Toutes voiles hissées

« Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde », écrivait Albert Camus, lequel n’ignorait rien des nuances avec lesquelles il convenait de parler des sensibilités en confrontation dans l’Algérie des années cinquante. Nadine Morano a-t-elle fait preuve de cette nuance dans son billet d’indignation posté sur un célèbre réseau social en ligne le 18 août dernier ? L’eurodéputée s’est prélassée sur une plage et s’est indignée d’y avoir rencontré une femme voilée, mais cette dernière a-t-elle pour autant porté « atteinte à notre culture »? De même, convenait-il d’inviter cette femme et son compagnon à « aller ailleurs », pour la raison que, étant « venus en France, Etat de droit, laïc », ils n’auraient pas «respecté notre coutume et la liberté des femmes » ? Les réactions dénonçant l’islamophobie du billet laissent penser que les nuances nécessaires n’ont pas été apportées.

Le billet de Nadine Morano, pourtant, ne manque pas de sincérité. Au ton et au verbe, on devine son indignation à peine retenue. Quoi, sur une plage où tous se baignent, une femme en est empêchée pour des motifs confessionnels, dit-elle ! Nadine Morano est femme et, pour cette raison, particulièrement sensible à ces différences. Elle s’exprime de surcroît dans un pays laïc, disposant (mais pour combien de temps encore) de la liberté d’expression. Elle est en conséquence fondée à publier sur Internet un billet d’humeur que ses contradicteurs sont eux-aussi fondés à combattre par d’autres billets d’humeur, ou des tribunes où ils exposent leurs propres arguments. Dans une république laïque disposant de la liberté d’expression, il est fondé qu’un débat s’engage, même véhément. Il serait en revanche infondé et inconvenant qu’une action en justice soit intentée. Il serait insensé également que les éditorialistes abreuvent l’opinion publique avec les polémiques issues du billet de Nadine Morano, plutôt que de procéder aux analyses des propos implicites qui y sont contenus.

Dans son billet, Nadine Morano souligne l’incongruité, à ses yeux, de mœurs qui permettent à l’homme de se déshabiller et se baigner tandis que la femme reste en retrait, « toute habillée, bien sagement sur le sable ». Elle invoque en comparaison (et peut-être en feignant d’ignorer certaines outrances qui en ont résulté) Brigitte Bardot comme icône d’une « France fière de sa liberté des femmes ». Elle parle, à propos de la femme voilée, à la fois de « défiance envers la femme » et de « défiance envers les congénères masculins de l’homme ». Ses réactions, légitimes par leur sincérité viscérale, ont droit à une expression publique, d’autant plus qu’elles sont sans doute beaucoup moins sporadiques que l’on veut bien prétendre. Sans doute, la femme voilée et son compagnon doivent-ils entendre quelque chose de ce que dit le billet d’humeur. En revanche, et à mon humble avis, Nadine Morano n’est nullement fondée à dénoncer une atteinte à « notre culture » !

C’est en cela que les choses sont mal dites. « Notre culture », invoquée par Nadine Morano, n’est manifestement pas la culture de la femme au voile et de son compagnon. La culture commune au nom de laquelle Nadine Morano fustige les inégalités homme-femme, cette culture commune n’existe pas. Nadine Morano appartient à une culture qui considère notamment comme allant de soi que les femmes se baignent sur les plages au même titre que les hommes. La femme voilée et son compagnon, quant à eux, appartiennent à une autre culture. Nous avons assez entendu que la France est un état multiculturel ou polyculturel pour ne pas nous étonner qu’y coexistent plusieurs cultures, lesquelles – n’en déplaise aux multi-culturalistes – invitent leurs « ressortissants » à des mœurs fort différentes et parfois en contradiction les unes avec les autres. Nadine Morano s’indigne-t-elle dès lors que la femme voilée et son compagnon ne partagent pas sa culture (que dans un raccourci mal venu elle nomme « notre culture ») ou s’indigne-t-elle au contraire de cet état de fait qu’il y ait aujourd’hui, en France, plusieurs cultures dont les mœurs contradictoires provoquent des indignations réciproques ? Car si Nadine Morano est indignée par un voile, la femme voilée et son compagnon le sont peut-être par les bikinis et les corps dénudés.

Les réactions des uns ne sont pas moins légitimes que celles des autres, mais il est vrai que la tension naît lorsque les membres de communautés différentes partagent l’espace public non qualifié et s’indignent, les uns les autres, par leurs comportements et mœurs. Par ailleurs, si la femme voilée et son compagnon sont détenteurs d’une carte nationale d’identité, Nadine Morano n’est nullement fondée à les convier « d’aller vivre ailleurs ». Comme elle, ils sont Français. Leur demander de partir sous-entend qu’ils ne sont pas intégrés, alors même que les modalités de l’intégration n’ont jamais vraiment été explicitées. Nadine Morano est en revanche dans son droit et son devoir de femme politique d’ouvrir et d’alimenter le débat sur l’inconsistance, de plus en plus importante, de « notre culture », sur la minceur du socle commun culturel que partagent des communautés, aux mœurs si différentes, sur les plages françaises et peut-être ailleurs aussi. Elle est fondée à dénoncer la vacuité et l’inconsistance de concepts comme le multiculturalisme, lequel s’avère ne pas être un mélange harmonieux et paisible de cultures, mais une juxtaposition de cultures qui, à bien des égards, se regardent en chiens de faïence. Elle est fondée à inviter au débat et à l’échange, à « bien nommer les choses », à convier des « états généraux du vivre-ensemble », plutôt que d’accepter ce silence méfiant que déchire parfois une réaction indignée suivie d’interminables polémiques.

Related Articles

33 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Fleur , 25 août 2014 @ 14 h 17 min

    FN moi ? Je n’ai aucune affiliation politique ! Mes seules références, mes seuls appuis, sont les Évangiles et l’enseignement du Magistère…
    Et en quoi dois-je donc “modérer mes propos” ? Dans la dénonciation conjointe des deux plus grands maux qui ravagent la France, actuellement : la culture islamique et la culture de mort, tandis que celle-là, asséchant toute la spiritualité de la France, fait le lit de celle-ci ?
    Je ne modère donc rien de ce que j’ai écrit, car pour ce qui est de promouvoir la culture de mort, Nadine Morano a sa part de responsabilité. Et ce n’est pas une insulte, ni mépris de sa personne, mais un constat de ses égarements, dont elle peut se reprendre si elle est une personne de bonne volonté, en recherche de la Vérité

  • Enoch , 25 août 2014 @ 14 h 59 min

    Mr Goeller, merci pour votre réponse, il me conforte dans mes qualités de compréhension de texte. Je comprends votre position équilibrée dans un monde qui l’est de moins en moins. Position qui risque d’être de moins en moins facilement soutenable.

    Que faire ? L’édit de Nantes ?

    On pourrait rétorquer que le protestantisme reste malgré tout une extension de la religion catholique (donc comme son nom l’indique universelle depuis Nicée). L’islam (l’a soumission à Dieu) est encore plus universel dans sa conception.

    Que se passe-t-il quand deux pensées à vocation universelle se partage le même territoire ? La plus forte triomphe !!

    Nos élites ont tourné le dos à l’église catholique, bien que notre société soit la résultante de ces valeurs, mais elles se jettent dans les bras de l’islam par progressisme et tolérance (xénophilie de façade).

    Pour le moment la lutte semble être en direction de l’achèvement de l’église catholique. La puissance marchande offre à l’Islam les territoires de l’église chrétienne pour mieux l’affaiblir.

    Pour moi, je vais vous décevoir mais je ne vois pas de rapport d’équilibre, simplement des rapports de force qui s’équilibre pour un temps et puis se remettent en mouvement pour chercher un nouveau point d’équilibre.

    Nous sommes dans un nouveau mouvement de l’histoire. Rare sont les gens qui perçoivent ses changements au moment où les forces tectoniques se mettent en action.

    L’islam est rentré, avec la complicité des dirigeants « laïques », dans une dynamique de conquête, alors que l’église catholique est réduite à une dynamique de résistance voire de replis. Elle a depuis longtemps perdu la bataille dans l’ideosphere au sein de son corpus originelle.
    Elle pourrait reprendre du poile de la bête au milieu de nos crises du sens, de la représentation mais l’institution apparaît comme trop lourde et surtout trop déconnecté pour vraiment impacter dans l’idéologie contemporaine.

    Nous vivons une révolution conservatrice violente dans la jeunesse mondiale. On le voit avec le retour du religieux dans la jeunesse musulmane et même les succès des manifestations du « mariage contre nous tous ».
    Si l’église veut avoir une chance de survivre, elle se devra d’abandonner Vatican II, pour faire elle même un retour sur ces fondamentaux, a commencer par le mystique, le mystérieux, l’incompréhensible, bref l’essence divine.

    Car l’affrontement avec l’Islam est, de moins point de vue, inévitable.

    Il y aura une imposition par la force des normes et des codes culturel et cultuels. Ce sera leurs visions ou la notre.
    Je ne crois pas en un syncrétisme car nous venons de deux civilisations différentes.

    Un moment la question se posera dans ces termes : la lutte ou la conversion.

    Et pour conclure, il me semble que ce choix risque de se produire plutôt que prévu par de nombreux observateurs. De nombreux évènements me font dire que le mouvement est en marche et qu’il s’accélère.

    Comme écrivait Malraux : « le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas », nous y sommes !!!

  • Roland Goeller , 25 août 2014 @ 16 h 54 min

    Cher Enoch, merci pour ce commentaire qui a le mérite de recadrer les choses en matière de religions et de laïcité.

    Il y a en effet, je crois, un immense malentendu sur le concept de laïcité, le même mot recouvrant des postures très différentes. Le sacré est intangible et, sans doute, universel. Un sauvage ou un barbare éprouveront la terreur de la naissance, de la foudre, de la mort … La civilisation se caractérise par la codification du sacré, autrement dit la religion, avec un clergé, une doctrine, des rituels. La religion est au sacré ce que l’exotérique est à l’ésotérique. En d’autres termes, de même que je ne crois pas à la disparition du sacré, je ne crois pas à l’espace laïc dépourvu de religion. Les personnes qui se prétendent a-religieux sont ou mécréantes ou en apostasie. Les chrétiens d’après la séparation de l’église et de l’état sont encore chrétiens, et leurs descendants aussi, ne serait-ce que par les valeurs dont ils s’inspirent. Comme on voit, la communauté des laïcs ou prétendus laïcs est vaste: elle regroupe ceux qui ne croient à rien et ceux qui pensent qu’on peut croire à des choses différentes. Sels ces derniers pratiquent la tolérance!

    Pour en revenir à notre question, j’ai la conviction – peut-être naïve – que la confrontation des idées et des cultures – les états généraux – aurait le mérité de pousser tout un chacun à sortir du bois et à clarifier ses positions. Plus d’un athée auto-proclamé se découvrira, après analyse, descendant de St-Paul. Vous aurez remarqué que dans l’article je me suis gardé de toute réaction personnelle: le voile ne me laisse pas indifférent moi non plus, mais je n’en fais pas état. Pour la simple raison que nous n’avons pas à nous jeter nos subjectivités à la figure.

    Vous aurez remarqué aussi que je parie sur un sursaut du christianisme, dans un siècle qui sera ce qu’auront été tous les siècles: religieux!

  • Placide , 25 août 2014 @ 18 h 07 min

    “Il vous aidera à comprendre ce que je veux dire.”
    Oui, vous avez raison, Fleur. Comme l’écrit le Père Daniel-Ange :
    “Nos bikinis entraînent leurs burkas” !

  • Gwalchavad , 25 août 2014 @ 22 h 44 min

    Nos bikinis entraînent leur burkas ?
    Sauf que nos façons de nous habiller, de nous comporter, de vivre sont légitiment, car nous sommes chez nous.
    Pour éviter les voilées, nos lâches politiques se sont cachés derrière une laïcité que les barbares ont fini par retourner contre nous. Alors qu’il aurait suffit de dire vous êtes chez nous et vous vous habiller à la française ou vous partez.
    Ceux qui disent que la France est un pays d’immigration multiculturel ne connaissent pas notre histoire.
    Ils écoutent bêtement la propagande de gauche

Comments are closed.