Optimisation fiscale : faut-il sanctionner l’Irlande ?

Saluée par les amateurs de rugby, l’Irlande a également su charmer les amateurs… d’optimisation fiscale ! En effet, le pays est régulièrement critiqué pour ses largesses fiscales jugées illicites. Et à l’heure où l’Europe semble se réveiller face à l’ampleur de la fraude fiscale, l’Irlande est poussée à faire amende honorable. Diversion ou véritable mea culpa ? Réponse.

L’Irlande sur le fil rouge

Ils pèsent plusieurs milliards de dollars et sont pour la plupart les géants américains du Web. Google ou Apple sont (de tristes) symboles de l’optimisation fiscale à l’irlandaise : les entreprises comptent sur de belles ristournes (plusieurs milliards d’euros) grâce au système fiscal irlandais. Les GAFA utilisent également à leur profit les textes bilatéraux et autres conventions fiscales qui n’ont connu aucun avenant depuis près de 50 ans. Ainsi Google qui possède deux filiales irlandaises, bénéficie d’un taux d’imposition faible (12%). Et grâce à une ristourne supplémentaire sur la propriété intellectuelle, son taux d’imposition sur les bénéfices se ramène à seulement 2.4% (1).

Dropbox (2) a changé ses conditions d’utilisation afin de prévenir les utilisateurs hors Etats-Unis qu’ils dépendaient désormais de Dropbox Inc, maison mère basée en Irlande. Et ce changement n’est pas une réponse à des « problèmes techniques » mais bel et bien une manière de profiter de la souplesse fiscale irlandaise. Et l’Irlande ne séduit pas que les géants 2.0 mais également les laboratoires comme Pfizer et Allergan (3) qui ont récemment défrayé la chronique mais également le spécialiste du coffret cadeau Smartbox qui n’a pas hésité à créer une société irlandaise (Smartbox Experience Ltd). Cette filière est l’exploitante officielle de la marque Smartbox qui continue d’être domiciliée en région parisienne. Les emplois ont été délocalisés en Irlande…comme les impôts. Un système confortable auquel Smartbox (4) n’est pas prêt de renoncer puisque l’entreprise a annoncé chercher de nouveaux bureaux à Dublin. Smartbox et les autres, pourraient néanmoins revoir leurs plans car le gouvernement irlandais subit des pressions des Etats-Unis et des pays européens.

Le sursaut irlandais ?

En effet, les actions judiciaires en cours pourraient bien accélérer les choses. Bruxelles (5) a attaqué en 2014 l’Irlande et Apple, accusé d’avoir bénéficié pendant plus de vingt ans d’un régime fiscal illicite. Une enquête a été ouverte afin de déterminer si des arrangements douteux ont été conclus entre la multinationale et le gouvernement. Selon le Wall Street Journal (6), Apple pourrait devoir rembourser plus de 2.5 milliards de dollars à l’Irlande qui nie toute connivence et déclare simplement avoir appliqué ses lois. L’Irlande a d’ailleurs fait savoir qu’elle saisirait la Cour Européenne de Justice si elle se retrouvait ainsi discréditée.

Une déclaration qui contraste avec celles du ministre des Finances irlandais, Michael Noonan (7) qui a annoncé une réforme fiscale notamment avec la suppression du « double irlandais », abolissant ainsi la possibilité pour les entreprises de bénéficier du régime fiscal irlandais sans pour autant y résider fiscalement. L’Irlande servait alors d’intermédiaire à certaines entreprises qui enregistraient leurs bénéfices dans des paradis fiscaux via l’Irlande. Le pays ne prévoit pas néanmoins d’augmenter le taux de taxation sur les bénéfices. Pas de quoi remettre à plat le droit fiscal irlandais, donc.

Il faut comprendre que l’Irlande joue gros car elle a fait de l’accueil des entreprises sur son sol, une stratégie économique à part entière. Plus de 1000 entreprises étrangères y sont implantées. Si le pays ne tient plus à être considéré comme un paradis fiscal, il ne compte pas complètement renoncer à ce qui le rend prospère. La réforme fiscale annoncée par Michael Noonan promet donc d’être assez ardue à mettre en œuvre.

L’Irlande et les autres

Mais cette «démarche proactive» de l’Irlande ne mettra pas un terme aux pratiques d’optimisation. «Cela nécessite une action coordonnée de tous les États», insiste le ministre. C’est ce que souligne également l’ONG Oxfam (8), « ces multinationales continueront à tirer avantage des différentes règles fiscales tant que l’UE n’aura pas sifflé la fin de la partie et que les Etats membres ne se seront pas accordés pour mettre un terme aux échappatoires fiscales et sanctionner les tricheurs ». En effet, sanctionner l’Irlande n’a pas de sens dans un véritable arsenal européen anti-fraude. Car à côté de l’Irlande, d’autres pays, comme les Pays-Bas ou la Suisse, offrent aussi des régimes très favorables aux multinationales.

Le Luxembourg a également subit les foudres des Etats européens, échaudés par le LuxLeaks, mais également des fleurons nationaux qui payent bien leurs impôts et crient à la concurrence déloyale. Amazon a d’ailleurs déclaré vouloir désormais payer ses impôts en France, ce qui pourrait réjouir Alexandre Bompard (9), le dirigeant de la Fnac. Il s’agirait donc de gommer la position hégémonique des entreprises installées au Luxembourg comme en Irlande car « le principal sujet est la distorsion de concurrence liée à des règles fiscales différentes », confie Alexandre Bompard. Aussi, les 28 se sont accordés en faveur d’une action conjointe pour une telle harmonisation. En tout, ce sont près de 250 milliards de recettes fiscales qui échappent chaque année aux Etats. Une motivation supplémentaire pour faire de l’Irlande le premier bouc émissaire de l’optimisation fiscale ?

(1) http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/20101122trib000574964/comment-dublin-a-permis-a-google-de-reduire-ses-impots-en-europe.html
(2) http://www.zdnet.fr/actualites/europe-dropbox-proposera-ses-services-depuis-l-irlande-39818876.htm
(3) http://www.zdnet.fr/actualites/europe-dropbox-proposera-ses-services-depuis-l-irlande-39818876.htm
(4) http://www.independent.ie/business/commercial-property/smartbox-is-latest-firm-to-seek-bigger-dublin-offices-31145970.html
(5) http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/09/29/apple-dans-le-viseur-de-la-commission-europeenne_4495888_3234.html
(6) http://www.lesechos.fr/30/04/2015/lesechos.fr/02142196519_optimisation-fiscale—dans-le-viseur-de-bruxelles–apple-craint-de-lourdes-repercussions-financieres.htm$
(7) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/10/14/20002-20141014ARTFIG00288-l-irlande-durcit-les-regles-fiscales-pour-les-entreprises.php
(8) http://www.europe1.fr/economie/premieres-sanctions-europeennes-contre-loptimisation-fiscale-2533581
(9) http://www.challenges.fr/entreprise/20131128.CHA7706/comment-la-fnac-tente-de-contrer-le-geant-amazon.html

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5 Comments

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  • 0 / 10
  • orldiabolo , 22 janvier 2016 @ 0 h 41 min

    « le principal sujet est la distorsion de concurrence liée à des règles fiscales différentes ». Et comme de bien entendu, c’est sur la géniale fiscalité française que le monde sera prié de s’aligner… 😉

  • Adrienmoorea , 22 janvier 2016 @ 9 h 23 min

    D’accord pour une harmonisation au niveau européen : que tous les pays alignent leurs règles fiscales sur l’Irlande !
    Les problèmes disparaîtront d’eux-même, non ?

  • KAMISAN , 24 janvier 2016 @ 12 h 56 min

    “fraude fiscale” quelle fraude fiscale ? , si on se posait plutot la question de savoir si la pression fiscale n’est pas excessive !!!
    En Irlande, sans la situation actuelle, c’est la famine ! Des patates et de la bière ça fait léger au quotidien ! Le reste de la nourriture est hors de prix…Les entreprises majeures qui se sont établies font bouffer des familles entières, ça n’a pas de prix !

  • orldiabolo , 24 janvier 2016 @ 15 h 16 min

    “si on se posait plutot la question de savoir si la pression fiscale n’est pas excessive !!!” Bien sûr. Pourquoi ne serait-ce pas la France qui serait poursuivie pour fiscalité délirante ? C’est quoi la norme ? C’est quoi une “bonne” fiscalité ?

  • itou , 28 janvier 2016 @ 12 h 05 min

    à moins d’être faible d’esprit, la tendance naturelle est de fuir l’enfer pour se réfugier au paradis. Si on veut faire disparaitre les paradis fiscaux commençons par anéantir les enfers fiscaux et alors l’argent de s’exilera plus.

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