L’école du petit père Peillon

Docteur en droit et expert auprès du Conseil de l’Europe, Grégor Puppinck est le directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ).

Que sait-on du projet de M. Vincent Peillon de Refonder l’école de la République qui est actuellement en discussion au Sénat ? Pas grand-chose, concrètement.

Le texte du projet de loi rend obligatoire l’enseignement des « valeurs de la République » et de « l’esprit critique » qui feront maintenant partie du droit de tout enfant à l’instruction, même pour les enfants bénéficiant d’une instruction privée hors contrat ou à domicile (nouvel article L131-1-1).

Le projet de loi remplace en outre le cours d’instruction civique par un « un enseignement moral et civique » visant à faire « acquérir aux élèves le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de la laïcité » (nouvel article L311-4). Cet « enseignement moral et civique vise notamment à amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi. Cet enseignement comporte, à tous les stades de la scolarité, une formation aux valeurs de la République, à la connaissance et au respect des droits de l’enfant » (nouvel article L. 312-15).

Quant à l’école primaire, le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture indique qu’« elle assure les conditions d’une éducation à l’égalité de genre. Elle assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique, qui comprend obligatoirement, pour permettre l’exercice de la citoyenneté, l’apprentissage des valeurs et symboles de la République et de l’Union Européenne, notamment de l’hymne national et de son histoire. »

Cet enseignement moral et civique sera dispensé par les professeurs d’histoire et de sciences et vie de la terre dès la rentrée 2015, à raison d’une heure par semaine à l’école primaire et au collège. Il sera obligatoire, y compris dans les établissements privés sous contrat, et devra être noté.

Cette volonté de remettre à l’honneur la morale laïque et le civisme répond, on le comprend, à la nécessité de donner un cadre culturel commun, une République, à une jeunesse socialement éclatée, souvent illettrée et violente. Il s’agit de construire « un mieux-vivre ensemble au sein de notre société » (exposé des motifs). Cette jeunesse est influencée par le fondamentalisme politique, identitaire et religieux, sexiste, raciste et homophobe ; elle adopte souvent une attitude hostile à la culture française. En un mot, de larges pans de la jeunesse doivent être re-civilisés et incorporés dans la société française, et cette tâche appartient à l’école de la République. C’est l’ambition louable de M. Peillon qui répond à un problème bien réel. Les principaux moyens proposés sont l’embauche de 60.000 enseignants supplémentaires, l’investissement massif dans le numérique et l’enseignement de la morale et des valeurs républicaines.

Cette situation actuelle de la jeunesse ne serait pas due à l’échec de l’enseignement public, mais à celui des familles, en raison de leurs déterminismes sociaux, culturels et religieux. C’est ainsi que l’on comprend la volonté de scolariser les enfants dès l’âge de 2 ans, et en priorité dans les zones d’éducation prioritaire à forte proportions d’enfants issus de l’immigration.

Le ministre a également décidé qu’une Charte de la laïcité devrait être jointe au règlement intérieur des établissements scolaires dès 2013. Définissant les principes de la laïcité, elle s’imposera aux enseignants et aux élèves. Sa rédaction a été confiée au Haut Conseil à l’intégration qui travaille à « faire barrage au communautarisme ».

C’est ici qu’apparaît la finalité de l’enseignement moral et civique, et la conception de la République du ministre de l’éducation nationale. A défaut de précision sur le contenu futur de cet enseignement moral et civique qui est encore en cours d’élaboration, il est possible de se référer aux propos et écrits du ministre. Il a ainsi précisé dans la presse et à l’Assemblée, que « le but de la morale laïque est d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » pour « permettre à chaque élève de s’émanciper », car « le but de l’école républicaine a toujours été de produire un individu libre ». Ces propos ne sont pas accidentels, mais synthétisent une pensée cohérente, une idéologie. Ainsi, dans son livre-programme Refondons l’école publié en février 2013, le ministre de l’Éducation nationale explique en effet que « dans notre tradition républicaine, il appartient à l’école non seulement de produire un individu libre, émancipé de toutes les tutelles – politiques, religieuses, familiales, sociales –  capable de construire ses choix par lui-même, autonome, épanoui et heureux, mais aussi d’éduquer le citoyen éclairé d’une République démocratique, juste et fraternelle » (p. 12). Le ministre prévient son lecteur, mais est-ce encore nécessaire, que « l’école républicaine n’a jamais prétendu être neutre entre toutes les valeurs. Si la laïcité a bien signifié la neutralité confessionnelle […], elle n’a jamais signifié ni la neutralité philosophique ni la neutralité politique » (p. 134).

L’un des déterminismes dont il faudrait émanciper les enfants est l’identité de genre. M. Peillon annonce dans son livre-programme que la « lutte contre les stéréotypes de genre et l’homophobie doit être menée avec force, à tous les niveaux d’enseignement. Les stéréotypes de genre doivent être remis en question dès l’école primaire » (p. 128). S’adressant aux recteurs d’académie, M. Peillon indiquait en janvier dernier « le gouvernement s’est engagé à s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités, notamment par le biais d’une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles » .

Le livre dans lequel M. Peillon livre le plus sa pensée personnelle est La Révolution n’est pas terminée, publié au Seuil en 2008. Voici ce qu’il dit de l’école : « C’est à elle [l’école] qu’il revient de briser ce cercle [les déterminismes], de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. La société républicaine et laïque n’a pas d’autre choix que de « s’enseigner elle-même » (Quinet) d’être un recommencement perpétuel de la République en chaque républicain, un engendrement continu de chaque citoyen en chaque enfant, une révolution pacifique mais permanente » (p. 17).

Le lien entre l’école et la laïcité apparaît clairement : l’école-église est le lieu de l’enseignement de la laïcité-religion. Il ajoute : « En voulant éliminer et le déterminisme religieux et le déterminisme scientifique, la synthèse républicaine se trouve obligée d’inventer une métaphysique nouvelle et une religion nouvelle, où c’est l’homme, …, qui va apparaître comme un infini qui sans cesse « s’échappe à lui-même » (J. Lagneau) Cette religion n’est pas une religion du Dieu qui se fait homme. Elle n’est pas davantage d’ailleurs une religion de l’homme qui se fait Dieu. Elle est une religion de l’homme qui a à se faire dans un mouvement sans repos. » (p. 141-142). Plus loin, il poursuit : « Ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle : « Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte doivent surgir, afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne. » (Littré) » (p. 149). « La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. » (p. 162) « C’est au socialisme qu’il va revenir d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin, en étant à la fois une révolution morale et une révolution matérielle, et en mettant la seconde au service de la première. » (p. 195).

Dans sa biographie de  Ferdinand Buisson, il précise à propos de cette foi laïque que « toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Église. Non pas seulement l’Église catholique, mais toute Église et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Église, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques. » (p. 277).

Ces citations (qui ne peuvent rendre totalement justice à l’intelligence de leur auteur) permettent d’entrevoir, pour les non-initiés, l’arrière fond idéologique sur lequel s’inscrit le projet d’enseignement moral et civique. Reste à connaître son contenu précis, et la façon dont les enseignants du public et du privé vont l’enseigner, à hauteur d’une heure par semaine « au minimum », selon les vœux du ministre.

On le voit, l’ambition et la foi du ministre sont considérables ; le défi posé par cette jeunesse à intégrer ne l’est pas moins. On peut néanmoins être sceptique face à cette foi laïque et à son efficacité… mais le peut-on encore ouvertement ? Son enseignement sera obligatoire pour tous, et les enfants seront notés.

Face à ce projet de refondation de la société par le biais de l’école, comment se situe l’enseignement privé ? A-t-il autre chose à proposer, aura-t-il autant de zèle missionnaire que Monsieur Peillon ? En tout cas, l’enseignement privé sous contrat se trouve dans la situation paradoxale d’être obligé d’enseigner cette morale laïque, tout en ayant interdiction d’imposer l’enseignement religieux à ses élèves.

Selon son contenu, cet enseignement moral sera susceptible de heurter non seulement le « caractère propre » de l’enseignement privé, mais aussi le droit naturel des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants « conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », droit garanti notamment par la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour finir, le projet de loi contient une disposition des plus symboliques ; il prévoit que « la devise de la République et le drapeau tricolore doivent figurer à la façade de tout établissement scolaire public ou privé sous contrat. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 doit être apposée au sein de tous ces établissements. » Il n’est pas précisé si les symboles de la République doivent être placés au-dessus ou au-dessous de la croix qui orne, parfois encore, les façades des écoles catholiques.

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  • Thibault Doidy de Kerguelen , 24 mai 2013 @ 14 h 26 min

    Article à lire absolument et à faire circuler car il résume parfaitement l’enjeu de ce qui est en train de se préparer. Nous sommes en train de vivre la construction du monde socialiste qui retire aux parents leur mission d’éducation pour la confier à la collectivité au nom d’une religion (maçonnique) en guerre contre une autre (catholique) qui a construit et façonné l’Europe. Comme tous les régime totalitaires et collectivistes, qu’ils soient facistes, nazis ou communistes, le socialisme maçonnique de Monsieur Peillon, il s’agit de bâtir “un homme nouveau” qui sera éduqué par la propagandastaffel à rejeter “le vieux monde” de ses parents (qu’à la limite il sera inciter à dénoncer afin de pouvoir les rééduquer). Comme notre personnel politique est nul, inculte et trop intéressé pour prendre à bras le corps les grands combats (nous l’avons vu récemment avec le mariage et l’adoption des homosexuels), c’est encore à l’Eglise à prendre la tête de la révolte. Mais voilà, il se trouve que cette Eglise a déjà opéré en France cette révolution vers l’inculture et le déracinement et que la majorité des ses cadres, en particulier au sein de l’enseignement diocésain, est incapable de comprendre son appartenance à l’Eglise autrement que comme à club fermé, sans plus aucune conscience de ce qu’est l’Eglise, sa mission, son rôle. Au moment de l’application de cette loi, ces beaux esprits expliqueront la nécessité de la respecter pour assurer le versements des forfaits scolaires qui font vivre les écoles, oubliant ainsi que l’enseignement catholique n’est pas un fin en soi mais un vecteur d’une pensée, d’une démarche d’amour et de fraternité que depuis 2000 ans des hommes et des femmes, en particulier ceux qui ont bâti l’école catholique, ont transmis, même au péril de leur vie. Leur lâcheté engendrera leur mort. Alors les quelques centaines de petites écoles catholique hors contrat qui poussent chaque année sur le territoire se retrouveront seules à devoir assumer tant la résistance au totalitarisme qu’à la perpétuation du message de l’Eglise.

  • Thibault Doidy de Kerguelen , 24 mai 2013 @ 14 h 58 min

    @Jérémie: Question apprendre des aberrations, c’est déjà le cas, en grande partie, puisque les programmes d’examen sont déjà totalement ideologisés. Lorsque nous voulons résister, nous sommes obligés de transformer nos enfants en schizophrènes. Pour ma part, j’enseigne à mon fils (et c’est ainsi dans la majorité des écoles hors contrat) “ça c’est ce qu’il faut que tu apprennes pour avoir ton brevet ou ton bac”, “ça c’est la vérité qu’il faut que tu saches”. exemples sur les grands personnages batisseurs de la liberté en France (aucun avant 89 et le dernier est simone veil), la démocratie en Grèce qui n’était pas parfaite parce les étrangers et les esclaves n’avaient le droit de vote (faire apprendre cela aux enfants c’est détruire la notion de citoyen et ce, dès la sixième.) ou sur l’affaire du chavlier Labarre ou sur la Révolution, la monarchie absolue, le réchauffement climatique, la théorie du genre en science nat, jusqu’au latin dont le seul auteur qu’il soit possible de préparer pour le bac est… Ovide !
    J’ai travaillé en URSS et il est vrai que nous nous retrouvons dans un contexte qui ressemble de plus en plus à celui de la dictature communiste. Plus question de dire en public ce qu’on pense, élimination de celui qui ne pense pas dans la ligne, limitation des moyens d’expression de la pensée d’opposition (http://unionrepublicaine.fr/aux-armes-citoyens/), limitation des moyens d’exprimer son opposition de mnière collective (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/05/24/97001-20130524FILWWW00307-valls-songe-a-interdire-le-printemps-francais.php)… Tout cela fleure bon le communisme..

  • Thibault Doidy de Kerguelen , 24 mai 2013 @ 15 h 04 min

    Ouais, mais combien de millions de morts? Combien de familles détruites? Combien de millions de gens qui ont vécu l’enfer et la pauvreté?

    Vivre le pire pour connaître la rédemption, perso, ça ne me tente pas. Je ne rejette pas à priori, si nous perdons notre combat, un bon vieux “courage, fuyons”…

  • Thibault Doidy de Kerguelen , 24 mai 2013 @ 15 h 08 min

    Non, ce n’est pas pareil. Le double ou triple éclairage est une bonne chose qui amène l’enfant à se forger une opinion, à confronter les différents points de vue. Aujourd’hui, nous vivons une époque où il s’agit d’éliminer l’expression d’un point de vue. Il s’agit d’oter aux parents leur role éducatif et de confier leur façonnage aux service de l’Etat.

  • Michele Manhaeve , 24 mai 2013 @ 15 h 47 min

    on n’a pas fini d ‘aller manifester .C’est pire que le regime sovietique ou personne n’a plus le droit de penser par lui meme, d’eduquer ses enfants selon les valeurs traditionnelles .Peillon veut assasiner la jeunesse .embrigader notre liberté individuelle.Dans quel but surement pas pour ameliorer l’entente et l’amour dans notre monde en peril.

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