secret, qui permet dans la majorité des cas de tenir la distance.

Le choc des innovations

Que l’on parle braquages informatiques ou contrefaçons, la R&D constitue le premier rempart pour « préserver une bonne longueur d’avance technologique », assure Thomas Savare. L’imprimeur de billets déclare investir environ 5 % de son chiffre d’affaires en R&D. Au-delà de la conception et de la fabrication de billets, Oberthur Fiduciaire s’intéresse aussi aux solutions pour la filière de distribution. L’entreprise fiduciaire propose par exemple, via sa filiale Oberthur Cash Protection, des valises piégées qui, en cas d’agression ou de vol, maculent les billets qu’elles contiennent d’une encre indélébile. À défaut d’empêcher les braquages, la diffusion de ces systèmes a tout de même pour conséquence de dissuader une partie des braqueurs.

Professeur à HEC, Bertrand Moingeon érige justement en exemple les innovations produites par les acteurs fiduciaires afin de contrer l’activité criminelle. L’utilisation de ce type de valises dites intelligentes, combinée à leur transport dans des véhicules banalisés par des agents non armés, constitue pour B. Moingeon une « innovation désarmante » de la maintenant disparue société Valtis, qui a contribué à modifier le business model du secteur : « L’architecture de valeur repose désormais sur l’informatisation des tournées et l’absence de véhicules blindés, d’armes, et la possibilité de mobiliser moins de personnel » (6). Cette tendance cherche à répondre à une autre évolution des méthodes des braqueurs : la montée en puissance des attaques, qui s’apparentent à de véritables opérations militaires, contre les fourgons blindés. Les nouveaux braqueurs ne sont pas seulement plus intelligents, ils sont aussi bien mieux armés.

Les réponses des entreprises de transport de fonds ont été multiples, combinant aspects organisationnels et technologiques. Le low profile est devenue la nouvelle norme : moins repérables, les convoyeurs sont moins vulnérables. Une des dernières innovations en date, et qui n’est sans poser quelques questions sécuritaires, est celle de la filiale en France Brink’s. Celle-ci propose en effet de limiter les trajets de ses camions, ce qui réduirait le risque d’attaque, mais modifie aussi considérablement son activité : au lieu de déposer systématiquement les billets de ses clients à la Banque de France, Brink’s traite elle-même les billets avant de les remettre en circulation (7).

L’histoire continuera manifestement d’être celle de l’épée et du bouclier. Aujourd’hui, la démocratisation de la technologie mais aussi de la formation, souvent informelle, aux pratiques qui s’y rattachent, sont tantôt un risque tantôt une opportunité pour les entreprises. À la réinvention des braqueurs devra répondre une réinvention permanente de la sécurité.

Notes :

(1) http://www.nytimes.com/2015/02/15/world/bank-hackers-steal-millions-via-malware.html?_r=4
(2) http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/juridique/5445402-20-et-50-les-billets-les-plus-contrefaits-en-2014-107773.php
(3) http://www.revue-rms.fr/Thomas-Savare-oberthur-fiduciaire/
(4) http://www.liberation.fr/societe/2014/08/24/la-technologie-la-plus-pointue-contre-les-contrefacons_1086184
(5) http://www.hec.fr/Knowledge/Strategie-et-Management/Innovation-et-Entrepreneuriat/L-innovation-Strategique-ouverte-a-tous
(6) http://www.lesechos.fr/18/06/2014/lesechos.fr/0203576681936_la-brink-s-repense-le-transport-de-fonds.htm

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • xrayzoulou , 19 août 2015 @ 13 h 58 min

    Donnons plus de moyens aux forces de police et changeons de sinistre de l’injuste pour avoir un ministre de la justice.

  • biquette83 , 19 août 2015 @ 16 h 31 min

    Il faut effectivement donner plus de moyens et de pouvoirs aux policiers et que le gouvernement cesse son laxisme.

  • Maëlle , 26 août 2015 @ 3 h 03 min

    Pour fournir plus de moyens aux policiers et arrêter le laxisme, je suis d’accord.

    Mais il ne faut pas leur accorder plus de pouvoirs ; en fait ils en ont déjà trop. Les policiers ont le droit, sur une personne qui n’est ni en infraction, ni soupçonnée de quoi que ce soit :
    – De l’interpeller “préventivement”
    – De la mettre en garde à vue, c’est-à-dire de la retenir au commissariat, éventuellement dans une cellule insalubre et dans une compagnie douteuse, pendant 24h
    – De connaître son historique internet, intercepté chez son FAI (loi sur le renseignement)
    – De la localiser via son téléphone portable (loi sur le renseignement)
    – De poser des micros chez elle, comme dans le film “La vie des autres” (loi sur le renseignement)

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