Le mythe « fondateur » de la Révolution

Tribune libre de Christian Vanneste*

En ce lendemain de 21 janvier qui fut en 1793 le jour de l’exécution de Louis XVI, celui où, selon Ernest Renan, en coupant la tête de son roi, la France commit un suicide, il peut être instructif de se pencher sur le rapport qu’entretient l’idéologie dominante dans notre pays avec ce concept de Révolution. La prise de la Bastille symbolise la chute de l’Ancien Régime et la mort du roi est le point culminant de ce qui a été présenté comme une rupture avec le passé, et comme la naissance de la nation française. La gauche, en particulier, a tendance à voir dans la Révolution le début de notre histoire. La domination de l’idéologie socialiste, et souvent  marxiste, dans l’enseignement, de l’histoire notamment, a eu un triple effet : d’abord, elle a presque toujours suscité une sympathie assez scandaleuse et dépourvue de discernement pour les révolutionnaires et leurs régimes liberticides, comme encore pour la dictature castriste de Cuba. Elle a, ensuite, fait naître une conception erronée et dangereuse du progrès fondée sur des confrontations dures, voire violentes entre le parti éclairé et les résistances obscures de l’ordre établi, plutôt que sur des réformes lentement élaborées dans le souci du Bien Commun. Enfin, elle a entraîné cette arrogance ridicule du modèle français, universellement envié, parce que la France aurait tracé avec sa Révolution la voie pour les autres pays vers le paradis des Droits de l’Homme.

Dans la situation qui est la sienne, la France ne doit pas se livrer à d’absurdes repentances mais seulement à une cure de lucidité et de modestie. L’Angleterre, qui est toujours une monarchie a créé une démocratie exemplaire, régulièrement réformée, dans un régime stabilisé après deux révolutions dont la dernière a eu lieu un siècle avant la nôtre. Si la France a su donner à sa déclaration des Droits de l’Homme une portée universelle, les idées en étaient présentes auparavant dans les Constitutions des États Américains, dont la vieille monarchie française a assuré l’indépendance. Dès le début de la Révolution, c’est un britannique, Burke, qui attira l’attention de ses compatriotes et des contemporains sur les risques pour la liberté de ce qui se passait en France. L’enthousiasme soulevé chez de nombreux Européens sera vite déçu par la dérive terroriste d’abord puis par la succession au pouvoir de la corruption politique et de la dictature militaire. C’est pourquoi, comme l’avait fait François Furet, il faut « penser la Révolution », déconstruire le mythe et s’en approprier la réalité.

“La France a maintenant une ardente obligation de se libérer de son mythe révolutionnaire pour acquérir la sagesse des réformes conservatrices.”

D’abord, il faut se délivrer des deux erreurs suivant lesquelles la Révolution serait une naissance nationale et aurait été « un bloc », selon le mot de Clemenceau. Marc Bloch, comme Renan, après 1870, pense la France avec lucidité, après 1940. Il écrit, cet historien de gauche : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims; ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. » Notre pays s’est construit en 1 000 ans de monarchie, et celle-ci aurait pu se transformer dans un consensus national, si la Révolution, qui avait atteint ses objectifs essentiels, s’était arrêtée le 14 Juillet 1790, avant ce dérapage dont les Jacobins seront la force motrice. Sont présents à ce moment les mauvais génies qui vont inspirer les idées fausses qui pèsent encore sur notre pensée actuelle, par exemple l’idée qu’un parti, une minorité agissante, est le dépositaire éclairé de l’intérêt du peuple, le moyen d’expression légitime de la volonté générale. Regardons le mépris avec lequel le pouvoir socialiste traite les opposants au « mariage »homosexuel, en faisant semblant d’ignorer la possibilité d’un référendum, pourtant introduite par la réforme constitutionnelle de 2008. C’est le même qui animait la haine revancharde des radicaux contre l’Église et qui les faisait s’opposer, sans doute au nom du progrès (?), au vote des femmes. Cette idée fausse a atteint son paroxysme chez ceux qui ont vu dans la Révolution française, bourgeoise, la préfiguration de la vraie, la prolétarienne de 1917. Aujourd’hui que celle-ci a dévoilé la réalité de ses goulags, de son désastre économique, de ses pouvoirs confisqués par une caste, et que son Empire a éclaté, les « intellectuels » communistes et leurs compagnons de route jouissent trop souvent dans notre pays d’une considération pour le moins déplacée. Politiquement, Sartre était un crétin dangereux, par exemple. D’autres crétins, encore, ont magnifié l’entrée des Khmers rouges à Phnom-Penh.

Ensuite, parmi les erreurs funestes léguées par la période révolutionnaire, il y à le « sinistrisme », cette idée que le sens de l’histoire ne peut s’écrire et se déchiffrer que de droite à gauche, par une égalité toujours plus nivelante, la conquête de nouveaux droits et l’effacement de valeurs jugées archaïques. Après un siècle de hoquets révolutionnaires, la France de 1914 n’était pas parvenue, pourtant, à un système social plus généreux que celui de l’Allemagne laquelle n’avait subi aucune révolution victorieuse. Aujourd’hui encore, imbibée profondément par la pensée de gauche même lorsque la « droite » est apparemment au pouvoir, la France s’entête à imposer ses marottes à la réalité. La diminution du temps de travail, traduction légale du « droit à la paresse » de Paul Lafargue, le gendre de Marx, dans la semaine, l’année, la vie se heurte aux murs de la démographie, de la compétitivité et de la diversité des tâches. La lutte contre les discriminations, la reconnaissance du droit à la différence, la revendication de l’égalité réelle, la discrimination positive, c’est-à-dire compensatoire soulèvent des contradictions insolubles et engagent l’action politique dans des impasses. Ce sera le communautarisme, la limitation de la liberté d’expression, l’affaiblissement de la nation et de la citoyenneté, du mariage et de la famille, la disparition dans notre pays de la volonté de se distinguer par l’effort, le courage et le mérite. Paradoxalement, les « avancées » revendiquées ont donc un point commun : elles détruisent les acquis positifs de la Révolution ! Notre vieux pays n’est pas né en 1789. Il a connu de grands moments où l’ordre restauré, et non la Révolution, lui a permis de véritables progrès, de Richelieu à de Gaulle. Il a maintenant une ardente obligation de se libérer de son mythe révolutionnaire pour acquérir la sagesse des réformes conservatrices.

*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.

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14 Comments

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  • bernard , 24 janvier 2013 @ 10 h 44 min

    Qui a soutenu les “intellectuels” de gauche?
    Sinon la bourgeoisie bobo qui veut être “dans le vent”

  • olrik , 24 janvier 2013 @ 11 h 25 min

    Entièrement d’accord.
    Il y a de très bonnes choses dans larticle de Christian Vanneste mais il sarrête à mi-chemin. La révolution est effectivement un bloc et doit être rejetée en bloc.
    Il faudrait aussi évoquer la finalité anti-chrétienne de cettte révolution qui culmine avec le meurtre rituel et sacrilège du Roi de France.

    PS: Quand NdF se décideront-elles à réparer leur apostrophe qui ne marche pas ?

  • Philippe Lemaire , 24 janvier 2013 @ 15 h 27 min

    ‘la finalité anti-chrétienne de cette révolution; Certes mais si l Eglise n avait pas cédé quelque peu à une tentation totalitaire sous l Ancien Régime, si elle n avait pas été complice de pouvoirs écrasants et contestables, la révolution aurait peut-être été moins anti-chrétienne.

  • Frannot , 24 janvier 2013 @ 15 h 33 min

    Bravo pour ces vérités ;
    le bourrage de crâne sur la “grande révolution” ne se limite effectivement pas aux français, mais est répandu à l’étranger, comme aux USA par exemple !
    Dans cette succession de repentances que l’on subies, j’attends tjs que la République demande pardon au peuple de France pour le mal qu’elle lui a fait… comme Boris Eltsine en Russie, et dont nous sommes toujours effectivement victimes.

  • Oscar du Pont de Pau , 24 janvier 2013 @ 18 h 39 min

    Je suis tout à fait d’accord avec M. Vanneste.
    La décapitation de Louis XVI est l’erreur monstrueuse d’un peuple devenu sans foi ni loi.
    La monarchie devrait être le régime de la France. Elle continuerait d’assurer le lien entre nos origines et maintenant.
    La révolution est une césure, une cassure qui est – à mon avis du moins – à l’origine des évènements sanglants ultérieurs.
    D’ailleurs, la République représente les Français, pas la France.

  • Quéribus , 24 janvier 2013 @ 20 h 40 min

    Et n’ oublions pas que la Révolution française est planquée à l’ Education Nationale, depuis trop longtemps ; nous en avons tous fait les frais !

  • Philippe Lemaire , 25 janvier 2013 @ 6 h 48 min

    J’ai connu pire quand j étais élève dans les années 60 : un prof d histoire bolchevique qui se prenait pour Staline et nous terrorisait. On n avait pas intérêt à le contredire quand il nous expliquait que l U RSS, c était le paradis sur terre. Authentique… Paix à son âme…
    Au moins cela m a dégoûté pour toujours du communisme alors que j avais un prof d anglais d extrème-droite très sympatique (et oui cela existe)…

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