Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l’anti-crise, de Jacques Bichot : Un vaccin contre le hollandisme triomphant

par Philippe Simonnot*

Si l’on veut bien nous permettre de donner un conseil au lecteur du dernier livre du Professeur Jacques Bichot, ce serait de commencer par la fin. La table des matières de cet abécédaire est riche de rencontres entre les mots dues au hasard de l’ordre alphabétique. Ce qui donne à cet inventaire à la Prévert un côté poétique fort rare dans les livres d’économie. Ainsi Avortement voisine-t-il avec Banques, Bébés avec Bienveillance, et Bourse avec Bravoure. De même Capital est-il associé à Cagnotte, Christianisme à Circulation, et Criminalité à Crédit à la Consommation. D’autres jumelages impromptus sont tout aussi évocateurs : Déficit public et Délinquance, Don et Drogues, Hôpital et Immigration, Natalité et Niches fiscales. Un esprit facétieux, sans doute, a fait que Productivité succède à Prisons, République à Rentes viagères. Evidemment, Subvention fraternise avec Surendettement, Union européenne avec Vieillissement et Zèle avec Zone euro. Quant au Front national, il est coincé entre Fraternité et Gaz. L’inconscient du lecteur, sinon de l’auteur, a de quoi se régaler… À condition, bien sûr, de croire en son existence.

En tout cas, cette même table montre tout de suite la diversité des intérêts de Jacques Bichot – qui donne heureusement tort à l’idée restreinte que l’on se fait habituellement de l’économie et des économistes. Comme le rappelle le titre de l’ouvrage, ce livre se veut un bréviaire pour temps de crise et il eût été indécent et inutile, voire nuisible, de se réfugier dans les apories de l’homo economicus.

Bréviaire est un mot qui vient ici naturellement sous la plume du critique puisque l’auteur ne met pas ses Évangiles dans sa poche au risque de réduire son électorat au peuple de l’Eglise. Ce qui serait dommage, car même si l’on ne partage pas les convictions énoncées ici avec une grande clarté, on soupire d’aise à lire cette manière d’anti-sottisier, émaillé de faits concrets et de réflexions de bon sens, tant est devenu insupportable, étouffante la logorrhée démagogique et mensongère de la plupart des économistes qui ont pignon sur rue et média dans notre pays. Comme vaccin contre le hollandisme triomphant, on ne fait pas mieux aujourd’hui.

Qu’est-ce donc alors que cette égalité républicaine ? Elle est avant tout, répond notre auteur dans une formule heureuse, « un refus des inégalités qui restreignent notre liberté ».

On ne pourra donner ici que quelques exemples des talents de Jacques Bichot.

Prenons Solidarité. Le mot est devenu, pour notre auteur, un « vecteur de la pensée magique, un obstacle décisif à la recherche de solutions rationnelles… un poison intellectuel et organisationnel ». Par exemple, la « solidarité intergénérationnelle » dont on nous parle tant aujourd’hui nous dit mensongèrement que si nous prenons en charge nos aînés, nos cadets feront de même, ultérieurement, à notre bénéfice. En fait, cette formule digne de Bernard Madoff, le célèbre champion américain de la cavalerie financière, est « l’arme de destruction massive utilisée contre une des lois les plus certaines de l’économie », à savoir le théorème dit de Sauvy (du nom du grand démographe français). Selon ce théorème, nous ne préparons nos retraites, non par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants.

À Solidarité, Jacques Bichot préfère Fraternité. Ce mot, lui, est inscrit depuis des lustres au fronton de notre République. Il est aussi inclus dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Rien pourtant n’est moins naturel que la fraternité, observe justement notre auteur. Au contraire, elle est le fruit d’une conversion intérieure, d’une victoire emportée sur des penchants puissants. A l’inverse, la solidarité est un droit que l’on fait valoir, un argument dont on use pour s’emparer d’avantages supplémentaires au détriment des autres.

Les deux autres mots de notre devise républicaine viennent alors en écho avec évidence. Quitte à redresser quelques-unes des erreurs qui lui sont habituellement associées tant on a tendance à confondre en France l’égalité avec la justice. Dans notre devise, rappelle opportunément Jacques Bichot, la liberté est première. « Nous sommes libres et différents, si bien que le résultat n’est pas l’identité, notamment en matière de revenu et de niveau de vie, écrit-il. Il ne faut donc pas confondre l’égalité républicaine avec l’identité mathématique ou statistique. » Qu’est-ce donc alors que cette égalité républicaine ? Elle est avant tout, répond notre auteur dans une formule heureuse, « un refus des inégalités qui restreignent notre liberté ». Par exemple, la rampe qui, à côté d’un escalier, donne aux personnes en fauteuil roulant la possibilité, donc la liberté, d’accéder à tel bâtiment public exprime cette synergie qui existe entre les trois termes de la devise nationale.

De l’éminent historien de la monnaie qu’est Jacques Bichot on attendait beaucoup sur ce sujet délicat et tellement méconnu. Curieusement, l’or ne figure pas dans son abécédaire. L’article Monnaie nous a paru un peu abstrait et comptable pour le grande public qu’il vise.

Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l’anti-crise, de Jacques Bichot, L’Harmattan, 2012.

*Philippe Simonnot a publié en collaboration avec Charles Le Lien La monnaie, Histoire d’une imposture, chez Perrin.

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