Classement RSF : lorsque la liberté de la presse française nuit debout

Ce 20 avril sort le rapport annuel de Reporters Sans Frontières. Vous savez, c’est ce rapport gastronomique sur les meilleures tables françaises qui… Ah non. Il s’agit du rapport, nettement moins festif, sur la liberté de la presse dans le monde. Ou l’ampleur de son absence, disons.

Et pour être moins festif, il l’est, puisque le constat est amer, comme les années précédentes. Il est surtout pire qu’en 2015, année déjà pas trop fameuse en matière de respect de la liberté d’expression, du journalisme et de la presse. Pour RSF, l’année écoulée montre que la liberté de la presse s’est encore dégradée.

Et conformément à ce qu’on pourrait attendre d’un monde qui ne choisit pas toujours ses gouvernements, ce sont à peu près les mêmes méthodes et les mêmes armes qui sont utilisées pour museler les opinions dissidentes et les voix discordantes, dans tous les pays, à différents degrés. Ainsi certains États n’hésitent pas, en plus de sucrer internet lorsqu’ils le peuvent, à détruire presses, locaux ou antennes d’émission pour s’assurer d’un épais contrôle des informations que le peuple peut recevoir.

La France est toujours, sinon officiellement mais au moins officieusement et à l’intérieur de l’Hexagone, le phare du monde libre et moderne, qui indique à tous la direction à prendre d’un doigt secoué de Parkinson, ce qui ne l’empêche nullement d’être toujours aussi mal placée dans le classement. Ce détachement plein de toupet avec la réalité n’est pas sans évoquer un début d’Alzheimer que le pays semble mûr pour développer, mais l’oubli n’est guère possible : l’année 2015 aura été marquée, sur le plan de la liberté d’expression, par la multiplication de petits coups de canifs législatifs, la promulgation de l’état d’urgence n’étant pas le moindre.

Dans les autres pays aussi, la dégradation observée par RSF s’explique pour partie par le passage de lois spécifiquement faites pour encadrer la liberté d’expression dans le cadre de situations exceptionnelles (liées au terrorisme, essentiellement). Cependant, RSF cite aussi l’auto-censure des journalistes comme raison supplémentaire à cette baisse de la liberté d’expression.

De ce point de vue, RSF dresse un bilan argumenté de la situation et donne quelques éléments solides d’analyse. Il semble cependant qu’on n’insiste guère sur le lien pourtant évident entre les subventions à la presse et son comportement observé, notamment celui d’auto-censure évoqué par l’ONG.

Difficile, en effet, de ne pas noter l’écart important entre la presse telle qu’elle est pratiquée lorsqu’elle ne dépend que de ses lecteurs (que ce soit des acheteurs ou des donateurs), et la presse qui bénéficie de long en large des facilités offertes par la puissance publique, depuis les abattement fiscaux spécialement dédicacés aux journalistes, jusqu’à des frais réduits de distribution postale en passant par des versements réguliers d’argent public, à gros bouillons, depuis des tuyaux en provenance directe du Trésor Public, et que l’organe soit public ou carrément stipendié par le Grand Kapital (bisous Libération).

Et quand on parle d’écart, on euphémise à gros traits : il y a même un fossé entre les deux types de presse, celle directement confrontée à la concurrence et à l’obligation impérieuse d’aller conquérir un public par la pertinence de ses informations, de ses vues, de ses analyses et de son format, et l’autre, dont l’objectif sera de ménager autant que possible les susceptibilités de ceux qui autorisent les abondements publics sans lesquels, point de salut et de confortable rente.

Évidemment, si l’auto-censure dont RSF fait mention n’est pas intégralement une conséquence de cette subsidiation massive de la presse, la présence d’un robinet public n’en reste pas moins un élément déterminant dans le choix des sujets et l’ampleur des traitements qui en seront faits par les journalistes.

De surcroît, un autre phénomène joue énormément, en amont de cette subsidiation, et lui est consubstantiel : pour s’assurer qu’un organe de presse continuera d’obtenir ses subventions et plaira donc à l’intelligentsia en place, chaque génération de journalistes s’emploiera, par petites touches subtiles et successives, à recruter la génération suivante auprès de journalistes estimés conformes à l’idée qu’ils se font de cette continuité.

Ces journalistes seront d’autant plus facile à recruter s’ils ont été préalablement formés dans le « bon » moule. Et – ça tombe bien – ce moule, l’Éducation Nationale et les précédents journalistes vont le fabriquer sans aucune difficulté.

N’y voyez là aucun complot. C’est, tout simplement, de la reproduction d’un schéma qui a marché (encore une fois, l’absence de concurrence, tant au niveau de la formation qu’au niveau de la presse, explique très bien cette reproduction à l’identique du schéma désiré). Autrement dit, le journalisme français tourne en rond, produit par atavisme du journaliste en vase clos, quasi-consanguin, sans se confronter à la concurrence des idées et des méthodes. Et cela se remarque directement dans le résultat offert aux foules qui ont de plus en plus de mal à le gober.

Ici, l’exemple des « Nuits Debout » est tellement flagrant et se vautre si tendrement dans le caricatural qu’il aurait été dommage de ne pas l’évoquer : depuis maintenant près de trois semaines, nous assistons à une véritable déferlante d’articles complaisants sur un épiphénomène au départ microscopique, qui ne représente rien dans la société civile, mais prend une importance disproportionnée parce qu’il répond aux attentes d’une classe médiatique uniformément de gauche et quasi-fonctionnarisée.

Comment passer à côté de ces longs reportages palpitants sur Varoufakis, l’ancien et fugace ministre grec de l’Économie, qui n’est plus rien et a laissé son pays dans une merde insondable, et qui a eu la « présence d’esprit » de pointer son nez et d’être si chaleureusement accueilli place de la République ?

Comment ne pas voir la retape quasi-putassière de nos organes de presse nationaux (ici, ici ou ) ou même régionaux (ici) lorsqu’il s’agit de bien faire passer le message, urbi et orbi, que – oyez, oyez – le mouvement s’étend, gagne en importance, se fait rallier par toutes les villes du Royaume en ébullition, sonnez hautbois, résonnez musettes ! … dans un mouvement qui sent surtout la prophétie auto-réalisatrice et l’événementiel hype & fashion du moment qui, s’il n’est pas correctement publicisé et marketé par nos écrivaillons, risque bien de s’essouffler dans un petit pschitt minable, tant l’odeur d’entre-soi exclusif devient forte.

Et pour en revenir à RSF, comment ne pas voir l’état de délabrement avancé d’une presse qui méprise à tel point son lectorat pour lui infliger ses petites lubies ?

Et sans même s’attarder sur les Somnambules Républicains, on aurait pu rappeler le scandale éolien dont la presse subventionnée a fini par s’emparer, plus d’un an après les remarques pourtant argumentées et les articles précis trouvés sur la presse non subventionnée, elle, Contrepoints en tête.

De ces écarts de plus en plus manifestes entre ce qui est raconté dans les journaux et ce qui est vu, et vécu, par les populations, résulte directement l’effondrement des ventes des journaux français, de même que la désaffection progressive des lecteurs y compris sur les équivalents numériques ; alors que dans le monde apparaissent de nouveaux formats, de nouveaux tons, de nouvelles « façons de faire » journalistiques, la presse française peine énormément à se renouveler et à adopter ces nouveaux codes. Pire : engluée dans cette auto-censure, elle continue dans cette reproduction idéologique sans issue que RSF mesure pourtant si bien.

Si, dans beaucoup de pays, la censure est un acte étatique, un choix gouvernemental, et passe par des lois et des interdits, en France il en va tout autrement : l’auto-censure a largement remporté la bataille. Le gouvernement n’a même plus besoin de faire taire ses opposants. Il lui suffit de laisser sa presse s’en occuper.

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11 Comments

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  • 0 / 10
  • brandenburg , 20 avril 2016 @ 11 h 03 min

    Le journalisme a toujours été le refuge des ratés de tout et des frustrés de l’action.Alors,qu’importe…

  • Jean Aymare , 20 avril 2016 @ 13 h 17 min

    Comme toujours votre site est à côté de la plaque dans ses analyses et le seul commentaire pour l’instant (20 avril 13h) révèle bien le niveau de considération du journalisme par vos lecteurs.

  • HuGo , 20 avril 2016 @ 13 h 23 min

    Si je ne me trompe..dites-le moi sinon, l’autocensure, convaincue de sa justesse, c’est du même type aux USA !

  • Francois Desvignes , 20 avril 2016 @ 15 h 04 min

    Un journaliste qui ne pense pas comme son maitre, est un journaliste dont la durée de vie professionnelle n’excède pas 24 heures

    -1/ Pour avoir une pension il faut être courtisan et pour être courtisan, il faut plaire.

    -2/ Il faut se prostituer.

    -3/ Le courtisan pour supporter sa prostitution, finit par se convaincre que son maitre est bon

    -4/ En effet, ce mensonge éhonté lui permet de ne pas avoir à reconnaitre ni sa prostitution ni sa lâcheté

  • petitjean , 20 avril 2016 @ 17 h 20 min

    restons en France et même en Europe

    les journalistes sont les premiers ennemis de la liberté de la presse. J’ajoute que les médias privés ou les médias d’état ne sont plus que des organes de propagande. Pour les médias privés, regardez qui sont les propriétaires et vous aurez tout compris.

    D’ailleurs, pour mesurer à quel point les journalistes nous trahissent, il suffit de lire ou de relire leur Charte :
    http://snj.fr/node/19

    connaissez vous ce que dit le bon sens populaire des journalistes : “un journaliste, soit c’est une pute, soit c’est un chômeur” fin de citation…….

  • petitjean , 20 avril 2016 @ 17 h 25 min

    Ce qu’on disait déjà du métier de journaliste il y a plus d’un siècle :

    À New York, lors d’un banquet, le 25 septembre 1880, le célèbre journaliste John Swinton se fâche quand on propose de boire un toast à la liberté de la presse :

    « Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »
    (Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

  • V_Parlier , 20 avril 2016 @ 20 h 37 min

    Oui. La France est devenue, comme le disent les politiciens américains se croyant flatteurs, la “fille des Etats Unis”, presque en tous points. (Sauf que là-bas ils ne sont pas toujours aussi tendres avec les cailleras qu’ici, bien que ça devienne tout de même la jungle chez eux aussi).

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