50 nuances grisâtres

Un billet d’Isabel Orpy

Avant-hier, est paru aux éditions JCLattès le premier tome* de la trilogie sado-masochiste, Fifty shades of Grey, devenu en français 50 nuances de Grey, avec une mise en place de 320 000 exemplaires… Déjà près de 40 millions d’exemplaires en ont été vendus dans le monde.

Écrit par E.L. James, Londonienne quasi quinquagénaire, ancienne productrice télé, sorti en 2011 au Royaume Uni, ce roman a fait une entrée fracassante sur le marché américain, il y a quatre mois, devenant un phénomène de librairies (20 millions) et de livres électroniques. Jamais un ouvrage pour adultes n’avait connu succès si fulgurant. Il est en passe de battre tous les records. Seul Harry Potter et ses 7 tomes lui résistent encore.

Ce fut tout d’abord un phénomène Internet car Fifty shades (Fifty Shades of GreyFifty Shades Darker et Fifty Shades Freed) fut le thème d’un blog alimenté au quotidien, puis, édité dans son intégralité à très bas prix en version numérique, avant d’être publié par Random House.

Juste du girly trash !

Point d’érotisme toride, du “mummy porn”… Des ébats sexuels ficelés, tricotés à l’eau de rose et une pitoyable histoire d’amour rebrodée des clichés les plus lamentables.

Sur le web, l’on peut lire: “pire que du Marc Lévy et Guillaume Musso réunis”… C’est l’histoire d’une nunuche bien prise en mains et battue par un trentenaire viril, sexy et aguerri, en fait, un mâle qui a souffert, dont le “passé cache de lourds et douloureux secrets”. Vous l’imaginez, ce ne peut être un salaud intégral ou un dangereux obsédé branché cuir et autres délires malsains…

Son héros, Christian Grey, qui ”n’a rien a envier au David de Michel Ange”, est “le célibataire le plus riche, le plus énigmatique, le plus insaisissable de la Côte Ouest”, il possède 40 000 salariés, une Audi avec chauffeur… et tombe sur Anastasia Steele, toujours vierge à 21 ans, étudiante en lettre, usant son temps à citer Thomas Hardy, laquelle ne peut lui résister car “il porte une chemise blanche au col déboutonné et un pantalon de flanelle grise. Ses cheveux rebelles sont encore humides.”etc.

Pour mieux entériner leur idylle, ce winner prudent lui fait signer un volumineux contrat, détaillant la panoplie des supplices SM et autres aspirations dont le fait que “la soumise doit être propre, épilée en tous temps” de plus, qu’“elle n’aura pas de relations sexuelles avec un autre que le dominant”… “elle n’abusera pas d’alcool, ne fumera pas, ne prendra pas de drogue et de plus, bénéficiera d’un examen gynéco approfondi.”

Toutefois, la belle, à la crinière indomptable, parvient à négocier une heure de moins par séance que les quatre prévues par le millionaire pervers. Ouf !

Il la couvre de cadeaux, la transporte en hélico et lui offre en sus de multiples orgasmes dès leur première copulation … puis, des envolées sismiques, à 7 sur l’échelle de Richter, toutes les 5 pages.

Selon The Guardian, ce chef dœuvre n’est qu’un ramassis de “dialogues improbables”, “intrigues molle” et “répétitions irritantes”… En fait, c’est le cousin, en un peu plus hot, des romans de la ligne Spicy des éditions Harlequin, une sorte de love story relevée au bondage et Tabasco Habanero dont l’héroïne va ramener son (bon)homme dans le droit chemin, pour un happy end avec retour à une sexualité moins déviante. And so on

Les dérives du dérivé…

Cravaches, menottes, instruments de torture diversifiés, disques, vêtements… Évidemment, le marketing surfe sur l’engouement! Parmi les heureux bénéficiaires du jackpot de la bêtise et du dévoiement ambiants: les sex shops. Les accessoires utilisés par le héros (avec une efficacité jamais démentie) font l’objet de toutes les convoitises. La chaine Ann Summers affiche, entre autres,  un bon de 200% des ventes de boules de geisha…

Tout succombe à la déferlante 50 shades of Grey, même la musique qu’écoute nos chérubins. Ainsi, Spem in alium de Thomas Tallis, compositeur anglais de la Renaissance a-t-il été propulsé en tête des ventes de classiques en Grande-Bretagne

Tess d’Urberville de Thomas Hardy a vu ses ventes tripler depuis avril dernier.

La marque Bobbi Brown a lancé la palette de maquillage ”Come Hither Shades”.

Deux couturiers ont déjà créé des collections inspirées de ce best seller.

Un hôtel de Seattle (cité dans les émois) propose même un séjour à thèmes…

Et bientôt, en Hexagonie : un ouvrage majeur, Le décodeur de 50 nuances de Gray avec 20 jeux sensuels pour pimenter votre vie de couple (éditions First) et 50 nuances de plaisir, reprenant les acrobaties du roman (Larousse).

Hollywood prépare les blockbusters… on évoque désormais Ryan Gosling et Emma Watson pour incarner ce couple sulfureux, et Bret Easton Ellis, l’auteur d’American Psycho, en serait le scénariste.

Selon les éditeurs de littérature érotique, si 2011 était dédié au vertus du candaulisme (copuler avec son amant devant son époux), 2012 serait dévolu aux bienfaits de la soumission féminine…

Dès lors, l’on ne peut que prédire le pire, soit l’immense succès de cette bouffonnerie nauséabonde et consternante.

*Parution des deux autres tomes : 3 janvier et 13 février 2013.

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • Goupille , 19 octobre 2012 @ 15 h 40 min

    Cela fera des vacaces à l’Eglise catholique… Fini le Da Vinci Code.

    La littérature de hall de gare n’en finira jamais de déverser ses égoûts : il a même été dit, sur France Q, à titre de justificatif, que c’était un premier pas vers la lecture pour gens qui ne lisent pas…

    Autrefois Bonnes Soirées, Nous Deux et les romans-photos, aujourd’hui le sado-maso cosy : normal pour une humanité qui ne cesse de s’enfoncer plus profond dans la fange.

  • hector galb. , 19 octobre 2012 @ 17 h 18 min

    on remarquera au passage le quasi garde-à-vous des médias.

  • labolisbiotifool , 20 octobre 2012 @ 22 h 26 min

    il porte une chemise blanche au col déboutonné et un pantalon de flanelle ” :

    BHL, sort de ce roman 🙂 Tu n’ as rien à y faire, ou si ? 🙂

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