Des identités meurtrières à l’identité malheureuse…

Amin Maalouf est Franco-Libanais et issu d’une famille tissée de la diversité des chrétiens d’Orient. Alain Finkielkraut est un Français dont la famille juive polonaise a subi la persécution nazie. Tous deux sont venus d’ailleurs mais l’un et l’autre participent à l’enrichissement du trésor qui leur est commun : la langue française. Au delà de leurs communautés nationales ou religieuses d’origine à l’égard desquelles ils cultivent l’un et l’autre une lucidité distante mais nullement indifférente, la France est leur terre d’élection, parce que c’est celle qui a accueilli et abrité leur pensée. Or leur réflexion a abordé le même rivage, celui, passionnant ou inquiétant, de l’identité. Pour le premier, qui se voudrait sans doute citoyen du monde, elle est meurtrière, pour le second, elle est devenue malheureuse.

De quelle identité s’agit-il ? Amin Maalouf place au premier plan l’identité personnelle. Une personne ne se résume pas à une appartenance qui serait dominante. Elle peut être partagée entre celle d’où elle vient et celle du pays où elle vit. Elle peut en ressentir plusieurs et même en changer. Pour lui, l’identité communautaire enferme. Elle peut être fallacieuse et meurtrière. Le citoyen du monde peut se sentir plus proche d’un passant de Séoul ou de San Francisco que de son arrière grand-père. Néanmoins, voyageur avec bagages, l’immigrant sera d’autant plus ouvert à la culture d’accueil que les autochtones respecteront la sienne. Le monde qui advient est celui des minoritaires et des migrants, nous dit-il. Les « frontaliers » sont des ponts entre les cultures, qui ne doivent pas être obligés de choisir leur camp ni contraints de prolonger seulement l’histoire du pays qui les accueille. Le livre d’Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, est ainsi rempli des bons sentiments d’un immigré de haut niveau, humaniste, membre d’une communauté internationale qui est celle de la culture et de l’écriture. Toutefois, sa volonté d’être un spectateur impartial est parfois prise en défaut. Toutes les religions se valent, ce sont les comportements des religieux plus que la doctrine de la religion qu’il faut considérer, suggère t-il. Peut-être aurait-il pu songer à la permanence des comportements humains, à la violence, à la tendance naturelle à distinguer le même de l’autre, et à la capacité plus ou moins forte de telle ou telle religion de s’y opposer et d’en triompher ? Le christianisme ou l’islam, sans parler de l’hindouisme, ne sont pas semblables sur ce point et n’ont pas fait évoluer les sociétés de manière comparable. Lorsqu’il affirme, par exemple, que toute pratique discriminatoire est dangereuse, n’est-ce pas une pensée chrétienne peu présente chez d’autres ? Mais, la mondialisation qui se traduit plus par l’uniformisation nord-américaine que par l’universalité humaniste fait naître le besoin d’identité, une identité réinventée plus que conservée chez les migrants, une identité souvent malheureuse chez les autres, chez les Français en particulier.

C’est le thème du dernier livre d’Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse. Le besoin d’identité, c’est d’abord la résistance du citoyen, du membre de la cité pour ne pas être réduit à n’être qu’un travailleur-consommateur. Mais cette résistance ne trouve qu’une faible ligne de défense dans la fragilité de l’identité nationale. « Nulle hérédité n’empêche les héritiers que nous sommes de laisser l’héritage en plan », écrit Finkielkraut. En face d’une immigration familiale qui vient avec ses moeurs et ses valeurs, la mauvaise conscience européenne saturée de culpabilité post-coloniale et de laïcité relativiste, n’offre que le terrain vague de ses incertitudes. Elle n’a plus la force de transmettre, d’être la référence pour celui qui arrive. Elle recule sur les coutumes et les costumes. Elle doute de son enseignement. Elle cherche sa rédemption dans son effacement. Le christianisme se veut hospitalité, la laïcité, totale tolérance, la nation, oubli de son Histoire. L’Europe se définit par son cosmopolitisme afin de se faire pardonner le nazisme. La France à la recherche de son identité est baptisée « conglomérat » et « métissage » par le ministre en charge de cette recherche. La haine entretenue de la maison natale laisse effectivement se dresser les identités meurtrières des migrants et des minoritaires devant l’obligation impérieuse de cacher ou d’ignorer des racines trop empreintes d’un orgueil inconvenant. Noël, non, mais l’hiver et Pâques, le printemps. On n’enseignera plus Le Cid, ni Tartufe, ni Louis XIV, bref, on effacera l’essentiel, pour ne pas paraître raciste ou xénophobe. À force de savoir qu’avec la fin des colonies, on n’est plus chez soi, chez les autres, on finit par ne plus se sentir chez soi à la maison.

Or ce lâche renoncement est le contraire de l’humanisme. Alain Finkielkraut rappelle le second message de Claude Levi-Strauss. Si le racisme qui confond nature et culture est faux et condamnable, la fidélité à sa culture, à cette chose « précieuse, fragile et périssable » est un devoir altruiste, celui de conserver et de développer un trésor pour l’échanger, sans en nier la valeur.  C’est là la condition d’une identité heureuse et généreuse face aux identités meurtrières auxquelles il ne faut rien abandonner.

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19 Comments

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  • Héraclite , 20 novembre 2013 @ 21 h 24 min

    Je suis déçu que Amin Maalouf semble reprendre le credo bobo-libertaire…J’avais lu un livre de lui très intéressant, “Les croisades vues par les Arabes”, où l’on voit que sur certains points, l’Islam d’alors était plus compréhensif et tolérant à l’égard des Croisés que maintenant !

  • MCT. , 20 novembre 2013 @ 22 h 17 min

    A Lyon fin octobre, c’est déjà ça, voir pire : un bidonville de fortune sous les ponts et arcades d’autoroute. En pleine ville !
    J’étais ahurie, n’ayant vu ça, de mes yeux, qu’à Bombay.
    Pauvre France.

  • jean-luc , 21 novembre 2013 @ 9 h 00 min

    “sur certains points, l’Islam d’alors était plus compréhensif et tolérant à l’égard des Croisés que maintenant !”

    Un trucage. Ce trucage historique est une invention des romantiques et plus spécifiquement de Sir Walter Scott dans “The Talisman”, second livre de “Tales of the Crusaders” qui a inventé un Saladin bon et tolérant. Qui a largement inspiré les gros navets de Ridley Scott : “Kingdom of Heaven” et même son grotesque “Robin Hood” (il est en train de tourner une nouvelle version des “Dix Commandements” intitulé… “Exodus”, ça promet !)

  • Bernard , 21 novembre 2013 @ 11 h 08 min

    NE PENSEZ VOUS PAS que nous avons largement intégré toutes ces couleurs ?
    Je pense qu’il serait temps de fermer les frontières passoires….
    MAIS quiqu’on en pense, cette immigration maximum est voulue pour assumer, dans quelques années une révolution inter raciale, une destruction massive de la vieille France

    Là , nous seront responsables, les zélites se disculperont par

    Ne faut il pas s’opposer à l’UE et au NOM ????

  • Bernard , 21 novembre 2013 @ 11 h 09 min

    Pourriez vous nous en dire plus, nous donner un lien pour nous informer sur cette loi ?
    Merci

  • Bernard , 21 novembre 2013 @ 11 h 18 min

    OUI, mais savez vous que je n’ai pas cherché la pire photo, non celle trouvée
    QUI nous montre – que la France enviée par les étrangers, nous dit-on – est devenue un pays du tiers monde !
    Mais ceci démontre bien ce que je déclare

    Comme Flamby, nos élus n’en ont plus, n’en ont jamais eu….. pour défendre la France
    ALORS ne NOUS ETONNONS PAS de ce qui va encore nous arriver sur la ……..

  • Tom Joad , 21 novembre 2013 @ 14 h 06 min

    Merci Jean-Luc

    pour votre commentaire qui met l’accent sur le rôle joué par les romantiques, parmi lesquels Walter Scott, dans l’invention d’un Islam “compréhensif et tolérant”.

    Pensons également au rôle joué par le peintre romantique et orientaliste Eugène Delacroix, dans la réhabilitation de l’Islam auprès d’une bourgeoisie occidentale, alors en passe d’être totalement déchristianisée.

    Mais cela devrait-il nous étonner de la part du peintre de “La liberté guidant le peuple”, qui célébrait le triomphe de la république au travers de la figure de Marianne, cette “salope à bonnet phrygien” selon la formule, sinon élégante, mais explicite du grand écrivain catholique Léon Bloy.

    Retenons en tous cas que Scott et Delacroix avaient été, comme tant d’autres grandes figures du Romantisme, telles que Goethe, initiés à la franc-maçonnerie.

    À chacun, selon sa Raison, d’en retirer quelque enseignement.

    Cela dit, j’ajouterai que le lien que vous établissez avec Ridley Scott m’a ouvert des perspectives que je n’avais jamais envisagées quant aux idées véhiculées par ce cinéaste.

    En revoyant récemment “Kingdom of heaven”, j’avais certes pris conscience que son film était viscéralement anti-chrétien et a contrario profondément islamophile, chose que je n’avais absolument pas perçu à l’époque de sa sortie en salles; mais en revanche je n’avais pas su établir la signification d’une telle propagande et le lien avec le reste de sa filmographie.

    Chose faîte désormais, et c’est grâce à vous, cher Jean-Luc.

    De Blade Runner à Prometheus, nombre de ses films sont empreints de symboles dont la récurrence laisse peu de doute quant à l’inspiration gnostique et maçonnique du réalisateur.

    En outre, des films en apparence plus anecdotiques, tels Thelma et Louise ou G.I. Jane promeuvent un féminisme radical, et des thèses chères au lobby LGBT et aux adeptes de la théorie du genre.

    Bref, 2 films, qui, s’il n’y sont déjà, figureront bientôt dans les nouveaux programmes scolaires concoctés par les initiés Peillon et Belkacem…

    Et en effet ces idées prétendument “progressistes” ont,pour nombre d’entre-elles, germé au sein des loges du Grand Orient et d’ailleurs, pour ensuite infuser l’ensemble de la société via les mass-médias et l’appareil politique.

    Et notons, pour en finir avec Ridley Scott, que la société qu’il a fondé avec son frère Tony (qui a mis fin à ses jours à la manière de “Thelma et Louise”) se nomme “Scott FREE”.

    Un hasard ?

    La courte animation du logo de la société, visible à partir du lien ci-dessous, lève, me semble-t-il toute ambiguïté…

    http://www.youtube.com/watch?v=TJFIXvz9XtE

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