Le Service National ne doit pas être un gadget !

Recul de 6 points en un mois, de 8 en deux mois pour Macron dans les sondages de l’IFOP, avec 44% d’opinions favorables. La saturation médiatique connaît ses limites. La multiplication des discours et des annonces de réformes dans toutes les directions pouvait séduire et susciter une certaine admiration facilitée par la comparaison avec le triste prédécesseur, usurpateur par insuffisance. Aujourd’hui, elle donne le tournis, et fait naître le soupçon justifié d’une tentative de manipulation de l’opinion. Les Français savent que les meilleurs chiffres économiques ne sont que le reflet en France d’une amélioration mondiale et européenne. Celle de la France demeure plus tardive et poussive que chez la plupart de nos partenaires. Le décalage entre les promesses d’augmentation du pouvoir d’achat et la réalité de sa baisse immédiate, notamment pour les retraités est clairement perçu. La CSG est en hausse, la taxe d’habitation baissera peut-être. L’impression d’un tour de passe-passe se fait sentir. La confiance ne peut reposer sur une belle parole que les actes démentent. En Juillet, à Orléans, le Président fraîchement élu promettait que personne ne dormirait dans la rue l’hiver prochain. Huit SDF sont morts dans la rue en Île-de-France, dont cinq à Paris, en Janvier. Pour le coup, c’est une honte pour notre pays.

Alors M.Macron choisit la fuite en avant : c’est l’annonce d’une nouvelle réforme destinée à faire plaisir aux nostalgiques du Service National, et à cette droite qu’il essaie de racoler en montrant combien il veut ressusciter l’engagement national, l’esprit civique. Là encore, il s’agit d’une promesse, tellement fumeuse que les ministres ont d’abord pataugé dans la purée de pois. Pour le Ministre des Armées, Florence Parly, le Service National ne devait pas être obligatoire. Pour Gérard Collomb, il devait l’être. Sa durée demeurait floue. L’homme de l’Elysée a tranché : ce serait universel et obligatoire pour une durée comprise entre 3 et 6 mois. Il s’agirait d’un engagement civique destiné à favoriser le brassage social et éveiller le sentiment d’une solidarité nationale , d’une dette morale envers le pays. Comme d’habitude l’enveloppe philosophique est intéressante. C’est son réalisme qui éveille des doutes. Les offensives sans préparation sont rarement des réussites. Deux parlementaires, Marianne Dubois (LR) et Emilie Guérel (LREM) doivent justement remettre un rapport le 21/2 dont on connaît déjà les grandes lignes. Elles sont à l’opposé de la vision présidentielle : il n’est pas souhaitable qu’il soit obligatoire et devrait s’échelonner en trois étapes de 11 à 25 ans. La première consisterait en une semaine annuelle consacrée à la défense et à la citoyenneté de 11 à 16 ans, suivie d’un rite de passage constitué par une semaine d’immersion dans la mixité sociale avec remise symbolique d’un passeport citoyen. Durant la troisième étape, il s’agirait de favoriser l’engagement associatif au travers de périodes dont aucune n’aurait d’aspect militaire. L’idée est de lutter contre l’individualisme par une éducation jalonnée d’exercices, en faisant appel aux moyens existants, l’école, les associations. Il s’agit d’un projet sans doute compatible avec la rigueur budgétaire, mais qui paraît bien optimiste sur la mobilisation des moyens humains.

Les réticences devant l’annonce présidentielle beaucoup plus ambitieuse et vague à la fois montrent bien que ce n’est pas gagné. Les « syndicats » étudiants sont contre, ce qui n’est pas une surprise. Lilâ Le Bas de l’UNEF parle d’une politique infantilisante et appelle à la mobilisation contre le projet. Jimmy Losfeld de la FAGE évoque une incompréhension de l’engagement différent des jeunes actuels qui désertent les vieux partis. Claire Thoury de l’Animafac pointe une incompréhension intergénérationnelle. Ces premières réactions relevées par Le Monde soulignent à la fois la nécessité du projet et les difficultés psychologiques de sa mise en oeuvre. L’idée d’un engagement au nom d’un devoir envers la nation est totalement ignorée. L’engagement était partisan. Il devient associatif, écologique si possible, pour sauver le monde sans doute. La nation ? Ils ne connaissent pas. Quant au devoir, ils dénoncent la contrainte. Le service doit être à la carte avec la légèreté qu’a maintenant celle d’identité. Luc Ferry, chargé d’une réflexion sur le sujet par Nicolas Sarkozy (on se demande pourquoi) avait déjà formulé des réserves sur la contrainte, sur l’obligation qui s’opposant au don, tuerait le bénévolat. Le don, comme l’a montré Marcel Mauss, est effectivement essentiel pour l’homme, animal social, mais justement il est dans les sociétés solidaires obligatoire. Simplement, cette obligation n’est pas une loi extérieure sous peine de sanction. C’est une obligation intériorisée forgée par l’éducation et l’exemple. En cela le rapport parlementaire en jalonnant l’expérience est dans la bonne voie car il veut apprendre l’obligation du don… mais dans une société et dans des milieux professionnels qui risquent d’avoir du mal à s’associer à la démarche.

Deux questions subsistent. Celle du coût, pour l’instant minimisé par l’exécutif qui l’évalue entre 2,4 et 3 Milliards par an, mais à condition qu’il n’y ait pas d’hébergement. Dans ce cas, la facture monterait à 15 Milliards. On voit mal comment des périodes de 3 à 6 mois visant au brassage social pourraient éviter cet écueil. La seconde question est l’implication de l’armée. Elle n’en a pas les moyens. Le rattrapage budgétaire vital qu’elle a obtenu est de 1,7 Milliards par an jusqu’en 1922. C’est ce qui est nécessaire pour remettre les effectifs au niveau opérationnel et surtout leur redonner les équipements indispensables pour ne pas exposer inutilement la vie de soldats à qui on demande sans cesse davantage. Une mission d’encadrement et de soutien logistique à un service national universel et obligatoire est non seulement hors d’atteinte, mais compromettrait l’efficacité de nos armées. Un nouveau rapport sera remis le 30 Avril. Mais dès à présent, un service qui ne conduirait pas à préparer tout Français à la défense extérieure et intérieure du pays, avec pour objectif de créer une garde nationale capable d’intervenir avant tout pour la sécurité des citoyens, dans les différents domaines où celle-ci est mise en péril, ne sera qu’un gadget. Loin de réanimer la confiance dans le pays et ses dirigeants, il risque de l’altérer davantage.

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