Vers une nouvelle révolution chinoise ?

Le 15 novembre dernier, le monde a peut-être été témoin d’une de ces révolutions silencieuses qui marquent l’histoire de l’Humanité pour plusieurs décennies. La presse internationale, prudente peut-être, n’en a fait qu’un modeste écho. En France, bien sûr, elle est consciencieusement passée à côté pour s’attarder sur des histoires de bananes.

Et comme on pouvait raisonnablement s’y attendre, ce discret chambardement vient de Chine. Comme nous l’apprend une brève de Contrepoints, à l’issue d’une réunion du comité central du Parti communiste chinois, une liste de réformes a été livrée par l’agence officielle Chine nouvelle.

J’ai déjà évoqué, un peu, les mutations que traverse l’Empire du Milieu dans sa marche posée hors du communisme mortel qui précipita des millions de Chinois à leur perte après la seconde guerre mondiale, en remarquant notamment que, ces cinq dernières années, le rapport des autorités chinoises à l’or avait progressivement évolué au point que le pays en achète maintenant plus que tout autre, et que ses réserves, stockées par sa banque centrale, en sont difficilement estimables mais certainement bien supérieures aux 1054 tonnes officiellement détenues.

Ici, on comprendra qu’un pays qui concentre près de 20% de la population terrestre compte forcément un peu dans le concert des monnaies. À ce titre, tout changement de politique vis-à-vis de son Yuan impactera forcément l’ensemble de la planète à commencer par les économies occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis dont le dollar est massivement détenu par les autorités chinoises. Ainsi, l’augmentation drastique du stock d’or de la banque centrale chinoise peut raisonnablement montrer une volonté, pour le gouvernement, de se détacher de sa dépendance à la monnaie américaine, par exemple en proposant un Yuan convertible, voire, éventuellement, adossé à l’or.

Certains m’objecteront qu’une telle manœuvre provoquerait un décrochement du dollar et amoindrirait beaucoup la valeur des réserves chinoises ; je note cependant que les dirigeants chinois ont parfaitement compris que les petits exercices actuels de la Fed finiront par aboutir au même résultat. Le fait, pour ces derniers, de passer à une monnaie-or leur permet de conserver à la fois le contrôle du moment et de la quantité de dollars qui leur resterait sur les bras, ainsi que les conditions et le contexte international d’une telle opération monétaire. Finalement, mieux vaut perdre un peu selon ses propres termes que tout selon les termes d’un adversaire commercial dont les manipulations sont de plus en plus erratiques.

Et c’est tellement vrai que la Chine serait prête à contracter ses achats de pétrole directement en Yuan, ce qui revient de facto à amoindrir nettement la position du dollar comme monnaie unique pour les échanges énergétiques, et indique sans ambiguïté le rôle croissant du Yuan sur la scène internationale.

Si j’évoque cette question du Yuan, c’est parce que cette monnaie figure dans les sujets couverts par les réformes évoquées à la fin du dernier Plenum chinois. Pour les dirigeants chinois, il est temps d’envisager la convertibilité libre du Yuan sur les marchés des changes mondiaux. C’est, clairement, un pas vers la stratégie évoquée ci-dessus. Bien évidemment, les réformes s’étendent bien au-delà de ces considérations monétaires et c’est aussi cela que je veux évoquer dans les quelques paragraphes ci-dessous.

Ici, je pourrai m’étendre un peu sur la fin de la politique de l’enfant unique, ou l’abaissement de certaines barrières administratives aux mouvements de populations ; ces éléments amélioreront indubitablement la vie de tous les jours des Chinois, et c’est tant mieux : ce peuple mérite, lui aussi, de sortir enfin du communisme, et le sociétal est une étape indispensable. Mais la réforme qui m’apparaît bien plus importante (et qui fut quasiment passée sous silence par les médias français) est à mon avis celle qui concerne le rapport des citoyens chinois à la terre, et notamment à la possession agricole.

On apprend en effet que les agriculteurs se verront accorder des droits de propriété, pour posséder, utiliser et transférer les terres qu’ils cultivent. Mieux : ils pourront utiliser leurs droits de propriété comme caution pour des opérations financières. Voilà un changement profond, stupéfiant et fondamental de la façon dont fonctionne la Chine: jusqu’à présent en effet, toutes les terres agraires sont officiellement possédées par l’État, qui en cède la jouissance aux agriculteurs. On comprend ici qu’une telle réforme va provoquer un changement colossal dans le pays puisque, dans le principe, elle revient à donner un capital (la terre) à quasiment un milliard de personnes, capital qui pourra servir être investi de différentes façons.

Il ne faut pas se leurrer : le gouvernement chinois reste celui d’un pays communiste, d’essence totalitaire, dont le rapport à la transparence et à la sincérité est au moins aussi trouble que les gouvernements occidentaux actuels, ce qui n’est pas peu dire. L’importance de cette réforme devra donc être mâtiné d’une bonne dose de prudence, d’autant que, comme le remarque fort justement The Economist, les réformes concerneront aussi les entreprises d’état, monopolistiques, qui devront s’ouvrir à la concurrence et devront composer avec une Justice que le gouvernement chinois entend rendre aussi indépendante que possible. Il n’y a donc pas d’efforts à faire pour imaginer les réticences, les résistances plus ou moins farouches et les frictions peut-être violentes qui vont s’opérer dans les prochaines années dans l’Empire du Milieu.

Il n’en reste pas moins que la réforme légale des droits de propriété peut, très concrètement, transformer la planète : lorsqu’un milliard de personne accède ainsi au capitalisme, l’impact sur l’économie mondiale promet d’être énorme. On peut même noter, comme le fait justement James Gruber dans un papier d’Asia Confidential que ces profonds changements auront un effet possiblement négatif sur les marchés mondiaux, puisque la Chine va se transformer, d’une économie majoritairement productrice et exportatrice, en économie essentiellement consommatrice, avec une réduction notable de sa croissance : la période que nous venons de vivre pendant laquelle la Chine tirait l’économie mondiale en étant devenue l’usine du reste du monde est en train de s’achever et la nouvelle configuration mondiale promet de sérieuses remises en questions.

Devant ces bouleversements, il est de plus en plus consternant, par contraste, d’observer l’état de décrépitude et d’immobilisme français. Il est même douloureux de constater qu’un pays comme la Chine parvient progressivement à se réformer, et affirme de plus en plus fort, de plus en plus clairement que l’économie de marché fonctionne, qu’elle permet de faire sortir un nombre croissant d’individus de la pauvreté, et va même jusqu’à jeter une grosse poignée de capitalisme bien dodu vers une population qui en était privée depuis des décennies ; pendant ce temps, la France progresse dans le sens inverse, grignotant chaque jour la notion même de propriété privée (les lois Duflot en sont un exemple glacial, la rétroactivité des ponctions sur l’épargne en formant un autre aussi inique), allant même jusqu’à inculquer un culte du Tout-à-l’État et le mépris affiché du monde de l’entreprise à toute une génération d’élèves, au travers d’une propagande grossière et stérilisante.

Indubitablement, les prochaines décennies verront le monde changer dans des proportions que peu sont en mesure d’appréhender ; et il suffit de parcourir les petits articles de la presse franchouille sur le sujet chinois pour se rendre compte qu’au moins, la population française sera sagement rangée à l’abri de tous ces changements, aussi bénéfiques soient-ils : l’intelligentsia veille et ne leur en parlera pas, de peur de les choquer.

La Chine, tous les jours, sort un peu plus du communisme. Mais tout va bien : pour compenser, la France a heureusement choisi le chemin inverse.

> h16 anime le blog hashtable. Il est l’auteur de Égalité taxes bisous.

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29 Comments

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  • baldag , 24 novembre 2013 @ 11 h 20 min

    La Chine ira très loin. Son peuple est plus créatif et travailleur qu’on ne le pense d’autant que nous lui avons transféré une bonne part de notre technologie pour obtenir des marchés.

    Je pense que si des jeunes gens veulent s’expatrier, ce doit être vers ce pays qui sera aussi un rempart contre la propagation de l’islam.

    Avec un gouvernement communiste, il y a une inconnue…Mais la grande partie du peuple chinois qui est dans la misère se rend compte que ceux des leurs qui travaillent dans l’industrie gagnent nettement mieux : elle va progressivement faire pression.

    L’occident et en particulier l’Europe a du souci à se faire et il est grand temps que nos dirigeants se remuent pour prendre le bon chemin. J’avais eu au téléphone en direct sur une radio locale le secrétaire général de FO et lui avait parlé de l’essor chinois : manifestement, il n’avait rien compris et surtout ne voulait rien entendre : il avait des revendications à formuler et à défendre, disait-il!

  • g nos , 24 novembre 2013 @ 11 h 20 min

    restez couvert Gérard

  • Catoneo , 24 novembre 2013 @ 14 h 55 min

    La Chine atteint certains blocages qui vont la freiner. La pollution en est un.
    Voici un lien qui permet de connaître les taux de pollution instantanés sur toutes les villes chinoises (et Hong Kong).
    C’est l’AQI (Air Quality Index). Son barème est détaillé en bas de la page d’accueil.

    http://aqicn.org/

    Hier, Wuhan était à 359 !
    C’est un des 3 fours de la Chine, l’atmosphère n’y circule pas.

  • pi31416 , 24 novembre 2013 @ 15 h 44 min

    “il faut aussi se rendre compte que tout texte écrit en idéogrammes chinois peut se lire dans toutes les langues du monde ”

    … à condition de savoir les idéogrammes chinois… et chaque langue du monde où vous prétendez les savoir lire.

  • de Kercohan , 24 novembre 2013 @ 17 h 09 min

    Cet article me fait penser à cette autre révolution, technologique celle-là, qui est en train de se passer mais qui ne semble pas intéresser les Français : il s’agit de l’imprimante 3D qui va mettre à bas toute l’infrastructure d’unités de production, d’un tas d’ateliers et d’artisans-commerçants-vendeurs au détail qui ont déjà de gros problèmes dans un système classique parfaitement connu, et dont on peut imaginer l’impréparation totale, et l’étonnement futur, devant cette découverte.
    On va encore dire que je suis pessimiste…

  • hermeneias , 24 novembre 2013 @ 18 h 29 min

    Et nous y voilà avec des analyses de boutiquiers gagnent petit , du genre sorti d’HEC ou d’une quelconque école de comm-erce et le vernis culturel minimum estimé pour emballer le “produit” et vendre sa daube et ferrer le poisson .

    Voilà , avec cet article , l’alliance des libéraux ou “liberals” et des facho-communistes . Cela fait longtemps que les petits fistons à papa voulant “réussir” se sont rués tel un seul homme qui en Chine qui à Dubai comme et avec tout un tas de grandes marques de luxe sans scrupules faisant des marges pas possible , les affaires sont les affaires , comme les fabriquant de génériques et tout un tas de produits de mauvaise qualité que nous payons au prix fort et dont la durée de vie et de plus en plus faible …..

    Voilà longtemps que nos politiques courent la langue pendante pour avoir des contrats en Chine et chez les “zémirs” avec sans doute dessous de tables ….

    Et voilà que l’on nous annonce la “Bonne Nouvelle” quasi divine , pour Noel , du communisme qui se réformerait tout seul par la grâce du marché ….Cela marche trop bien .comme ça

    C’est oublier le greed et la cupidité . Comme si le fair-play et l’altruisme étaient naturels .
    Il y a là des présupposés philosophiques bien discutables plus ou moins conscients .
    Je ne sais pas si on réfléchit vraiment à HEC ou sup de “comm” ( euh sup de co pardon )

  • hermeneias , 24 novembre 2013 @ 19 h 12 min

    erratum : gagne-petits

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