Malgré les interdictions et les gémissements, l’uberisation de la société continue

Dans quelques jours, le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur la légalité de l’application UberPOP, soit, à peu près un an après la promulgation de la loi Thévenoud censée non pas reconnaître l’existence d’une phobie administrative mais, plus simplement, organiser la coexistence de ce nouveau mode de transport et avec les taxis traditionnels. Il aura fallu tout ce temps pour que l’appareil législatif commence à s’adapter au changement de donne… Et pendant ce temps, le monde continue de tourner toujours plus vite.

L’affaire pourrait paraître épineuse puisqu’Uber conteste de son côté la constitutionnalité de l’article L3124-13 du code des transports : pour la société américaine, cet article revient à interdire les applications innovantes qui tiennent compte des nouvelles possibilités technologiques. Bien évidemment, pour les concurrents directs (les VTC avant même les taxis), tout ceci est absolument scandaleux puisqu’à l’évidence, des gens qui font des trajets contre rémunération comme petit job d’appoint — au contraire du covoiturage — sont forcément des fraudeurs et que, tout le monde le sait, seul l’État peut autoriser l’un ou l’autre à exercer telle activité : seul l’État sait ce qui est bon pour nous, seul lui peut aussi déterminer la valeur et la qualité des services rendus, et le marché n’a qu’à bien se tenir, merdalafin.

Si l’on ajoute à ces bisbilles UberPOP contre les VTC les autres déboires Taxis contre VTC, on voit se dessiner une société française qui n’aime décidément pas que les individus s’affranchissent petit-à-petit de leurs habitudes, des corporations de leurs carcans.

Et cette société n’aime tellement pas se débarrasser de ses carcans qu’elle entend visiblement combattre chaque nouveauté qui permettrait pourtant d’améliorer sensiblement la vie de tous et de chacun. Pendant que les taxis, bizarrement épaulés des VTC, se lancent dans des combats d’arrière-garde qu’ils ont de toute façon déjà perdu pour les plus importants des protagonistes, à savoir leurs clients, d’autres corporations se lancent à leur tour dans les mêmes batailles juridiques, les mêmes réflexes corporatistes contre ces innovations qui viennent grignoter leur pré carré.

On peut ainsi citer le co-avionnage qui se développe suffisamment bien pour attirer sur lui l’attention des autorités, dûment alertées par les concurrents et professionnels qui sentent, exactement comme pour Uber, s’échapper une clientèle qu’ils avaient jusqu’ici conservée captive. Globalement calqué sur le modèle de Blablacar, celui-là même que les VTC et les taxis entendent ne surtout pas attaquer lorsqu’ils se retournent contre UberPOP, de nouveaux acteurs (Wingly, Wingshare, Off We Fly, …) proposent de mettre en relation des passagers avec des pilotes d’avion.

L’objectif est assez simple : lorsqu’un pilote doit effectuer un trajet en avion — de tourisme, ici — ces sociétés proposent de leur faire diminuer les frais de vol en leur permettant de proposer le trajet à un ou plusieurs passagers. La start-up Wingly a ainsi atteint les 2000 utilisateurs en quelques mois, même si, bien sûr, au contraire du co-voiturage, le co-avionnage dispose de contraintes (notamment météo) fortes : le passager peut parfois se retrouver sans transport et doit pouvoir disposer d’un plan de secours ou d’un horaire flexible.

Compte-tenu des coûts, le co-avionnage ne concurrence pas directement ni le covoiturage, ni le TGV, mais il propose un assemblage prix / vitesse intéressant pour certains cas particuliers mal couverts par la voiture (souvent trop lente) ou par le TGV (parfois trop cher, ou inexistant sur certains axes, ou simplement en grève). Seule contrainte légale du co-avionnage : selon la loi, un pilote privé ne peut réclamer d’argent à son passager, et ne peut que lui demander une participation aux frais, au prorata du coût du vol et du nombre de passagers. Pour un trajet rémunéré, il lui faut en effet passer son brevet de pilote professionnel.

Nous sommes en France et, par défaut, ceux des pilotes qui tentent la formule seront immédiatement soupçonnés de faire du travail au noir et de contourner les règles que l’Etat, la main guidée par le corporatisme, aura mises en place : devant la montée en puissance de ces start-ups et de cette nouvelle méthode d’amortissement des trajets, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) a été saisie du problème virtuel et elle doit maintenant rendre un avis après enquête dans les prochaines semaines justifiant sans doute la fermeture de l’un ou l’autre des sites, et la mise sous surveillance étroite de ceux qui restent histoire que la fête et le fun soient rigoureusement encadrés.

Il ne manquerait plus que des adultes responsables contractent entre eux pour des services de transport sans que la loi y mette un holà nécessaire, et surtout (surtout !) sans que l’État ne puisse prélever au passage qui une petite cotisation sociale, qui une petite taxe au consommateur, qui un petit impôt sur un nouveau revenu.

Bien évidemment, ce que le co-voiturage et le co-avionnage entraînent l’un et l’autre en termes de crispations corporatistes sous couvert de marché noir, de sécurité du consommateur et autres mises en danger du travail d’autrui, se passe à l’identique lorsqu’il s’agit de co-restauration ou, plus exactement, de cette nouvelle mode qui consiste à dîner chez l’habitant.

En substance, différentes plate-formes informatiques proposent dès à présent de participer à des repas chez l’habitant, soit en tant que convive, soit en tant qu’hôte. La démarche est simple : en tant que convive, vous pouvez vous enregistrer sur un site comme Cookening ou VoulezVousDiner, indiquer la ville ou le quartier où vous désirez manger, et l’application vous propose de rejoindre le domicile d’une autre personne, elle-même inscrite en tant qu’hôte, qui se propose de régaler les invités moyennant un défraiement, dont le montant est affiché à l’avance.

Et comme de juste, si le co-voiturage empiète méchamment sur le travail des taxis, et fait concurrence à la SNCF, si le co-avionnage a une fâcheuse tendance à dissimuler des prestations commerciale, il va de soi que le repas chez l’habitant ne peut que fomenter contre les restaurateurs et concurrencer directement leur métier. Comme de juste, non seulement ceux qui offrent ces prestations le font pour dissimuler leurs revenus, tout en évitant de payer les nécessaires cotisations à l’État ou les caisses de sécurité sociale qui font si bien leur travail, mais en plus, ils mettent à l’évidence la santé de leurs convives en danger tant les règles sanitaires ne peuvent pas être correctement suivies dans un domicile familial traditionnel où Escherichia Coli fricote graveleusement avec la Légionellose et autres Salmonelles dans une crasse répugnante.

Voilà qui justifie donc amplement que les syndicats et autres associations de corporations concernées dénoncent ces abominables torsions de marché en lançant qui une pétition, qui une action en justice, qui des contrôles inopinés.

Eh oui, vous l’avez compris : pendant que la numérisation de la société progresse et offre des possibilités renouvelées de créer de la richesse, en France, les corporations continuent leurs âpres combats. Et plutôt que demander qu’enfin soit mis un terme aux mille et unes vexations (fiscales, sociales, légales) qu’elles subissent, elles réclament à cors et à cris que ces vexations soient aussi imposées aux autres.

Que voulez-vous, en France, il est insupportable que certains s’en sortent mieux et surtout, peu importe d’être malheureux si on peut l’imposer aux autres.

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8 Comments

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  • 0 / 10
  • pilote , 25 septembre 2015 @ 1 h 21 min

    Sympa le coavionnage, mais l’avion n’appartient pas au pilote, mais à un aéroclub. On peut comprendre que le club, et son président responsable, n’a pas trop envie de voir ses avions partir au tas.

    Car avec le coavionnage, n’importe quel pilote, même récemment breveté, avec peu d’expérience, peut proposer des voyages à des passagers novices qu’il ne connait absolument pas. Le cocktail idéal pour mettre un avion au tas, des passagers et un pilote à la morque, et un président de club en cabane.

    On comprend donc que les aéroclubs ne soient pas motivés par l’aventure. Et comme ce sont eux qui ont les avions, ce sont eux qui décident. D’où le décollage au second régime de wingly. Seule une décision claire de la DGAC et des assureurs pourrait faire passer wingly au premier régime, mais vu les risques encourus, c’est peu probable.

    Au final, ce ne sont pas du tout les soit-disant concurrents de wingly qui tuent wingly, mais la formule mal ficelée d’un point de vue réglementaire et surtout sécuritaire, à laquelle les aéroclubs n’adhèrent pas.

    C’est mort donc. Dommage, il y a un vrai potentiel.

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