De Ségolène au Pape François, on s’attaque à la mauvaise cible

Aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, on peut trouver un lien clair entre la dernière encyclique du Pape, « Laudate Si » (qu’on pourra lire, en intégralité, ici) et les dernières bêtises nutellesques de Ségolène Royal, lâchée sans filet sur un plateau télévision.

Oh, je sais le rapprochement fort audacieux, et je tiens à rassurer le lecteur : bien évidemment, il n’est absolument pas question de comparer le niveau général d’une Ségolène Royal qui a souvent du mal à aligner deux pensées cohérentes de front avec un fin lettré comme le Pape François, ou de comparer l’expérience d’une vie à bricoler de la politique franco-française dans la délicatesse de bulldozer de Marie-Ségolène avec le travail diplomatique de longue haleine, la subtilité et l’intelligence d’un érudit comme François. Non. Mais l’un comme l’autre, exprimant leurs idées, semblent souffrir du même biais : dans les deux cas, il y a une confusion permanente entre le libre marché (et son pendant le plus évident, le capitalisme) avec le capitalisme de connivence (et son pendant le plus inévitable, l’étatisme pervasif).

 

Pour Ségolène Royal, le cas est rapidement entendu. Ce n’est pas la première fois, ni malheureusement la dernière, que les Français devront subir l’embarrassante politicienne dans ses bévues médiatiques : lancée comme un train sans frein sur les rails des sophismes les plus éculés, elle reproche sans cesse à toute la société actuelle (à l’exception de quelques rebelles lucides dont elle ferait commodément partie) d’être intégralement tendue vers la recherche du profit maximal au détriment du bénéfice de long terme, l’amélioration du niveau de vie des individus, et le respect de l’environnement ; dernièrement, cela s’est traduit concrètement par sa charge contre la production et l’usage de l’huile de palme. Pensez donc ! Un produit plaisir, consumériste, vendu en grande surface et qui rend gros ! Tous les paramètres sont réunis pour lancer une cabale, quand bien mêmela réalité ne rejoint absolument pas ce que la ministre prétend avec aplomb.

Or, les dérives (passées, réelles ou fantasmées) que dénonce Ségolène Royal sont toutes clairement dues à des perversions du marché, à la connivence entre les dirigeants ou potentats locaux et certains entrepreneurs à la morale minuscule, à l’absence de droits de propriété ou l’impossibilité de les faire respecter. La pollution, externalité négative connue, gérable dans un marché libre et parfaitement punissable dans un état de droit, ne peut l’être dans un lieu où règne la corruption ou la prévarication.

Parallèlement, on ne peut s’empêcher de noter que le Pape François, dans son encyclique, reproche lui aussi plusieurs cargaisons de problèmes à la société actuelle, et au moins autant aux « modèles actuels de production et de consommation » (pt. 26) qui ne vont pas dans le sens que lui imagine être le bon. Ainsi, pour lui, c’est sûr, « le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion sociale » (pt. 109), ce qui est à la fois une évidence (la catallaxie n’a par définition jamais rien garanti du tout) et un drôle de reproche dans un monde imparfait où le « développement humain intégral » est donc impossible à atteindre, par définition là encore.

De même, lorsque le Pape explique que « L’environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate. » (pt 190), il ressort, presque texto, les arguments qu’on entend depuis 50 ans mais qui n’expliquent pourtant pas pourquoi, à mesure que le libre marché s’étend, à mesure que la richesse individuelle augmente pour tous, à mesure que les droits de propriété et des individus sont mieux respectés, l’environnement est mieux géré, moins brutalisé, et pourquoi le marché, justement, multiplie les trouvailles pour défendre et promouvoir le respect de l’environnement.

Peut-être en dit-il plus long sur sa propre conception du marché que sur ce que les faits, tangibles, nous enseignent, lorsqu’il déclare (toujours dans le paragraphe IV.190) « il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. », alors qu’en pratique, personne n’a jamais imaginé que les problèmes se résolvaient de la sorte, donnant une étonnante impression d’homme de paille à la remarque papale, d’autant plus que justement, ceux qui reprochent le plus au marché de ne rien garantir, de ne pas savoir résoudre tous les problèmes, sont toujours ceux qui le combattent en tout et pour tout, tout le temps.

En réalité, le marché tel qu’il est décrit par François n’est idolâtré que … par ses plus fervents ennemis.

Soyons bien clairs : la critique d’un consumérisme débridé est parfaitement à sa place dans une telle encyclique et dans les propos papaux ; après tout, la gloutonnerie est un péché capital, et une consommation de tout, n’importe comment, s’y apparente tout à fait, tout comme s’apparentera l’appât immodéré du gain au péché d’avarice, et celui d’une volonté immodérée de réduction permanente de nos efforts sous le soleil à celui de la paresse (cf pt 128). Or, combattre ces péchés a toujours été dans les missions de l’Église (et dans les paroles du Christ). Dans ce cadre, on ne peut reprocher au Pape de revenir une fois encore sur l’ouvrage : c’est sa mission.

Cependant, à la lecture, l’encyclique semble louper son objectif qui serait de donner des moyens pour parvenir aux fins (une écologie totale, une vie harmonieuse de tous les hommes entre eux et dans leur environnement). Certains, nombreux, objecteront qu’il n’est pas dans l’objectif du Pape d’établir une politique. Soit. Dans ce cas, on devra faire l’effort d’expliquer cette encyclique dans la continuité des autres productions papales, et notamment l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium de novembre 2013 où l’on découvre tout un chapitre (pt 204 et 205) consacré justement aux moyens que François voudrait voir mis en place :

Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché. La croissance dans l’équité (…) demande des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus, la création d’opportunités d’emplois, une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le simple assistanat. Loin de moi la proposition d’un populisme irresponsable, mais l’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus.

Si ça, ce n’est pas un programme politique, ça y ressemble superbement.

Bref, on ne peut pas tenir compte de l’excuse d’une vision globale limitée aux fins (louables et généreuses) en laissant aux ouailles toutes latitudes sur les moyens alors que les moyens souhaités par le Pape sont clairement définis … et qu’on les a déjà essayés, tous, à de nombreuses reprises dans l’histoire de l’Humanité, avec des résultats plutôt mitigés. (À ce titre, une discussion entre Jean-Paul II, qui a bien goûté aux joies du collectivisme, et François l’Argentin, pays actuellement ravagé … par le collectivisme, la corruption et le capitalisme de connivence, aurait été particulièrement savoureuse.)

En réalité, dans l’ensemble de l’encyclique, si l’on oublie les banalités (il y en a des paquets) et si l’on garde à l’esprit que le Pape est, par nature, animé de sentiments les plus nobles, on ne peut s’empêcher de noter un vibrant appel à la sobriété tout en rejetant ce que le marché libre et le capitalisme ont permis, alors que par définition même, c’est bien l’économie qui est à la base de cette sobriété (sobre et économe sont d’ailleurs des mots de sens proche, parfois synonyme : ce n’est pas un hasard).

Tout montre une confusion permanente entre capitalisme et capitalisme de connivence, entre le laisser-faire dans le cadre d’un état de droit (« rule of law ») et la corruption (le « fermer-les-yeux »). Cette confusion permet d’oublier que dans « capitalisme de connivence », l’important et ce qu’il faut combattre, c’est la connivence, pas le capitalisme. Dès lors, on concentre tous ses feux sur le capitalisme, on cogne largement sur le modèle actuel de production et de consommation sans comprendre que ce qui pose problème, c’est la connivence, c’est ce qui échappe justement à la « rule of law ».

Or, combattre la connivence, rétablir l’état de droit, ce n’est certainement pas accroître encore le pouvoir de ceux qui sont, justement, les bénéficiaires directs de cette connivence. On ne peut qu’être déçu de voir dénoncés des problèmes inhérents aux mauvaises applications ou à l’absence totale d’application des principes humanistes de base : ce sont des hommes plus libres et plus responsables d’eux-même qui ont tout fait pour améliorer leur environnement, pas le contraire.

Si l’on ne pouvait s’attendre, de la part d’une médiocre politicienne française, à aucune espèce de finesse concernant son analyse de la situation actuelle, on regrettera beaucoup de lire les mêmes raccourcis et les mêmes erreurs factuelles dans les propos d’un fin lettré comme le Pape. Et le plus inquiétant est que si l’on peut clairement attribuer à l’ignorance de Ségolène Royal la confusion entre libre marché, capitalisme et capitalisme de connivence, on ne pourra pas avoir la même indulgence pour le Pape François…

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11 Comments

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  • Clovis , 23 juin 2015 @ 11 h 18 min

    J’ai commencé à lire cette encyclique et me suis arrêté net après avoir lu les numéros 20 à 26 sur le changement climatique. C’est une succession de banalités et de lieux communs alignés sur la pensée unique du GIEC. quelle déception! Dès que j’aurai repris mes esprits je poursuivrai la lecture de ce ( trop) long message de 200 pages.

    J’espérais que sa formation initiale de chimiste lui aurait donné un minimum d’esprit scientifique, mais ce n’est hélas qu’une teinture. Mais quelle mouche l’a piqué? Pour dire qu’il faut respecter la Création de Dieu, inutile d’épouser les théories truquées du GIEC. S’il voulait quand même parler du climat, il aurait été mieux inspiré de s’enquérir auprès de véritables scientifiques tels que, pour la France: le prof. Allègre, le professeur Gervais ( l’innocence du carbone), Christian Gérondeau, S. de Larminat, le professeur Paul Deheuvels, let bien d’autres….ou le site internet http://www.pensee-unique.fr/ qui synthétise les arguments scientifiques opposés aux truquages du GIEC. Non, il est tombé à pieds joints dans le panneau et blablate sur le climat comme le font les politiques de tous bords! Je n’en reviens pas!

    Tout ce qu’il veut dire est inspiré ( j’espère!) par la Bible Ancien et Nouveau Testament et la Tradition, pas besoin du GIEC ni d’adopter les idées à la mode presque toutes controversées par les scientifiques. Son rôle n’est pas de nous convaincre qu’il y a un réchauffement climatique et patati et patata, mais de nous inciter à respecter la Création de Dieu. Moi, je ne crois pas au réchauffement climatique d’origine humaine mais à des changements climatiques cycliques dont la cause échappe au pouvoir de l’homme, sur la base des informations que j’ai étudiées à diverses sources. Mais je suis à 100% pour le respect de la création de Dieu etc…Cette encyclique ne m’apporte aucune information de nature à contredire ce point de vue. Je vais lire la suite en espérant qu’elle contiendra moins de banalités et plus d’exhortations inspirées par l’amour de la Création de Dieu.

    En complément de ce qui précède, voici une info trouvée sur le site pensée unique: bien entendu il faut lire toutes les explications et courbes à l’appui de ce que disent Christy, universitaire au nom peut-être prophétique (Alabama), et Judith Curry universitaire aussi ( Géorgie)
    :
    18 Juin 2015 : Le climatologue John Christy témoigne devant le Comité sur les Ressources Naturelles de la Chambre des Représentants US au sujet des prises de position de la Maison Blanche.
    En bref, le message de Christy est simple : » Voici ce que nous disent les observations factuelles. Elles contredisent les modèles numériques utilisés par les climatologues et le GIEC ainsi que les affirmations du Conseil de la Maison Blanche sur la Qualité Environnementale. »

    16 Mai 2015 : La climatologue Judith Curry met en garde la chambre des représentants US au sujet de la politique climatique du Président Obama.
    Judith Curry a fait précéder le texte de sa déclaration par le bref résumé que voici :
    « Les points principaux :
    La recherche et les données récentes vont dans le sens de l’importance de la variabilité naturelle du climat. Ils remettent en question la conclusion que les humains sont la cause principale du changement climatique récent.
    • La suspension du réchauffement climatique depuis 1998.
    • Les estimations à la baisse de la sensibilité du climat au dioxyde de carbone.
    • Les modèles climatiques prédisent beaucoup plus de réchauffement que celui qui a été observé au début de ce XXIe siècle.
    Nous (NdT : La communauté des climatologues, le GIEC etc.) avons fait plusieurs choix qui posent problème quant à la définition de la situation du changement climatique et aux remèdes à y apporter.
    • La définition d’un changement climatique « dangereux » est ambiguë et suppose l’existence de points de basculement catastrophiques qui sont considérés comme très peu, ou extrêmement peu, probables au cours du XXIe siècle.
    •Les efforts poursuivis dans le but d’établir un lien entre les catastrophes résultant des extrêmes climatiques avec le réchauffement climatique causé par l’homme, sont trompeurs et ne sont pas supportés par les observations.
    • Le changement climatique est un problème épineux qui est mal adapté à une solution de « commandement et de contrôle ».
    • Il a été estimé que l’engagement des USA (INDC, Intended Nationally Determined Contribution) d’une réduction de 28% des émissions, réduirait de 0,03°C le réchauffement en 2100 (NdT : soit une baisse de quelques millièmes de degré pour des mesures équivalentes prises par la France).
    Le caractère inadapté des politiques engagées qui reposent sur le Principe de Précaution laissent totalement sans solution les conséquences réelles du changement climatique et des événements météorologiques extrêmes (que ceux-ci résultent de la variabilité naturelle ou soient causés par l’humanité) :
    • Nous devrions élargir le cadre de pensée pour la politique climatique et nous devrions fournir aux décideurs un choix plus vaste d’options lorsqu’il s’agit de gérer les risques liés au changement climatique.
    • Des solutions pragmatiques reposant sur des efforts pour accélérer l’innovation en matière d’énergie, pour accroître notre résilience aux événements météorologiques extrêmes et pour poursuivre des mesures effectives de réduction de la pollution, ont des justifications indépendantes de leurs bénéfices en terme d’atténuation du changement climatique et d’adaptation. »

    Si vous avez lu jusqu’ici, je vous invite à relire le dernier paragraphe de Judith qui exprime parfaitement l’inutilité qu’il y avait pour le pape de se référer au changement climatique pour justifier ou situer ses appels à la modération écologique que je partage entièrement. Je crains malheureusement que sa prise de position comme réchauffiste « anthropique » n’obère sa crédibilité sur les autres points.

  • bernique , 23 juin 2015 @ 11 h 21 min

    Cela a pourtant déjà été fait ! Demandez à nos appelés en Algérie pourquoi ils portaient des brêlages en cuir (pour utiliser le cuir des vaches de M. Pinay) alors que toutes les armées étaient passé au coton, et pourquoi les crosses de leurs fusils cassaient si facilement : pour recycler le bois des platanes du bord des routes ! Il faut dire que la politique d’élargissement des voies, à l’époque, justifiait certains abattages de masse ! ! !

  • brennou , 23 juin 2015 @ 11 h 49 min

    Ouf ! Enfin une source de raisonnements équilibrés et d’informations non biaisées.
    Rappelons que le gaz à effet de serre (qui maintient une chaleur moyenne à la surface de la Terre) c’est : ~94% vapeur d’eau (coéff. 1) ; 5% CO2 (coéff. 4) dont 4 à 6% anthropique ; méthane <1% (coéff. 2400 !) dont anthropique <20%.
    Ces ordres de grandeur montrent que l'influence de l'homme est loin d'être à la hauteur de ce qu'on lui reproche et que le "Principe de Précaution" ne sert qu'à financiariser de soit-disant efforts de protection de l'environnement pour le plus grand plaisir d'un certain capitalisme ! ! !

  • brennou , 23 juin 2015 @ 12 h 03 min

    Un peu syncrétiste, toutefois ! Toutes les congrégations religieuses ont ou ont eu leur côté sombre !

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