Drone Papers : les dérives d’un pouvoir divin donné à des gens sans scrupules

Gros temps pour l’État américain : après avoir subi le contrecoup des révélations d’Edward Snowden qui montraient explicitement l’ampleur de l’espionnage que le Pentagone avait mis en place tant sur ses ennemis que sur ses alliés et, pire encore, sur son propre peuple, voilà qu’un nouveau lanceur d’alerte démontre, documents détaillés à l’appui, l’énorme farce tragique que constitue l’usage des drones et leur taux alarmant de dommages collatéraux.

L’affaire, qui prend progressivement les proportions d’un scandale d’État, a été révélée la semaine dernière dans The Intercept, l’organe de presse fondé par les journalistes à l’origine des papiers présentant les éléments fuités par Edward Snowden. Cette fois-ci, The Intercept dispose d’une quantité impressionnante de documents en provenance directe d’une source au sein de l’armée américaine et qui a souhaité conserver son anonymat (ce qu’on peut comprendre, compte-tenu de la façon dont les lanceurs d’alerte sont traités dans ce cas).

Ces documents, disponibles en ligne, montrent en détail les opérations menées par les forces armées américaines sur des territoires où elles ne sont pas officiellement engagées, sans le moindre mandat international. Pire encore, ces documents démontrent assez clairement deux choses.

D’une part, la politique américaine actuelle consiste à mener des opérations d’assassinats en contradiction à la fois avec les bases mêmes du principe démocratique d’un contrôle de l’armée par le peuple et des idéaux normalement pacifiques des démocraties dont se réclament officiellement les États-Unis, et en violation avec les droits de l’Homme qui impliquent un jugement avant toute condamnation. Jadis, les États-Unis étaient un État de droit. Les révélations de ces « drone papers » démontrent que toute l’administration Obama, prix Nobel de la Paix en tête, participe à établir la liste des personnes à assassiner, et à prendre la décision de le faire (ou plutôt de le faire faire par les équipes militaires en charge des drones).

Bien sûr, on savait déjà, de façon non officielle toutefois, que cela se passait ainsi. Il se chuchotait depuis plusieurs années que oui, le président Obama, tout nobélisé soit-il, disposait d’une véritable « kill list » et ordonnait directement que soient menés des assassinats. La preuve en est maintenant faite. Mais avec 178 frappes entre 2011 et 2015 validées directement par le Prix Nobel de la paix lui-même, je serais curieux de connaître l’opinion du Comité Nobel à ce sujet…

D’autre part, comme si ces éléments ne suffisaient pas déjà à jeter comme un grand froid, ces documents permettent de mieux mesurer la précision de l’outil « drone » dans la panoplie présidentielle américaine. Et le constat est franchement amer puisqu’on apprend que l’usage massif de drones dans les différentes missions confiées entraîne un taux de dommages collatéraux de 90%. Autrement dit, comme l’explique Edward Snowden dans un tweet du 15 octobre, près de 90% des personnes tuées par les frappes aériennes n’étaient pas les personnes ciblées.

C’est gênant parce que si, déjà, à la base, faire assassiner un individu sans autre forme de procès n’est pas du tout dans les prérogatives d’un chef d’État d’une nation démocratique, fut-il américain, tout indique qu’une partie des cibles abattues l’a été sans même recevoir l’imprimatur du chef suprême, ce qui laisse entrevoir des dérives monstrueuses.

Ce n’est même pas le pompon.

On apprend en outre que cet écart catastrophique entre les cibles choisies et les « autres » provient d’une collecte déficiente d’informations. La tragédie qui se joue actuellement prend alors toute son ampleur lorsqu’on comprend que cette déficience d’informations est issue d’une utilisation quasi-exclusive de moyens électroniques pour rassembler les données sur les cibles, ces moyens mêmes qui furent dévoilés par Snowden il y a deux ans. Or, dans le cas qui nous occupe, c’est-à-dire l’assassinat d’individus à distance ce qui revient à s’assurer des informations sur la cible puis à utiliser les moyens appropriés pour éviter les dommages collatéraux, la collecte de données électroniques par surveillance massive des réseaux et par l’imagerie aérienne ou satellitaire ne suffit pas. Aussi pointues et invasives soient les techniques mises en place par la NSA et l’armée américaine, elles ne peuvent remplacer l’infiltration sur le terrain, par exemple.

Autrement dit, l’État américain espionne tout le monde tant et plus, détermine des cibles de façon unilatérale, les fait buter par une armée qui, au passage, choisit elle aussi ses propres cibles (ou, pire, dérape très largement), et on se rend compte que l’espionnage initial est très majoritairement fait d’une façon qui ne permet pas d’assurer la qualité des cibles et des moyens mis en œuvre. Pire, cette « tyrannie de la distance » donne un faux sentiment de détachement et de puissance divine (« godlike power ») aux opérateurs et à toute la chaîne de commande.

Et le plus consternant est qu’en choisissant systématiquement l’assassinat des cibles désignées plutôt que leur arrestation, l’État américain, son armée et la NSA se sont coupés de toute source d’information réellement fiable, puisqu’issue du terrain qu’ils ont désertés par commodité.

C’est proprement effarant.

Il y a deux ans, on apprenait via Snowden l’ampleur de l’espionnage américain et le monde découvrait que l’armée et le gouvernement des États-Unis avaient outrepassé tous leurs mandats démocratiques pour satisfaire le besoin d’information et de flicage de sa propre population et du reste du monde pour une coterie prête à tout.

Il y a quelques mois, on apprenait de même qu’une fuite massive de données en provenance directe du gouvernement américain, via un hacking d’ampleur inégalée, exposait directement des millions d’employés fédéraux (mots de passe, empreintes digitales, détails de carrière, dossiers médicaux, judiciaires et même mœurs ou habitudes se retrouvaient sur internet, en libre accès).

Les « Drone Papers » nous démontrent à présent que le gouvernement américain mène des opérations secrètes d’assassinats, là encore en dehors de tout cadre légal et démocratique, qu’il abat des individus sans procès, avec des informations lacunaires, collectées à la hâte, et réalise d’énormes bavures dans la foulée.

Devant ces éléments, comprenez-vous pourquoi les libéraux insisteront toujours pour un État minimal ? Comprenez-vous que plus vous donnez de pouvoir à l’État, plus les individus qui sont à sa tête en abuseront, tout nobélisés soient-ils ? Comprenez-vous que lorsque vous remettez vos vies, vos données essentielles, vos informations critiques dans les mains de l’État, vous n’aurez jamais la garantie de leur bonne gestion, et même plutôt le contraire ? Plus proche de la France, voyez-vous, par l’exemple, ce que peut donner la Loi Renseignement dans les mains des fripouilles qui nous gouvernent ? Comprenez-vous que toute augmentation de l’emprise de l’État sur vos vies pour un peu de chimérique sécurité aboutira, de façon inéluctable, à marquer, un jour, une cible sur votre tête ?

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15 Comments

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  • Boutté , 20 octobre 2015 @ 9 h 22 min

    “les idéaux normalement pacifiques des démocraties” ? La France (entre autres) a été infiniment plus guerrière depuis 1789 qu’avant et envahie totalement à 4 reprises .

  • Toto l'Haricot , 20 octobre 2015 @ 9 h 25 min

    Quel beau mot que “fripouilles”, et comme on devrait l’employer plus souvent pour désigner les êtres de plus en plus abjects qui font profession de nous gouverner alors qu’ils ne savent même pas se gouverner eux-mêmes !…

  • Toto l'Haricot , 20 octobre 2015 @ 9 h 27 min

    Le mot “divin” convient si l’on se réfère aux Évangiles et à ce que Jésus répond à Pilate, qui lui dit qu’il a tout pouvoir de vie et de mort sur lui : “Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’avait été donné d’en haut”. Cela dit, vous avez raison : ce pouvoir divin a été manifestement dévoyé par le “singe de Dieu”.

  • marcel , 20 octobre 2015 @ 9 h 29 min

    comme chez nous quoi ! trop de pouvoir aux gouvernement nous mène sur ce qu’on commence à voir actuellement en France ! l’état veut tous contrôler, tous fliquer et surtout censurer et tenir au silence ceux qui ne sont pas dans la ” pensée unique) celle instaurée par LRPS

  • penelope , 20 octobre 2015 @ 11 h 33 min

    mais il ne faut pas se faire d’illusions,tous les politiques se valent,là les américains amoureux des armes,commencent enfants à tirer,sur leur soeur,leur voisine,cela se lit que trop souvent,arrivés à l’âge adulte,ils ne sont que mieux entrainés,une arme dans la main,il faut s’en servir.Chez nous on à bien tenté de nous faire croire que les frappes aériennes français avaient visés les djihadistes,de l’avion,ils n’ont pas besoin de lunettes ,pan,dans le mille;nous sommes tous menés en bateau par nos dirigeants.En Amérique cela doit être encore pire;les démocrates sont contre les républicains,ceux-ci contre d’autres;les noirs,les blancs,le kluxkluxan;cela ne change pas,mais ils cherchent tout de même à s’imposer,première puissance du monde?

  • bernique , 20 octobre 2015 @ 22 h 42 min

    Comme meli-melo limite, on fait difficilement mieux !
    Et qui va surveiller le peuple, dans tout ça ? Le “bon sauvage” de Jean-Jacques, on en est revenu. Alors ?
    A part ça, j’aime mieux voir un revolver dans la main d’un père de famille tranquille chez lui que dans celle de la fripouille d’en face ! ! !

  • Charles , 23 octobre 2015 @ 20 h 52 min

    Obamo, Merkrelle et Ollando se sont plantés en Ukraine comme en Syrie.

    Ils n’avaient pas prévu l’imprévu venant de Wladimir:
    Les nouvelles technologies russes de brouillages sur le terrain.

    Les Russes disposent d’une arme nouvelle, le Krasukha-4.
    Ils bouillent et rendent aveugles tous les drones de l’Otan.
    Ceci explique leur réussite en Ukraine et en Crimée comme en Syrie.

    Les forces farces de l’otan ne peuvent rien faire pour les contrer.
    Silence radio chez les mordias de l’empire.

    https://foreignpolicy.com/2015/10/21/russia-winning-the-electronic-war/

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