Despotisme parlementaire

Tribune libre de Philippe de Lacvivier

« Il faut respecter le Parlement et la loi, et respecter le suffrage universel, qui a été informé de mes intentions lorsque je me suis présenté devant lui (1) », dixit François Hollande en ce jeudi 18 avril 2013. Après la flûte traversière, que nous connaissions tous, le pipeau démocratique fait son apparition dans les orchestres… Pourtant, le ton est à la fois sérieux et grave ; l’on joue à l’adulte, sévère et mature – bref, ce n’est pas une blague. Le triste bonhomme n’esquisse pas l’ombre d’un sourire.

Peut-on imaginer phrase plus inepte, plus fausse ? Décidément, la mauvaise foi ne connaît aucune limite. Tous les régimes peuvent affirmer d’une manière aussi imbécile qu’« [i]l faut respecter le Parlement et la loi », surtout si ladite loi y est la définition de toutes choses, et donc de la liberté. La légalité républicaine, ou rien. Pas même de légitimité hors d’elle ; la volonté de quelques parlementaires la constituerait tout entière. Devons-nous respecter une loi qui permet de tuer en série ou, en l’occurrence (2), qui met en danger des enfants, et mine les institutions les plus fondamentales et salutaires de la société tout en les parodiant ? De nos jours, « le Parlement » n’est plus qu’une majorité temporaire reposant sur l’« alternance », soi-disant garante de la « démocratie représentative ». Bien au contraire, cette alternance ne fait que mettre en lumière l’incapacité des oligarques en place à œuvrer pour le bien commun : la gauche déçoit, alors on passe à la droite républicaine qui avait déçu juste avant ; puis la droite déçoit de nouveau, et l’on reprend la gauche dont on omet volontairement et gracieusement les méfaits passés… Et ainsi de suite.

Espérons donc que le mouvement contestataire actuelle porte en lui les germes d’un profond désir de contribuer au bien du pays, et non seulement les promesses flétries d’une victoire électorale de l’UMP dont le caractère illusoire dans ce combat se remarque déjà. Cinq ans, c’est assez pour oublier, pour encaisser, pour digérer : la mortification, ça s’apprend sur le tas. Prendre sur soi est un travail de tous les jours ! Et ça n’est pas si difficile : tout porte à croire que l’on s’y habitue le plus facilement du monde. Malheureusement… La république semble commander l’amnésie à ses dociles « citoyens ». Mais il y a toujours un peu d’espérance : la majorité actuelle n’aura peut-être pas la jouissance de ses cinq années pour tout casser. La droite républicaine reviendra peut-être en avance, par la grâce d’une dissolution, pour nous décevoir encore une fois et laisser, aux élections suivantes, des fauteuils toujours plus confortables à la gauche. Et ainsi de suite…

“Avec de tels arguments, l’oppression a la voie libre.”

La phrase de François Hollande illustre clairement le despotisme parlementaire : une élection législative – en dépit d’une faible participation, de son contexte, du matraquage médiatique, de la non comptabilisation des bulletins nuls ou blancs et de la limite des choix imposés en termes de candidats – n’est toujours qu’un prétexte pour faire croire à la légitimité d’une majorité, affublée d’un « CDD », pouvant alors tout se permettre le temps d’un mandat, au nom d’un court pourcentage d’avance à un moment donné. De loin, il y aurait de quoi rire. Et nous retombons sur l’exclamation inouïe du rapporteur du projet de loi Taubira au Sénat, Jean-Pierre Michel : « Ce qui est juste, c’est ce que dit la loi. Voilà, c’est tout. Et la loi ne se réfère pas à un ordre naturel. Elle se réfère à un rapport de force à un moment donné. Et point final. C’est le point de vue marxiste de la loi (3). » Ces propos, dignes de n’importe quelle « république démocratique » ou « populaire », parlent d’eux-mêmes…

Et puis, comble de notre bonheur, le président de la République évoque « le suffrage universel », ce fameux « mensonge universel (4) ». De plus, François Hollande n’aurait pas manqué, au cours de la campagne électorale, à l’informer de ses intentions – à l’occasion d’un dîner au restaurant sans doute – quant au prétendu « mariage » des paires de personnes étant du même sexe. En effet, si nous consultons les soixante propositions publiées par le Parti socialiste pour le premier tour des élections présidentielles, nous trouvons en trente-et-unième position : « J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples [sic] homosexuels (5). » Le rouge est ici de mauvais augure… Dans le temps, lorsque les téléphones portables étaient extrêmement rares et que les cabines téléphoniques étaient encore utilisées un peu partout en France et ailleurs, les buralistes vendaient des cartes contenant « soixante unités » pour appeler. Mais personne n’était contraint de toutes les utiliser… Et leur nombre était clairement mentionné sur la carte en question… Si voter « François Hollande » en avril-mai 2012, c’était souscrire – i. e. capituler sans condition – à ses « soixante engagements », pas aussi inoffensifs – malheureusement – qu’une unité téléphonique, nous ne sommes pas sortis de l’auberge… Il aurait fallu les imprimer au dos des bulletins de vote ; cela aurait peut-être eu la vertu de dissiper quelques mauvaises intentions chez certains électeurs. Mais surtout, à quand le panachage dans les urnes présidentielles ? Qui ne préférerait un Hollande 29/60e ou 43/60e à la version intégrale ? L’on pourrait même panacher les kilogrammes en trop, les costumes mal taillés, les cravates mal nouées, les sorties publiques complètement manquées, les discours minables, les manifestations gênantes. Non, vraiment, le ridicule ne tue pas… mais il asphyxie bel et bien la France. Pour ceux qui avaient encore quelques illusions en faveur du suffrage universel, il est temps de se rendre compte de tout ce qu’un gouvernement peut lui faire subir. Avec de tels arguments, l’oppression a la voie libre. Ce n’est toutefois pas cela qui doit nous décourager de continuer à résister. L’avenir n’est pas à l’ignominie !

1. Hollande (François), cité sur Atlantico, « Je vous demande de vous arrêter. Mariage homosexuel : François Hollande dénonce des ”actes homophobes” et ”violents” », http://www.atlantico.fr/pepites/mariage-homosexuel-francois-hollande-denonce-actes-homophobes-et-violents-701103.html
2. Le projet Taubira.
3. Michel (Jean-Pierre), cité par Janva (Michel), « ”La loi se réfère à un rapport de force. C’est le point de vue marxiste de la loi” » , le Salon beige, 16 février 2013, http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2013/02/la-loi-se-r%C3%A9f%C3%A8re-%C3%A0-un-rapport-de-force-cest-le-point-de-vue-marxiste-de-la-loi.html
4. S. S. Pie IX.
5. http://www.parti-socialiste.fr/articles/les-60-engagements-pour-la-france-le-projet-de-francois-hollande

Du même auteur :
> La France, Louis de Bonald et l’émigration : la vraie patrie

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19 Comments

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  • Goupille , 19 avril 2013 @ 11 h 01 min

    Branché la Chaîne Parlementaire ce matin à 5h30. Je pensais tomber sur de la neige.
    Mais non… Ils étaient là. Peu de plans de coupe pour savoir à combien exactement. Une grosse centaine, au doigt mouillé (méthode de vote sénatoriale).
    Plan fixe sur le perchoir, et le “vote”, par paquets de dix, des amendements déposés par “l’opposition”, tous rejetés. “Qui est pour ? Qui est contre ?”, vote à main levée sans doute. Même pas toujours un regard sur les deux camps. De l’abattage.
    Il paraîtrait qu’ils ont terminé à 6h ce matin.

    Ce gouvernement s’imagine faire passer cette loi en force, en imposant à des hommes (si, si : il y a de l’humain dans le Parlementaire…) des séances éreintantes dont on sait qu’elles ne peuvent qu’être des heures de figuration.

    Il faut avoir vu cela pour prendre la mesure de l’arbitraire auquel nous sommes censés obéir.

  • Tarantik , 19 avril 2013 @ 11 h 07 min

    Les philosophes nous apprennent qu’il faut “respecter l’homme même vicieux”.
    Mais cela ne va surement pas jusqu’à respecter une loi vicieuse ou viciée.
    Le président devrait s’en imprégner, il sera davantage respecté.

  • Childeric , 19 avril 2013 @ 11 h 27 min

    Je me disais hier soir que nous vivons dans une époque où l’on a jamais autant décortiqué les mécanismes du totalitarisme et dans le même temps où les gens n’ont jamais été aussi aptes à l’accepter, car il n’ont amais autant eupeur de penser à contre-courant, d’agir comme ils le pensaient, de s’élever contre l’ordre… Créon semble avoir gagné et Antigone est bien seule. Cela ne choque personne (à part vous, mon cher Philippe) que le Président puisse dire une telle chose (ce qui est à la base de l’installation démocratique des totalitarismes historiques…). Cela ne choque personne que les CRS, quoique pour certains dégoûtés par leur boulot en ce moment, se sentent obligés d’y obéir. Cela ne réveille aucun Français qu’il puisse y avoir un million de Français dans la rue tous les deux mois sans que l’on en parle autrement que comme une frange extêmiste de conservateurs bourgeois arc-boutés sur des cadres conceptuels dépassés… La démocratie moderne a fait de l’homme une idée pure, comme telle elle est “contre-nature”, et ne peut déboucher que sur l’anarchie… ou la dictature…
    Hier j’ai tout de même réussi à faire lâcher prise à un CRS qui s’efforçait de m’évacuer du cercle des Veilleurs: “je vous fais mal, je le sais, lâchez!”, “oui, oui… mon père est Colonel, mon frère Capitaine, mon beau-frère Gendarme secouriste de haute montagne, mon grand-père a été déporté à Buchenwald et de l’autre côté il était dans le Vercors… je me laisserai pas faire si facilement”… il a fini par me lâcher ;)

  • NP , 19 avril 2013 @ 11 h 44 min

    De toute façon le pouvoir législatif est séparé du pouvoir exécutif. Donc le Président peut promettre autant qu il le veut, ni l Assemblée ni le Sénat ne sont contraints de le suivre.

    Aujourd hui, on s aperçoit, que les députés ne représentent plus le peuple mais les intérêts de leur parti. En se conformant aux consignes de vote (à droite comme à gauche), en enregistrant les propositions de loi de l exécutif, ils nous montrent qu ils n ont plus de légitimité.

    Il faut rendre le pouvoir au peuple.

  • Lieutenant X² , 19 avril 2013 @ 11 h 50 min

    Quand Socrate est entré en philosophie, c’était pour combattre les sophistes qui polluaient l Agora et la “chose publique”. Aujourdhui, les Protagoras, Gorias et Prodicos sont légion dans nos institutions et nous construisent une belle nouvelle caverne colorée.

  • JSG , 19 avril 2013 @ 13 h 37 min

    L’autre en sortant nous laissera Sacrote…
    Pardon, jai pas pu…

  • Lieutenant X² , 19 avril 2013 @ 13 h 58 min

    Héhé! ;-)

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