La dislocation de l’Europe ?

Une fois de plus, la théorie du maillon faible se confirme. Dans la chaîne européenne, le Royaume-Uni a été dès son entrée ce point de rupture. Il l’a été historiquement puisque la volonté de Londres de maintenir l’Europe divisée a été une constante de sa politique. La culture anglo-saxonne et la tradition maritime des Îles britanniques leur font préférer le grand large et les Etats-Unis au continent voisin. L’AELE pendant un temps rivale de la Communauté Européenne voulait développer un espace de libre-échange mais n’avait aucune intention de dissoudre les Etats dans une Europe fédérale. L’entrée de ses membres a donc été assortie pour plusieurs d’entre eux de réticences et de réserves. On se souvient des exigences de Mme Thatcher. Ni le Royaume-Uni, ni le Danemark, ni la Suède n’ont à se plaindre d’avoir gardé leurs monnaies nationales. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’euroscepticisme se soit répandu plus vite Outre-Manche. Le vilain petit canard grec en a été le meilleur argument : il convainc à la fois de la fragilité de la monnaie unique et de la faiblesse de l’Espace Schengen. Son exemple ne peut que susciter dans un pays jaloux de son indépendance le désir de ne pas abandonner une souveraineté ancienne, une maîtrise de son économie et de sa population.

Pour autant, ce maillon faible de l’Europe jouit d’une solidité interne. Son Premier Ministre vient d’être reconduit et de conquérir une majorité au Parlement pour le Parti Conservateur. Il s’était engagé à proposer un référendum sur le maintien de son pays dans l’Union en cas de succès. Il va tenir parole, et si les partenaires ne font pas preuve de souplesse pour lui permettre de défendre le Oui efficacement, ils seront responsables d’une nouvelle et grave crise européenne. Face à la légitimité de Cameron, personne ne fait le poids. Le Président du Conseil de l’U.E, Donald Tusk est un ancien Premier Ministre polonais dont le parti a été battu aux élections. Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, est un ancien Premier Ministre luxembourgeois, le Président du Parlement est un social-démocrate allemand, Martin Schulz. Tous deux ont vu leur formation perdre les élections dans leurs pays. L’Europe, en effet, est un excellent, mais coûteux outil de recyclage politique. Il y a bien sûr les 27 partenaires qui eux disposent d’une légitimité nationale théorique, mais que les circonstances ont souvent fragilisée. Certes, la Belgique aspire toujours au fédéralisme, mais est-ce encore un Etat ? L’Espagne, le Portugal et la Grèce ont des majorités branlantes ou n’en ont pas. Mme Merkel a gâché son potentiel en révélant son irresponsabilité face à l’immigration. Le groupe de Visegrad est certes attaché aux avantages sociaux des migrants européens en Grande-Bretagne, mais la plupart de ses membres ne sont pas dans la zone euro et s’opposent à l’Union pour l’accueil des migrants. Enfin, la France dont le Président recueille aujourd’hui 20% d’opinions favorables a cependant le toupet d’être le pays le plus fermé à la négociation, alors qu’elle est un mauvais élève de l’Euro, n’en respecte toujours pas les règles, et n’a pas eu, contrairement à l’Angleterre le courage de se réformer.

David Cameron va être exigeant. Face à lui, l’Europe est divisée, mais des deux côtés de la négociation, l’intérêt est d’aboutir à un accord puisque le Premier Ministre de sa Majesté ne veut pas quitter l’Union, mais seulement prouver qu’il défend bien les intérêts de son pays et que les partenaires européens sont prêts à bien des sacrifices pour ne pas donner l’impression que l’Europe est en échec et qu’elle recule. Si le Royaume-Uni a gain de cause, il pourra de l’extérieur influencer la zone euro, obtenir plus de libertés pour la City, et permettre à la majorité des parlements nationaux de s’opposer à une législation européenne qu’ils jugeraient contraire à leur souveraineté. Les travailleurs européens installés en Grande-Bretagne ne pourraient, enfin, percevoir certaines aides sociales qu’après avoir participé durant quatre ans à l’économie britannique.

Désormais, ce sera aux électeurs du Royaume-Uni de décider. Soit le Brexit sera le début de l’implosion européenne, soit le régime particulier offert aux Anglais sera un appel lancé à tous les autres de relever les exigences légitimes de leur souveraineté nationale. Dans les deux cas, l’Europe sera confrontée à une inversion du mouvement de mondialisation qui a prévalu ces dernières décennies. L’Histoire est souvent parcourue par ces oscillations du balancier. Le Brexit n’est pas un incident de parcours. C’est un signe parmi d’autres qu’une séquence historique est arrivée à son terme.

Related Articles

18 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • miledeux , 20 février 2016 @ 12 h 27 min

    Je suis persuadé que les pays membres devraient s’entendre pour revoir “l’europe” telle qu’elle est,reprendre leur légitimité,avant que celle-çi implose sans controle.Sans controle les pays membres se retrouveraient devant des problèmes d’une gravité insoupçonnés.

  • orldiabolo , 20 février 2016 @ 12 h 31 min

    Ne pas oublier que d’après un haut responsable américain dont le nom ne me reviens hélas pas, “la création de l’Union Européenne fut le plus grand succès de la CIA après guerre”

  • Stephan_Toulousain , 20 février 2016 @ 13 h 54 min

    Cameron a fait son cinéma, comme prévu. Il a obtenu des accords , accords presque ridicules. Aucun engagement pour la livraison ou non de centaines de milliers de migrants n’a été signé.
    la parole est au peuple, le 23 juin je crois.

    Si le peuple décide de rester dans l’UE, il devra accepter les migrants de calais et les autres qui attendent. Si le peuple décide l’inverse, 2 conséquences immédiates :
    – ce sera la preuve qu”on peut facilement sortir de l’UE
    – les migrants de Calais resteront en France , j’espère qu’ils iront en Corrèze, à Tulle , chez Hollande qui les aime si bien

  • Marino , 20 février 2016 @ 13 h 57 min

    L’accord évitant le « Brexit » ouvre la voie à une Europe « à la carte »

    David Cameron s’est félicité d’avoir obtenu gain de cause sur toutes ses demandes. « Le Royaume-Uni ne fera jamais parti d’un super Etat de l’Union européenne, le pays n’adoptera jamais l’euro, nous ne participerons pas aux parties de l’Union qui ne fonctionnent pas [Schengen, l’euro] », a t-il insisté

    « C’est suffisant pour moi afin de faire campagne pour le OUI au référendum. L’Union n’est pas parfaite, mais lui tourner le dos n’est pas une solution » a t-il conclu.

    Le bilan pour l’Europe ?

    Même si M. Juncker invite les journalistes « avec l’élégance qui les caractérise » à ne pas considérer qu’elle est « en crise ou incapable de décider », l’Union semble bien fatiguée par cette négociation au long cours.

    Elle reste confrontée à une « polycrise » qui n’est pas résolue, la migration, avec un sommet prévu début mars, axé sur la Turquie, puis un autre quinze jours plus tard, qui sera décisif pour l’avenir de l’espace de libre circulation Schengen.

    Les divisions et le manque de solidarité entre les pays membres n’ont jamais semblé aussi profonds.

    Un NON éventuel des électeurs britanniques réduirait à néant la négociation des derniers jours mais provoquerait un nouveau séisme pour une Union en plein questionnement.

    Tous ses ministres ne le suivront pas. Selon les médias britanniques, le ministre de la Justice, M. Gove, fera campagne pour le Brexit.

    Pas sûr de faire baisser le ton des euroseptiques..

  • Tonio , 20 février 2016 @ 18 h 08 min

    “Le Brexit n’est pas un incident de parcours…*
    c’est le début de la fin.
    A qui le tour ?
    On sait que la Commission est prête à tout pour faire croire qu’elle sert encore à quelque chose; c’est un ramas de récupération, un recyclage d’épaves politiques: qu’est qui pourrait bien en sortir ?

    Il suffit de tenir la dragée assez haute $ ses larbins des USA, pour obtenir ce qu’on veut: au suivant !

  • jean2 , 20 février 2016 @ 18 h 26 min

    Un oui à l’Union ne fera que de prolonger l’agonie de l’Union européenne . Les ministres européens ne font que de palabrer sans trouver de solutions à certains problèmes qui eux sont aussi importants , sinon plus, comme l’immigration, le chômage, les frontières.
    L’Europe n’est pas faite pour les travailleurs, elle a détruit, et détruit encore la classe ouvrière, qui elle se bat pour plus de justice. En effet cette justice est réduite à néant par ces technocrates de Bruxelles .

  • Chevalier-de-Moncaire , 20 février 2016 @ 19 h 09 min

    L’actuelle Union européenne est une fausse union

Comments are closed.