Fondamentalisme républicain

« Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée : ils ont et donnent des terreurs paniques », a écrit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique. La panique n’est pas seulement mauvaise conseillère. Elle révèle aussi la nature profonde de ceux qui sont emportés par elle, ou font mine de l’être, et qui, de ce fait, la sèment.

Quand c’est un chef, ou un sous-chef, qui tente de jeter ce mauvais vent, non pas dans les rangs de l’ennemi mais dans ses propres rangs, son indignité est proportionnelle à ses responsabilités — même et surtout s’il le fait par calcul, car ce calcul est méprisable.

Manuel Valls aurait « peur ». Il aurait peur que la France ne se « fracasse » sur le Front National, quand elle se fracasse surtout sur la politique du gouvernement. Alors que les sondages virent de nouveau au rouge, ou plutôt au bleu marine — l’ « esprit du 11-janvier » semble bien oublié ! —, c’est, de la part du premier ministre, avant tout un terrible aveu d’échec, car, qu’il soit sincère ou qu’il surjoue son « angoisse », il avoue ainsi la défaite de l’actuel pays légal, gauche et droite parlementaires confondues, à répondre aux inquiétudes des Français. Mais c’est aussi un terrible aveu de cynisme : lui, qui, comme ministre de l’intérieur, avait réussi à s’attirer la sympathie des électeurs de l’UMP plus encore que des socialistes en campant un Clemenceau de sous-préfecture, voilà que, devenu premier ministre, et aspirant ouvertement à la fonction suprême, il révèle son incapacité à prendre de la hauteur et tente de détourner par l’invention d’une menace imaginaire — la résurrection de la Bête immonde — l’attention des Français de la triple augmentation du chômage, de l’insécurité et de l’immigration. On dira qu’il assume parfaitement son rôle de garde du corps présidentiel, dévolu traditionnellement, sous la Ve république, au premier ministre ? Peut-être. Mais l’essentiel n’est pas là. Son objectif est de susciter dans la société ce qu’il dit craindre pour elle, à savoir cet esprit de division, voire de guerre civile, consistant à opposer les Français les uns aux autres en allant jusqu’à dénier à certains d’entre eux la qualité de bons Français. Car ce serait un contresens de conclure, du fait qu’il n’arrive manifestement plus à maîtriser ses nerfs, qu’il dérape, lorsqu’il revendique la stigmatisation du Front national et s’emporte, devant les caméras, à l’Assemblée nationale de manière obsessionnelle contre Marion Maréchal-Le Pen ou disproportionnée contre le député UMP Darmanin critiquant la politique pénale de Mme Taubira. Cette agressivité verbale est bien celle d’un de ces « superstitieux » dont parle Voltaire, mais d’un superstitieux calculateur.

Superstitieux de la république, Manuel Valls l’est à tout coup, avec tout ce qu’entraîne la superstition : sanctification de ce qu’on adore — la république —, déni de réalité, diabolisation et exclusion de l’adversaire, déformation et censure des idées — Zemmour fait partie des « soi-disant intellectuels » qui « ne méritent pas qu’on les lise » —, enfermement dans un discours incantatoire — « les valeurs de la république » — qui finit par tourner en rond et surtout par justifier le contraire de ce qu’il prétend défendre. Ainsi Manuel Valls n’a pas condamné les propos de Mme Taubira qui, dépitée d’être passée du statut d’icône ambulante à celui de simple « tract ambulant », qui plus est pour le FN, a agoni d’injures personnelles le député Darmanin et traité ses critiques de « déchets de la pensée humaine », ce qui en dit long sur l’instrumentalisation, par le garde des sceaux , des imbécillités racistes dont elle a pu faire l’objet : l’objectif est d’interdire a priori toute mise en cause de sa politique en usant des mêmes procédés abjects — la déshumanisation — dont elle dénonce l’usage à son encontre. Mais pourquoi Manuel Valls aurait-il repris son ministre de la justice, puisque l’exclusion, voire la déshumanisation, de celui qu’on désigne comme « l’adversaire principal », en l’occurrence « l’extrême droite », fait partie de l’idéologie de la gauche ?

Car l’ « extrême droite » n’est pas seulement « l’adversaire principal » «  de la gauche mais du pays » — c’est la rhétorique de l’ennemi intérieur contre lequel, à terme, tout sera permis. Si, en effet, « l’extrême droite ne mérite pas la France » ou si « le Front national n’aime pas la France », ses électeurs s’excluent d’eux-mêmes de la communauté nationale. Déjà, avant 1789, l’abbé Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?, retranche de la communauté nationale les aristocrates et les membres du clergé, les désignant d’avance au massacre, et avec eux, de manière tout aussi effroyable et en bien plus grand nombre encore, ceux du peuple qui « ont trahi » le Tiers-Etat en se soulevant contre la révolution et se voient aussitôt traiter, en paroles et en actes, comme des bêtes sauvages. Oui, Manuel Valls, fondamentaliste républicain héritier fidèle des « grands ancêtres », cherche à exercer, à l’encontre de ces mauvais Français que ce bonhomme de François Hollande veut « arracher » à leurs mauvaises tentations, cette terreur, pour l’instant morale, en les « stigmatisant » — il a employé le mot —, c’est-à-dire en les désignant à la vindicte de leurs compatriotes. Il va jusqu’à singer Saint-Just désignant les traîtres de son camp : Michel Onfray a ainsi fait les frais de la dénonciation matignonesque. Ce qui a valu à notre imprudent imprécateur, de la part du philosophe hédoniste, d’être qualifié de « crétin » : n’est pas Saint-Just qui veut…

Un superstitieux de la république, donc, mais un superstitieux calculateur. Car Valls cherche bien sûr dans l’immédiat à atténuer la déroute annoncée du parti socialiste aux départementales, puis aux régionales en décembre : désigner l’ennemi de la république pour resserrer les rangs ne peut pas faire de mal. Mais il prépare surtout les esprits des Français pour 2017, en cas, probable, de présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Car il préjuge — sans trop croire certainement à une victoire de la présidente du FN —, que l’affaire sera autrement sérieuse qu’en 2002. Et qu’il faudra peut-être, entre les deux tours, employer des moyens plus vigoureux que des défilés de potaches conduits par leurs professeurs comme au plus beau temps des démocraties populaires ou des media prenant directement leurs ordres place Beauvau. Il compte rester jusqu’en 2017 à Matignon, même en cas de cuisante défaite électorale en mars et en décembre, en féal premier ministre prenant tous les coups à la place de son suzerain, et fait dire qu’il n’envisage de toute façon pas l’Elysée avant 2022. A moins qu’il ne faille se dévouer en 2017 face à l’éventualité, réelle ou supposée, de graves événements ? On y aura en tout cas préparé les esprits en ayant durant deux ans « stigmatisé », c’est-à-dire désigné aux bons Français, comme ennemis, ceux de leurs compatriotes « qui ne méritent pas la France ».

> Cette tribune a initialement été publiée dans L’Action française 2000.

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19 Comments

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  • 0 / 10
  • Clovis , 22 mars 2015 @ 9 h 55 min

    Bien d’accord avec vous Tite, d’autant plus que cette citation de Voltaire est creuse et banale On dirait du BH Botul-Lévy .

  • christ , 22 mars 2015 @ 11 h 34 min

    moi aussi j’ai peur pour mon pays ;parce que , encore une fois , elle s trouve entre de mauvaises mains ; des mains sales , des gens avides , des menteurs ,; le ps qui vient de passer une loi perméttant aux élus qui perdront leur poste de toucher une belle prime ; c’est du propre ….de la racaille , qui veut de l’argent gratuit , sans contrepartie , voilà par quoi est dirigé notre pays ;

  • montecristo , 22 mars 2015 @ 12 h 05 min

    Si vous n’avez pas peur … vous devriez simplement penser à la génération qui va suivre .. vos enfants par exemple … si vous en avez !
    Il ne faut pas que cette peur là soit rétrospective ! Il faut l’anticiper !
    Seule la connaissance de l’Islam peut vous y aider.
    C’est la grande erreur de tous les collabos de ne pas connaitre l’Islam et d’oublier ou de ne pas savoir que les “Cavaliers d’Allah” l’ont toujours emporté !

  • montecristo , 22 mars 2015 @ 12 h 09 min

    Moi … tout l’article me rappelle De Gaulle !

  • Dofiar , 23 mars 2015 @ 17 h 34 min

    François Marcilhac a eu raison de citer Voltaire, père de la déchristianisation républicaine, afin de mettre la république devant ses contradictions. Voltaire avait bien des défauts, et ils sont dénoncés par les historiens Xavier Martin et Marion Sigaut dont on peut lire les ouvrages et voir les conférences sur You tube, connaître Voltaire est un atout, car on y voit l’origine de la déchristianisation de la France, et elle n’est pas belle. Si tous les Chrétiens savaient que Voltaire a dit, au nom de tous les encyclopédistes « Satan, notre père commun » (cité par le Professeur Xavier Martin ici https://www.youtube.com/watch?v=0lHfJyVyfLw ) que ce sont les philosophes des Lumières, les francs-maçons, qui se sont eux-mêmes proclamés satanistes, bien peu se réclameraient des Lumières et de la république, car on ne peut appartenir au Christ et à Satan, il faut choisir.

  • Dofiar , 23 mars 2015 @ 18 h 01 min

    Normal, Montecristo, le Général de Gaulle était royaliste, comme tous les de Gaulle : « Je suis monarchiste, la république n’est pas le régime qu’il faut à la France. ». « Ce qu’il faut à ce pays, c’est un roi. »

    C’est pourquoi tous les républicains qui, comme Nicolas Dupont-Aignan, se réclament du gaullisme sont des menteurs.

  • appeals , 24 mars 2015 @ 9 h 06 min

    De Gaulle, c’est pas la même chose que de Gaulle, ce n’est pas une particule et ce grand dadais travaillait de concert avec les communistes comme ce bon Jean Moulin ou G.Marchais, faut regarder un peu mieux l’histoire de France !!!!

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