Merci à McCarthy pour son « Arbre »…

La Mairie de Paris avait fait ériger une sorte de baudruche géante due à l’Américain Paul McCarthy sur la place Vendôme. Scandaleuse atteinte à la liberté d’expression de l’artiste, des inconnus aussitôt dénoncés comme la résurgence de nazis potentiels par la bien-pensance, ont dégonflé la chose appelée « arbre » évidemment en sabir atlantique, « tree ». A ma grande honte, j’avoue y voir effectivement une sorte de sapin stylisé. L’innocence est ridicule de nos jours. Il s’agissait d’un godemichet titanesque. Je préfère ce vieux mot de chez nous à celui du sabir susnommé. Et c’est l’« auteur » qui le proclame pour ceux qui comme moi ne se sont jamais intéressés à ses productions assez obsessionnellement liées au stade anal. De défécations en sodomies zoophiles, il ne semble penser qu’à ça. Il s’agissait donc bien d’un geste provocateur en quoi se réfugie souvent la créativité essoufflée de l’art contemporain. Rien de bien nouveau, en somme, puisque le scandale alimente la création depuis deux siècles et la provocation systématique depuis le siècle dernier. Toutefois, le but était clair qui consistait à briser les habitudes, à ouvrir des voies nouvelles, à aborder de nouveaux sujets et à repenser l’art. Les moyens étaient risqués, sans soutien public, ni intérêt du marché, avec l’opprobre des critiques et parfois la condamnation des tribunaux. La situation s’est inversée depuis, car de peur de ne pas déceler le génie à temps, on a fait de l’innovation voire de la transgression, le signe indubitable de la création. Par un assez beau paradoxe, celles-ci sont devenues des routines, la voie royale de prétendus artistes absolument dénués d’inspiration. Dans notre pays, en particulier, l’Etat et les collectivités territoriales subventionnent un art officiel qui non seulement met le provocateur à l’abri du risque, mais même lui permet de fréquenter les allées du pouvoir. L’artiste maudit devient le transgresseur adulé et institutionnel au travers d’une métamorphose qui passe par les mystérieux réseaux du copinage et des connivences.

N’imaginant pas une seconde que tel soit le cas à la Mairie de notre splendide capitale, j’ai cherché la signification de cet objet. Sa présence insolite sur une des places les plus prestigieuses du monde, entre grands bijoutiers et Ministère de la Justice, dans un ensemble architectural classique conçu sous Louis XIV, pouvait être un moyen de déranger le regard, de nous faire jeter un oeil neuf sur ce haut lieu de notre patrimoine. Intéressante conception de l’oeuvre qu’on juge si peu digne d’intérêt qu’elle n’existe que par et pour ce qui l’entoure. C’est devenu un rite à Versailles avec des « créateurs » comme Jeff Koons ou Takashi Murakami dont les oeuvres répétitives dialoguaient avec, là aussi, la magnificence du Grand Siècle, des faire-valoir, en somme, que certains ont perçu comme des sacrilèges. Si l’on excepte les revenus qu’ils en tirent, ces « artistes » m’inspirent davantage de commisération que de révolte. Beaucoup d’oeuvres, selon moi dénuées de toute valeur esthétique, mais souvent de dimension considérable ne sont que les prétextes d’une réalisation architecturale réellement intéressante. Ainsi en est-il des plaques d’acier gigantesques de Richard Serra au Guggenheim de Bilbao, ce chef d’oeuvre de Frank Gehri qui est devenu le symbole de la grande ville basque. Le primitif flamand ne signait pas et demeure anonyme. Puis l’artiste est devenu un créateur de plus en plus original et reconnaissable par la virtuosité de sa technique ou par le choix de ses sujets. Il s’est même hissé au rang de démiurge, créant un univers qui lui était propre. Par la suite, cette originalité du créateur s’est étiolée. Après avoir cherché sa voie dans l’imitation de ses aînés, il ne parvient désormais à la notoriété que le jour où il a inventé un type d’oeuvre identifiable, ne serait-ce que par la présence d’un détail incongru, et à la consécration en s’enfermant dans cette production. Aujourd’hui le marché achète la signature plus que l’oeuvre et à condition que cette dernière soit dans le créneau qu’il lui assigne. On aboutit à ce double paradoxe d’une innovation qui se répète à l’infini, et d’un art transgressif tout ce qu’il y a de plus officiel.

Donc, la Mairie de Paris a permis à McCarthy d’installer son produit sur la place Vendôme et le message de l’artiste était triple : d’abord faire de la publicité à la FIAC ; ensuite, assouvir son obsession anale en opposant son objet en concurrence phallique avec la colonne, affirmation virile commémorant les victoires de Napoléon, laquelle a d’ailleurs remplacé une statue de Louis XIV, bien mieux proportionnée au décor ; enfin et surtout choquer le public, puisque dans le fond il est payé pour ça. L’« oeuvre » a été mise hors d’état de nuire par des défenseurs du patrimoine ou des croisés moralistes, et démontée, l’« artiste » lui-même a été agressé. Les notables bien-pensants d’aujourd’hui ont immédiatement crié au nazisme et au retour des heures sombres. Moi, je crois qu’il faut être reconnaissant envers McCarthy. Cet obsédé de l’inversion suscite une prise de conscience fulgurante de l’inversion des valeurs qui caractérise notre société. La transgression et la provocation imposées par les autorités et défendues par le discours institutionnel, l’espace public envahi par les obsessions privées grâce à de l’argent public dévoyé par des coteries bien en cour, la liberté d’expression et de création érigée en muraille de protection de l’art officiel quand les censures du débat politique se font plus fortes ou plus sournoises au nom du politiquement correct, l’artiste tombé de la spiritualité des cathédrales jusqu’à la production scatologique : tout cela témoigne du renversement qui s’est opéré dans notre civilisation. Celle-ci plaçait la spiritualité et la défense de la communauté au-dessus de sa production, de son économie. Comment ne pas voir que l’ordre s’est inversé, que le matérialisme s’impose que ce soit celui de Marx ou celui de la société mercantile. N’est-ce pas le même, d’ailleurs ? Et les psychanalystes ajouteront que le stade anal est justement pour l’homme celui qui s’identifie à la production, à la maîtrise de la matière bien avant que la sublimation ne suscite des idéaux. Que notre « progrès » soit d’un « autre côté » une régression, merci à McCarthy de nous donner l’occasion de l’entrevoir.

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17 Comments

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  • 0 / 10
  • La Rochefoucauld , 22 octobre 2014 @ 0 h 22 min

    Merci pour ce commentaire fort à propos qui ravira les quelques français qui ont encore leur raison et qui pourraient bien l’utiliser pour renverser cette dictature molle.
    « C’EST UNE RÉVOLTE ? – NON, SIRE, C’EST UNE RÉVOLUTION » DUC DE LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT, 1789

  • pas dupe , 22 octobre 2014 @ 6 h 46 min

    Quand on sait que l’espagnole qui sert de maire veut démolir un immeuble qui date de Henri IV, cela devrait vous renseigner sur ces goûts de ch…. s ! Elle veut supprimer la commission qui s’oppose à la destruction de ce patrimoine !

    Vous avez vu que les socialos ont fermé les urgences de l’hôtel Dieu et qu’il est question de fermer le Val de Grâce !!! Aucune illusion à avoir ce n’est pas une question d’économie, c’est juste parce qu’il y a référence à la religion chrétienne.

  • Martine , 26 octobre 2014 @ 14 h 09 min

    Certains jours, je me dis qu’il n’est pas possible que des “dirigeants”, des élites, des énarques, des francs-maçons, soient si bêtes, si odieux, si pervers, si immondes intellectuellement….. Et puis tous les jours, quelque chose arrive, une décision, une loi, une parole, qui confirme que ces “sous-gens” sont des minables, des inconscients, des insanes, des monstres aux cerveaux sous-ventraux…….
    Depuis le 6 mai 2012, aucune décision n’a été claire, nette, précise et prise sans rétropédalage. Les médias, à la botte de hollande, font de temps en temps le point sur ses avancées (!!!!!) dans ses promesses électorales…. Un fiasco même si parfois, ils arrivent à lui accorder des réalisations qui en fait n’existent pas : par exemple, on lui accorde qu’à son arrivée, il a décidé de baisser de 30 % le salaire des ministres et l’a fait. Or, le Conseil d’Etat a refusé cette mesure que la Constitution interdit……
    Facile de créditer ces sous-hommes mais dans la réalité, nous savons bien, nous le peuple méprisé et racketté jour après jour que ce sous gouvernement n’a rien fait et ne fera rien pendant les deux ans et demi qui lui restent. Nous allons devoir les subir et subir leurs stupidités, le pays va se déliter sans espoir de retour et ils s’en sortiront haut la main, tablant sur la crise prochaine qui va étayer leur incompétence en accentuant encore notre dette, notre chômage, etc……….

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