Peur, quand tu nous tiens, réponse à l’abbé Robinne et à quelques kozeurs…

De mortuo, nihil nisi bonum : d’un mort, on ne dit que du bien, dit le proverbe latin. C’est dans cette perspective que j’ai voulu écrire sur Dominique Venner, un homme dont j’admirais l’élan et le militantisme parfaitement désintéressé, le travail et la volonté de créer (des œuvres, des circonstances ou même des changements historiques profonds). Il est une catégorie qui échappe peut-être à certains : Venner était ce que l’on appelle un homme noble : un homme détaché de l’ordinaire. Égotiste ? Parfois… C’était sa faille. Mais il mettait toujours son combat (ou l’idée qu’il se faisait de son combat) au-dessus de lui-même. Cela étant posé (comme il aurait dit lui-même sur RC), c’était un homme avec lequel je n’avais aucune vision commune (aucune connivence idéologique, n’en déplaise à Koz), un homme auquel je n’ai jamais fait la moindre concession, et qui accepta d’ailleurs naguère, dans La Nouvelle revue d’histoire, de publier ma longue réfutation d’un de ses papiers sur les causes de la ruine de l’Empire romain.
Ne peut on pas respecter quelqu’un sans pour autant partager ses idées ?
Pour Koz, mon papier serait “stupéfiant” (ça me rappelle un vieux sketch, vous aussi ?). Le fait de comparer ce suicide à un seppuku dénoterait de “la complaisance” envers le suicide, complaisance, bien sûr, “indigne d’un prêtre”. Personnellement je pense plutôt que c’est le fait de s’acharner sur la dépouille qui est indigne d’un prêtre Nous sommes, nous autres prêtres les ministres de la Miséricorde. Acharnement? Pour tel Causeur célèbre sur la Toile, (il en avait l’intuition depuis longtemps, il peut le dire haut et fort à présent), Dominique Venner, ce serait… le diable. Rien moins ! Personnellement je me suis toujours élevé contre toutes les formes de diabolisation. Le diable est un ange, pas un homme.
Argument décisif : “L’Église y voit une profanation”. C’est clair que si l’on est chrétien, un tel acte, qui représente une suprême désobéissance à Dieu dans un lieu divin, est une profanation. Mais si l’on ne l’est pas… Si l’on fait profession d’athéisme ? Si pourtant l’on cherche désespérément le sacré (au point de le rêver dans je ne sais quel Walhalla) et qu’on le trouve dans la forêt de piliers d’une cathédrale, au pied d’un autel dédié à la Vierge, alors qu’on a débiné toute sa vie cette sacralité-là, je pense qu’on est bien obligé (cela ne plaît ni aux cathos redresseurs de tort qui voient le monde en noir et blanc, point barre (sic), ni aux païens patentés mais je le dis) de trouver un sens à ce geste hasardé, un sens subjectivement sacré. C’est en respectant cette démarche personnelle, même en ce qu’elle peut avoir d’incongru ou disons-le d’objectivement monstrueux, que le cardinal Vingt-Trois puis Mgr de Moulins-Beaufort ont fait prier pour celui que Libération appelle “le suicidé de Notre Dame”.
Est-ce de “la complaisance” que de vouloir non pas accepter ni justifier mais tenter de comprendre les raisons d’un acte apparemment irrationnel ? Le Curé d’Ars, d’une science mystérieusement certaine, avait absout un suicidé : “Entre le pont et l’eau, il s’est converti, il est sauvé”. Ne peut-on pas (sans aucune complaisance) scruter les raisons complexes qui ont poussé Dominique Venner à se donner la mort ? Ne doit-on pas souligner ce qui dans cet acte résiste à toute interprétation vulgaire ? Scruter ou peser ce que ce geste pourrait avoir de chrétien “en espérance”, malgré le désespoir, dont il est issu ?
On me dit que ce raisonnement est “plus que limite surtout de la part d’un prêtre”, qu’il est “loin de toute théologie catholique”. Je n’ai jamais nié que le suicide soit un péché grave. Que Dominique Venner, par cet acte, soit un pécheur devant l’éternel (et pas le saint que certains veulent voir, à Lyon en particulier me dit-on), c’est très clair. Simplement, c’est au moment où il voudrait donner à sa vie par lui-même l’ultime sceaux de l’autosuffisance… que le voilà, dans une sorte de lapsus existentiel, dans le champ de l’Autre [de l’Autre que soi] qui est le champ de Dieu : le voilà à Notre Dame, devant l’autel, en quête du dernier symbole. On n’échappe pas à Dieu si facilement ! Quelle ironie redoutable que celle du Tout puissant ! Quelle douce ironie que celle qu’il exerce sur les pauvres humains par Notre Dame.
Est-ce là une apologie? Bien sûr que non. Cette tentative de mise au point est-elle (au choix car le prêtre qui se fait mon contradicteur semble me laisser le choix) déplacée, scandaleuse ou dérangeante ? Je ne la crois pas déplacée mais sacerdotale. Ni scandaleuse (ce sont ceux qui crachent sur la tombe au nom du Christ qui créent le scandale). Mais je sais bien que l’acte sur lequel nous réfléchissons, comme ma démarche présente peuvent paraître un peu… dérangeants. Hors piste. Hors champ. Évidemment. Et cela fait peur à certains catholiques, habitués au confort de leur petite bourgeoisie. “Ces catholiques, n’est-ce pas, écrit Mortimer sur son site La Plume, jugent vite, trop vite, comme s’il y avait urgence”. Cette urgence est celle de leur peur.
Je leur dis, moi : N’ayez pas peur, n’ayez pas peur du Christ, juste juge, seul détenteur de toutes justices. N’ayez pas peur du mal, de la puissance du mal. Elle est déjà vaincue.

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41 Comments

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  • Sully , 23 mai 2013 @ 15 h 42 min

    Eh bien , nonobstant mon hostilité aux tridentins , je dois avouer que le topo du prêtre du Tanouarn est excellent . Rempli de mesure , de compassion et d’intelligence . Les ktos de base , tridentins ou pas , feraient bien de méditer ce texte . Notamment Champoiseau dont le ton du message est totalement déplacé , même s’il pointe les graves conséquences de l’acte de Dominique Venner pour sa famille .

    FG

  • Robert , 23 mai 2013 @ 16 h 21 min

    Je suis globalement d’accord avec l’abbé de Tanouarn.
    Mais son propos trop intellectuel, comme souvent chez lui, peut laisser penser à une complaisance intellectuelle avec le sujet étudié ou à une certaine confusion morale. Je ne pense pas que ce soit le cas.
    Comme il le dit bien, on n’échappe pas à Dieu comme ça.
    Quand aux intentions de Venner, Dieu en est seul juge, nous pauvres mortels sommes trop dupes des postures et des justifications humaines.
    Ce qu’il est permis et légitime de juger, sans confondre avec la personne, c’est cet acte inacceptable et contre-productif pour qui veut en faire un acte militant et sa revendication d’en faire justement un acte positif. Non, ce n’est pas possible.
    Certains ici, dont des catholiques revendiqués, ont prétendu se référer aux kamikazes ou aux moines bouddhistes, oubliant sans doute que les uns et les autres professaient un même fatalisme philosophique qui pouvait mener à un fanatisme désespéré sur l’homme.
    Un catholique ne peut soutenir une telle philosophie.
    Mais je ne parle que pour moi qui dit simplement ce que je pense en respectant la peine de ceux qui l’aimaient et la mémoire d’un homme brillant.
    N’oublions pas que deux jours plus tard, deux musulmans fanatisés massacrent un soldat anglais dont son pays qui les avaient accueillis. Cela laisse à réfléchir.
    Peut-on apporter une réponse qui ne soit pas porteuse d’espérance et de miséricorde?

  • Cril17 , 23 mai 2013 @ 16 h 45 min

    Monsieur l’abbé,

    Merci pour cette intervention que j’apprécie autant si ce n’est plus que la première, et dont j’ai fait la conclusion d’une tribune ouverte par ailleurs, sur cette mort qui nous bouleverse tous à des degrés divers !

    Aussi n’est-ce pas pour ajouter quoi que ce soit à ce que vous avez écrit que j’interviens ici, mais pour vous présenter une question à laquelle je n’ai encore trouvé aucune réponse satisfaisante, soit dans mes lectures, soit au cours de quelques rencontres avec des clercs éminents par la foi, la culture et l’intelligence que j’ai eu le privilège de pouvoir la poser !

    Vous avez écrit :
    ” ( Dominique Venner ) accepta d’ailleurs naguère, dans La Nouvelle revue d’histoire, de publier ma longue réfutation d’un de ses papiers sur les causes de la ruine de l’Empire romain.”

    Par association d’idées, vous me renvoyez à cette question qui me hante pour des raisons qu’il n’y a pas lieu de développer ici :
    :
    Comment expliquez-vous la ruine de la florissante chrétienté d’Asie Mineure ?

    Et coïncidence remarquable, juste avant de naviguer jusqu’ici, j’ai découvert cette très belle intervention publiée sur le salon beige :

    Extrait d’une méditation du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartolomaios Ier, à l’occasion du 1700ème anniversaire de la publication de l’Édit de Milan, à Milan, le 15 mai 2013 :
    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2013/05/la-pr%C3%A9tention-lucif%C3%A9rienne-de-la-d%C3%A9mocratie-moderne.html ?

    Or je commence à me demander si le processus auquel nous assistons aujourd’hui en France et en Europe Occidentale n’aurait pas quelques traits communs, mutatis mutandis, avec ce qui a pu se passer à l’Orient de Rome, bien après la chute de l’Empire Romain …

    Merci par avance pour la réponse que vous voudrez bien me faire, si la Divine Providence veut bien vous en accorder le loisir ! ..

  • Cril17 , 23 mai 2013 @ 16 h 49 min

    Erratum :

    … mais pour vous présenter une question à laquelle je n’ai encore trouvé aucune réponse satisfaisante, soit dans mes lectures, soit au cours de quelques rencontres avec des clercs éminents par la foi, la culture et l’intelligence à qui j’ai eu le privilège de pouvoir la poser !

  • Diex Aïe ! , 23 mai 2013 @ 16 h 54 min

    Exactement ! Souvenez-vous champoiseau des bonnes paroles du St Curé d’Ars concernant l’homme qui s’est suicidé en se jetant d’un pont…!
    Et c’est un horrible vilain méchant intégriste de la FSSPX qui vous dit cela…!
    De plus, Dominique Venner n’était pas catholique ni-même chrétien donc ce que vous pensez n’a absolument pas d’intérêt dans ce sujet…

  • degabesatataouine , 23 mai 2013 @ 18 h 13 min

    Et quand un commandant de bateau se laissait couler volontairement avec, ,souvent catholique et donc père d’une nombreuse famille,mettait-il en balance son honneur avec le bien être de sa famille?
    Plus je lis des coms de votre genre, plus je comprends devant cette apologie de la désertion ou de l’objection de conscience,(cette référence continuelle au respect de la vie),s’ajoutant à votre lutte en faveur de l’immigration, combien l’ennemi est beaucoup plus dangereux avec le catholicisme dit français qui frappe dans le dos ,qu’avec le Front de Gauche et que peut-êre les Mexicains n’avaient pas tort au moment des Cristeros..

  • degabesatataouine , 23 mai 2013 @ 18 h 22 min

    Eh bien ,avant même de cliquer sur votre lien certainement très instructif ,rien que le nombre de discussions sur ce site,surtout à propos de la loi Taubira, qui relèguent loin derrière la réputation de celles dites byzantines,je ne peux que souscrire à votre analogie avec la chute de l’Empire d’Orient .

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