Le basculement à droite de l’Inde

Oublions Jules Verne. Un tour d’horizon mondial, au XXIe siècle, se révèle facile à accomplir en moins de 80 minutes. Il suffit de passer par les sites des grands journaux du monde entier. Or, en les survolant ce lundi 19 mai, du Washington Post au South China Morning Post, en passant par le Times ou le Daily Telegraph de Londres, die Welt de Berlin ou La Repubblica, une chose pouvait frapper le visiteur. Chacun de ces titres prestigieux affichait 20 ou 30 articles de première page.

Mais on n’y trouvait aucune évocation, de la principale nouvelle politique mondiale. Elle était pourtant connue, discrètement mentionnée la veille, dimanche 18. Idem les jours suivants.

Elle glisse, inaperçue et anecdotique.

Elle était pourtant pressentie depuis plusieurs semaines : il s’agit du basculement à droite de l’Inde sous la conduite de Narendra Modi.

Le vieux parti hérité de Gandhi et de Nehru, le parti du Congrès a été balayé. Le BJP, parti du peuple hindou, avec 172 millions de voix a doublé le nombre de ses électeurs de 2009. Sa victoire de 1999 avait porté au pouvoir Atal Bihari Vajpayee, avec seulement 86,6 millions de suffrages. Aujourd’hui, avec 282 sièges, il détient la majorité absolue à l’assemblée législative fédérale, la Lok Sabha. Pour la première fois depuis 1984, un chef de gouvernement va pouvoir diriger cet immense pays de manière homogène sans dépendre d’une coalition.

La victoire éclatante du BJP ne se limite pas en effet à une simple alternance électorale, comme il en existe dans toutes les démocraties.

Évoquons d’abord ce qui passionne les économistes, lesquels considèrent trop souvent les ratios financiers sans percevoir le modèle de développement social. Churchill le disait avec humour : “je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même trafiquées”. Car les agrégats inventés au cours du XXe siècle, et adulés des technocrates du FMI, du monde bancaire, etc. devraient en vérité n’être pris en compte qu’à titre indicatif. En particulier le taux de croissance du produit intérieur brut ne nous informe que de la santé relative, instantanée, approximative et quantitative de l’évolution prévisible de la richesse des nations, certainement pas des perspectives des sociétés.

Le parti qui vient de l’emporter en Inde peut dès maintenant se prévaloir de l’expérience gestionnaire d’un État, le Gujarat, peuplé de 60 millions d’habitants sur 196 000 km2. À comparer avec l’Allemagne de l’ouest, qui comptait 63 millions d’habitants sur 248 000 km2 avant l’unification, on ne saurait parler d’un simple galop d’essai local. Dès lors la réussite incontestable de son ministre-président, Narendra Modi de 2001 à 2014, pratiquement sans faute économique, a servi de premier argument pour la conquête du pouvoir fédéral à New Delhi. On l’a, certes, exprimé en termes de croissance. On a pu évaluer que cet État, pendant les 12 années de gestion de Narendra Modi et de ses “modinomics” a bénéficié d’un taux de croissance très supérieur à la moyenne nationale, une tendance durable accentuée depuis 10 ans. Etre exécrées par la gauche c’est toujours bon signe. Cela tient à une double préoccupation due au parti BJP en général et à Narendra Modi en particulier, celle de l’équipement et de la formation en liaison avec les nouvelles mais aussi à une moindre intervention redistributrice et dirigiste de l’État. Telle Margaret Thatcher, ce politique est issu de la classe moyenne, où on travaille dur dans l’échoppe paternelle et où on ne dépense que ce que l’on a gagné.

On pourrait, à certains égards, comparer la prospérité qu’il a développée dans le Gujarat, à celle de la Bavière en Allemagne, sans doute la région la plus traditionnelle du pays, et cependant en pointe dans l’économie.

Dans un cas comme dans l’autre il ne s’agit pas d’un paradoxe. Le nouveau Premier ministre indien est né en 1950. Il pratique et milite ardemment pour l’Hindouisme depuis l’âge de 13 ans. Cela déplaît fortement au courant dominant du monde actuel comme le catholicisme des dirigeants bavarois irrite ses détracteurs. Un article du Courrier international le dit de façon cocasse. On lui reconnaît d’innombrables qualités, y compris le sens de l’humour et l’élégance, mais on l’étiquette de l’épithète, supposée éliminatoire, de “controversé”. La grammaire journalistique du New York Times, en France celle d’Anne Sinclair, appliquée au sous-continent indien, cela devrait faire sourire.

Cela dénote une méconnaissance du problème central de l’Inde depuis son indépendance.

Ce pays, hindou à 80%, cherche à effacer les traces de l’épouvantable oppression musulmane subie pendant des siècles sous la domination moghole puis perse. Le parti du Congrès, politiquement correct, parfaitement adapté aux mots d’ordre mondialistes a toujours voulu nier ce problème de l’identité nationale. N’y voyons pas un hasard de l’Histoire.

Dans cette lutte terrible contre l’islamisme, tant pakistanais qu’intérieur, on a voulu interdire les enjeux mémoriels et stigmatiser le “suprémacisme” des Hindous dans leur pays. En 2002 les États-Unis sont allés jusqu’à refuser à ce titre un visa à Narendra Modi. Il faudra bien pourtant que l’occident s’habitue à respecter ce choix qui n’attentera pas à la condition de 13 % de musulmans que compte le pays. On verra s’affirmera en Inde les valeurs éternelles et l’identité profonde de nos lointains cousins indo-européens, la plus ancienne religion du monde, assez voisine de celle des héros de l’Iliade.

Convenons à l’évidence que deux nouvelles grandes puissances ont principalement émergé dans le monde depuis 20 ans, à taille à peu près égale : la Chine et l’Inde. Chacune de ces deux nations compte plus d’un milliard d’hommes. Chacune pèse plus que les 57 États musulmans additionnés. Elles se sont toutes les deux adaptées, résolument, à l’économie de marché. Mais elles ont abordé cette évolution de manière très différente.

Et il n’entre pas dans le propos de la chronique d’aujourd’hui sous-estimer la réussite technique de l’Empire du Milieu dans de nombreux domaines. Non seulement les chiffres parlent mais une visite dans les rayons de nos grands magasins suffirait à éclairer ceux que l’étude de la pensée chinoise et des séjours espacés à Pékin ou Shanghai, à défaut de la campagne, n’auraient pas amenés à comprendre l’importance de ce pays.

Reste une immense différence entre le développement de ce très grand pays, toujours gouverné par un parti unique, qui se dit encore communiste, et qui demeure imperturbablement oppresseur, etc. et l’émergence de l’Inde, terre de liberté et de diversité.

> Jean-Gilles Malliarakis anime un blog.

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10 Comments

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  • V_Parlier , 21 mai 2014 @ 15 h 40 min

    J’aurais sincèrement bien aimé en savoir plus sur la position de ce parti “de droite” (expression au sens très large) en matière de géopolitique, de politique intérieure (en dehors de l’économie nationale déjà bien libérale sous la “gauche” quand même…), d’indépendance face aux groupes d’empoisonneurs américains, d’approche du patriotisme, etc… Je reste un peu sur ma faim.

  • Patrick Canonges , 21 mai 2014 @ 17 h 35 min

    L’Inde dharmaïque est effectivement un allié naturel de notre civilisation, notamment dans le cadre des alliances “de revers” que nous devons nouer pour contenir, pour ne pas dire, réduire le monde islamique.
    En revanche, le BJP, qui est l’émanation politique du RSS, sorte de maçonnerie hindouiste “intégriste”, est hostile aux chrétiens très nombreux au Kérala et dans les Etats frontaliers de l’Assam. Le RSS est notoirement derrière des attentats meurtriers contre des chrétiens.

  • PG , 21 mai 2014 @ 20 h 05 min

    Excellent article de Jean-Gilles M. Un bémol : l’anti christianisme névrotique de l’aile la plus nationaliste du BJP, en lisaison avec des identitaires cinglés.

  • Balou , 22 mai 2014 @ 8 h 01 min

    moi aussi…

  • Boutté , 22 mai 2014 @ 9 h 34 min

    Oui, mais c’est voulu. Si notre Gouvernement avait désiré que nous fussions informés , il aurait mis en oeuvre la Presse stipendiée ( elle l’est presque toute par le biais des subventions et remises de dettes) pour vous décrire ce séisme . C’est la même chose pour les Elections Européennes dont on ne parle guère que depuis une semaine de façon que les électeurs aillent plutôt à la pêche et laissent le Conseil agir à sa guise . Idem pour les élections de Nouvelle Calédonie la semaine dernière . Qui en a entendu parler ? Il en va pourtant de l’avenir d’une partie importante de la France d’au-delà des mers que je voudrais échanger mille fois contre Mayotte et sa couveuse !

  • Boutté , 22 mai 2014 @ 9 h 37 min

    N’allons-nous pas tendre la joue gauche après la droite ?

  • JG Malliarakis , 22 mai 2014 @ 17 h 01 min

    En ce 22 mai, anniversaire de la mort de saint Louis…
    Sur le fond je vous comprends parfaitement de mesurer à quel point l’occident doit (devrait) être attentif partout dans le monde au sort des minorités chrétiennes.
    Qu’en est-il en Inde ? quel rôle jouent les missionnaires chrétiens ? de quel côté sont-ils ? de quelle nature est l’intolérance des hindouistes ?
    Voila des questions auxquelles j’aimerai avoir des réponses convaincantes.
    Ne connaissant pas vraiment cet aspect de la question je préfère ne pas ire de bêtises.

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