Mais qui est le parti de l’étranger ?

La dernière ligne droite avant les élections européennes aura été marquée par une grande confusion des rôles et des postures. En France, l’intervention du chef de l’Etat dans la campagne pour la mener à la place de la tête de liste, manifestement décevante, est en contradiction avec la Constitution qui lui demande de conserver suffisamment de retenue pour être un arbitre. Il peut souhaiter la victoire de ceux qui le soutiennent, mais de là à pilonner sans cesse un adversaire en particulier, et donc les nombreux Français qui votent pour celui-ci, il y a une marge qu’il a franchie sans vergogne. Son poids médiatique déséquilibre à l’évidence une campagne qu’il sature d’une présence importune : d’abord, Sibiu, en Roumanie, alors qu’il était entendu que le Président ne commente pas la politique intérieure depuis l’étranger, puis Biarritz, et hier une conférence devant la Presse Quotidienne Régionale, c’est beaucoup, c’est même trop ! Au point que deux quotidiens régionaux, dont La Voix du Nord, ont refusé d’y participer, et de se soumettre à la relecture des articles exigée par la Présidence. Ce qui se justifie lorsqu’il y a des annonces de mesures afin qu’il n’y ait pas d’erreur devient un contrôle excessif de la liberté des journalistes quand il s’agit d’une communication purement politicienne. Que vise-t-il ? Sauver le soldat Loiseau ? Ne pas faire apparaître un discrédit qui mine la fonction qu’il occupe ? S’assurer une réélection possible en faisant de l’adversaire battu en 2017, à nouveau celui de 2020 ? Pauvre Jupiter, qui, comme Commode veut descendre dans l’arène ! Mais les deux excès s’éloignent l’un et l’autre d’une saine conception de la démocratie !

Certains le louent de prendre un tel risque. En fait, c’est à la fonction qu’il porte atteinte, et à l’état du pays, dont il facilite la division, centrée sur sa personne. Loin de prendre de la hauteur dans le débat, le voici qui ferraille avec des arguments à pointe courte : bilan d’une opposition au parlement européen, alors que ce sont bien sûr les exécutifs nationaux qui soutiennent la Commission auxquels il faut demander des comptes ? Connivence avec des intérêts étrangers ? La ficelle est un peu grosse. On reproche à Bannon de soutenir les populistes ? Mais que faisait Obama en 2017 quand il soutenait Macron ? Ce dernier accuse les « nationalistes » de disloquer l’Europe. Mais depuis deux ans, qu’a-t-il fait sinon disloquer la nation, en dressant un grand nombre de citoyens contre lui, avec une intensité du rejet chez certains inconnue jusqu’à présent ? La logique « nationaliste » de Bannon est claire : il faut que les nations redeviennent les acteurs essentiels de la politique mondiale, parce qu’en donnant le pouvoir aux peuples, elles sont les seules à pouvoir restaurer la démocratie, et la justice sociale. Aujourd’hui, le mondialisme détruit les souverainetés et impose des règles qui émanent d’instances technocratiques, non élues, à la merci de puissants groupes de pression. Il favorise une superclasse qui tire profit et pouvoir réel de cette évolution. Macron est le champion de cette caste apatride : il est le parti de l’étranger, non pas dans le détail mais en gros, non pas conjoncturel, mais structurel, puisqu’il veut substituer à la France, une Union abstraite, une construction artificielle, et au peuple français une population dans laquelle se diluera notre identité nationale.

Le grand paradoxe de la Ve République aura été de permettre aux gouvernants qui ont le plus trahi l’héritage du Général de Gaulle de bénéficier de la solidité des institutions qu’il a léguées. De Gaulle ne voulait évidemment pas d’une Europe fédérale. Il voulait une Europe des Etats, laissant la démocratie, c’est-à-dire l’expression de la volonté populaire intacte chez chacun d’entre eux, mais cumulant leurs forces sur la scène internationale, par le jeu de la solidarité des intérêts. On a aujourd’hui une Europe de moins en moins démocratique, et où les Etats cherchent à échapper à la tutelle de Bruxelles, en faisant valoir des intérêts divergents. Qu’est-ce qu’une Europe dont les membres achètent des avions américains ou négocient leur participation aux « routes de la soie » chinoises tandis que des règles de concurrence obligatoire empêchent la création d’un géant industriel franco-allemand ?

La Ve République fondée par de Gaulle a permis à Mitterrand d’être 14 ans à l’Elysée et de gaspiller la plus grande partie de son héritage, notamment sa réussite économique. Il restait à la France son indépendance et son rayonnement, bref l’affirmation d’une identité forte. Faciliter si peu que ce soit la continuité de la présidence actuelle, c’est être le complice de l’abandon de ce reste.

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