Et maintenant, l’État aide les concurrents des taxis, toujours sans votre avis et avec votre argent

Franchement, il n’y a pas à tortiller : la France des nouvelles technologies, de l’interweb et des réseaux sociaux, ça dépote ! À tel point que les entreprises rivalisent d’inventivité pour investir ces nouveaux espaces, ces marchés, et ces nouveaux modes de consommation. Pour la SNCF, cela se traduit très concrètement par un gros investissement dans une jolie startup, Allocab.

L’entreprise ferroviaire était déjà partenaire de la plate-forme en question, mais elle a jugé utile d’y renforcer son emprise en investissant 3 millions d’euros via SNCF Digital Ventures, son fonds d’investissement. L’idée derrière est de pousser ses clients à prolonger leurs trajets ferroviaires en réservant un véhicule à l’arrivée en gare. On comprend la SNCF : qui d’autre que cette plate-forme permettant de réserver des VTC (véhicules de transport avec chauffeur), des automobiles, donc, pour mieux représenter le futur de l’entreprise nationale de chemins de fer français ? Qui, mieux que la SNCF, pour nous faire préférer les VTC ?

Mmhm mais attendez quelques secondes, tout ceci est étrange.

Voilà qu’une entreprise de chemins de fer va donc pousser ses clients à aller vers la voiture. Mieux encore, voilà qu’une entreprise nationale, publique et dont l’état est l’unique « actionnaire » et responsable (puisque la SNCF est un EPIC), va pousser ses clients usagers à aller voir une entreprise privée directement concurrente des taxis. Encore plus mieux encore, voilà qu’une entreprise publique qui vend du rêve sur rail investit dans du rêve sur roue, alors que l’État prétend aider les taxis et a même régulièrement rappelé que leur monopole ne pouvait pas tomber…

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Tout ceci n’est pas seulement étrange, tout ceci sent le n’importe quoi très concentré.

Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : tant mieux si la SNCF sort de décennies d’immobilisme sclérosé par un syndicalisme englué dans une lutte des classes d’un autre âge et tant mieux si elle décide de foncer dans les nouvelles technologies, de favoriser ainsi une plate-forme de VTC et de donner un vrai souffle commercial et institutionnel à un moyen de transport plébiscité par presque tous les Français, depuis que Uber leur aura rappelé qu’innovation et bas coûts peuvent aussi exister en France. Tant mieux.

Mais il y a comme une grande confusion dans ce nouveau rebondissement dans l’aventure palpitante de l’État Actionnaire. On sent comme un grand trouble dans la force de l’État stratège qui semble ici se fourrer le doigt dans l’œil et ailleurs.

Difficile ainsi d’oublier que pendant que l’État investit 3 millions dans Allocab par le truchement de la SNCF, l’État investit aussi lourdement dans une plate-forme internet permettant de réserver des taxis. Cela s’appelle même Le-Taxi (parce que Le-Monopole aurait sonné trop revanchard, je présume). J’avais déjà évoqué le biniou il y a quelques temps en notant qu’enfin, grâce à cette application mobile développée par la Délégation à la Sécurité et à la Circulation Routières ainsi que l’indispensable Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique, on allait pouvoir réserver un taxi sur son smartphone avec l’argent du contribuable.

D’un côté, nous avons donc Allocab, concurrent du taxi et du train, financé par l’État (qui fait des trains et chérit tendrement les taxis). De l’autre, nous avons aussi Le Taxi, concurrent des VTC et du train, financé par l’État (qui finance des VTC et du train en veux-tu en voilà). De près comme de loin, la seule conclusion qui s’impose réellement concernant l’État stratège, c’est qu’on est bel et bien en présence d’un schizophrène bourré.

Et si ces deux antagonismes devraient déjà, en eux-même, faire réfléchir sur la pertinence globale de la direction stratégique des uns et des autres lorsqu’il s’agit d’investir un peu d’argent des autres dans les nouvelles technologies, il faudra aussi ajouter à la note, maintenant franchement salée, la récente mésaventure d’Alstom et de ses petits trains. Eh oui, rappelez-vous : pendant que l’État fait apparemment tout pour à la fois favoriser le monopole des taxis et le saboter avec les plate-formes de VTC dans lesquelles il investit, l’État s’emploie aussi à concurrencer aussi bien les taxis que les VTC en offrant toujours plus de lignes de train à des prix défiant toute planification budgétaire, et va jusqu’à acheter des TGV pour des lignes locales basse-vitesse.

Et parce que point trop n’en faut, je n’évoquerais même pas ici les lignes de cars entretenues à grand frais par la SNCF (établissement toujours aussi public) qui concurrencent le train ainsi que les nouvelles lignes de car « Macron », décriées avec brio (et fourrage de doigt dans l’œil) par l’inénarrable Filoche, lignes au demeurant elles-mêmes poussées par le gouvernement.

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Si, avec un tel tableau, vous comprenez encore quelque chose à la fine stratégie d’investissement de l’État et des entreprises dans lequel il est actionnaire, c’est que les explications n’ont pas été suffisamment précises.

Cependant, il reste tout au moins une donnée absolument certaine, commune à tous ces investissements : dans chaque cas, il s’agit d’abord de décisions politiques alimentées par l’argent du contribuable, d’une façon ou d’une autre, et jamais sur des marchés complètement ouverts et concurrentiels.

On peut toujours croire que celui des VTC l’est, mais force est de constater que les efforts permanents des taxis pour mettre des bâtons dans les roues d’Uber et ses coreligionnaires aboutit bel et bien à faire une chasse jalousement gardée du convoyage de personnages par véhicules de tourisme. Les cars n’ont été que fort timidement libéralisés (cabotage), et la libéralisation du rail en France est un tabou qui n’est évoqué à mi-mots que dans les séances les plus masochistes du donjon gouvernemental.

En clair, après avoir aidé les taxis contre votre avis et avec votre argent, l’État utilise maintenant votre argent pour concurrencer ces derniers. Forcément, avec tous ces investissements antagonistes, tout ceci va bien se terminer. Forcément.

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