Turquie, Russie… L’Europe ne sait plus où elle habite

Qu’il est parfois cocasse, amusant et tragique d’exhumer les déclarations des journalistes et des politiques de ces 20 dernières années concernant la Turquie et son homme fort, Recep Tayyip Erdogan, et de les comparer à celles concernant la Russie et Vladimir Poutine. Les deux hommes sont arrivés au pouvoir à un an d’intervalle, respectivement en 2003 et 2002. Le premier fut encensé considéré comme l’avenir des états musulmans, construisant une démocratie islamiste comme il y avait en Europe une démocratie Chrétienne. Le second devenait l’autocrate, le mafieux, l’assassin de journaliste, le diable. Aujourd’hui par un effet de balancier médiatique, l’autocrate russe a jeté bas le masque du Sultan du Bosphore, quant à ses relations troubles avec Daesh, et au véritable projet néo-ottoman qu’il caresse. Silence gêné en Europe, où l’on continue, depuis 1986, d’arroser le pays de milliards de « fonds structurels » européens dans l’optique d’une adhésion de ce pays à laquelle plus personne ne croit sérieusement. De l’autre côté, on continue à étouffer la Russie de sanctions économiques que l’on promet de lever « à l’été », comme l’a dit récemment notre nouvelle coqueluche des médias avec ou sans barbe Emmanuel Macron. On tirera le bilan de cette politique de confrontation avec la Russie, et l’on jugera des accommodements avec la Turquie en temps utiles, mais il apparait déjà que le proche Orient n’est pas prêt de refroidir, en grande partie du fait de l’incurie des chancelleries européennes.

Imaginons que, dans le meilleur des scénarios, Daesh en Irak et en Syrie voit pour lui sonner le glas, que fera-t-on ? Allié aux kurdes, que la Turquie ne peut pas voir en peinture, nous leur dirons simplement « merci » en leur serrant la pince avant de les inviter à retourner dans leurs régions autonomes ? Les principaux intéressés n’en seront pas d’accord, mais si on essaye autre chose, le sultan du Bosphore sera surement vent debout contre une quelconque reconnaissance d’un état kurde. Ensuite, nous quitterons ce théâtre pour mieux aller combattre les métastases de l’Etat islamique en Lybie ? Nous sommes prisonniers de cet « effet cliqué » qui fait qu’un conflit chasse l’autre depuis les guerres d’Afghanistan et d’Irak, parce que nous sommes incapables de regarder en face l’entremêlement de conflits entre puissances régionales et visions ethnico-religieuses du monde. Il n’y a rien qui ressemble à un début de stabilisation de la région, quand on prend en plus en considération l’opposition Iran/Arabie Saoudite de plus en plus marquée. La Turquie va devenir un problème. Un problème que nous aurons financé par faiblesse et aveuglement. Récemment encore, sous l’impulsion de la chancelière allemande qui ne peut s’aliéner la diaspora turque, l’Europe a grassement payé ce pays pour qu’il gère mieux les flux de réfugiés, et a ouvert un nouveau chapitre d’adhésion à l’UE. En d’autres temps on aurait appelé ça du chantage, et le Sultan du Bosphore jouit de ce grand renversement historique, puisqu’aujourd’hui les puissances européennes lui mangent dans la main, alors qu’un siècle plus tôt, par les accords Sykes-Picot du 16 mai 1916, elles lui imposaient le démantèlement de l’Empire ottoman. Le symbole est fort même si nous manquons de perspective historique pour nous en rendre compte.

De l’autre côté du spectre, l’Europe croupion continue de gesticuler face à la Russie, pourtant elle est indubitablement dans le même camp que nous contre l’EI. Pourquoi ? Seconde cause, l’Atlantisme forcené de nos élites. La Turquie membre de l’OTAN et protégée de Washington ne saurait être mise en accusation par des européens incapables d’agir sans le secours de de la bannière étoilée. Aux Etats-Unis, les sentiments anti russes sont encore assez forts pour que le gouverneur de l’Ohio et candidat à l’investiture républicaine déclare, le 15 décembre dernier : « Il est temps de donner un coup de poing sur le nez des Russes. Nous devons nous tenir droit face à eux. ». On l’attend encore concernant la Turquie d’Erdogan. Nos dirigeants, incapables de comprendre les dimensions historiques et théologiques des conflits en cours applique des recettes de guerre froide là ou au contraire, le réalisme incombe de nous faire de la Russie un allié. En effet, cette affaire Criméenne est un leurre commode pour justifier des souffrances infligées à nos agriculteurs et au peuple russe par nos sanctions et notre intransigeance. Nous sommes allés rattacher à la civilisation européenne par des artifices de langage, un pays contre lequel elle s’est construite, et nous en faisons sortir un issu de la même matrice que nous.
On se souvient des quelques politiciens qui n’ont pas fermés les yeux face à la Turquie, ceux-là même qui furent frappé d’anathème médiatique et politique, taxés de crypto-racisme, et de ceux qui ont toujours plaidé pour un pour un rapprochement avec la Russie, taxés de crypto-pétainisme. Avec l’élection qui se profile aux Etats-Unis, et qui pourrait bien opposer un milliardaire démagogue à une harpie néoconservatrice, on ne voit pourtant guère quel secours attendre d’outre-Atlantique dans la compréhension de la complexité du monde.

Il y a un vœu que l’on peut formuler pour ce triste anniversaire des accords Sykes-Picot, morts un siècle après leur naissance. C’est qu’enfin le mot européen coïncide avec une réalité historique et civilisationnelle et non à des constructions supranationales impotentes, et que ce mot vide « d’occidentaux » soit jeté aux orties comme une relique d’une guerre froide qui n’a plus lieu d’être. Il est grand temps que notre politique étrangère ne se borne plus à une diplomatie des apparats et des contrats.

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7 Comments

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  • 0 / 10
  • HuGo , 25 janvier 2016 @ 12 h 51 min

    La Russie devrait être un allié.
    Nous ne sommes pas ennemis des USA, mai nous ne pouvons accepter de nous conduire en vassal.
    La Turquie est un ennemi potentiel.

  • sportman , 25 janvier 2016 @ 13 h 52 min

    LE PLUS …DANGEREUX ……C’est PAS DAESH….MAIS…ERDOGAN LE TRAÎTRE DE NOTRE Planètes……..CETTE……ORDURE..? AVEC
    mes amis on Espères que le ….PKK…L’enverra là ou il ne reviendra…..
    …JAMAIS…? SI LES CLOWNS…QUI DIRIGENT L’EUROPE L’ACCEPTE DANS…L’ UE…..JE VOUS PARI…Que L’EUROPE CE SERA….KAPOUT???…ON REPRENDRA NOS DROIT DE….Frontière
    ET NOTRE Liberté de ….PENSER EN VRAI …..Français….ET NOTRE
    MONNAIE…..LE FRANC….QUEL BONHEUR…VIVE MA FRANCE QUE J’AIME??..Je ne Parle pas des GAUCHOS et des RIPOUXBLICAINS…CAR ILS SONT LES Traîtres de notre Belle FRANCE……2017….LE TRIBUNAL ET LA GUILLOTINE …TRANCHERONS?….(des têtes??????)?

  • stephanie , 26 janvier 2016 @ 1 h 23 min

    Propagande pro Russe , !! le dictateur milliardaire va en guerre poutine est entrain de ruiner son pays économiquement , espérons que le même sort que tsar Russe lui soit réservé , la poutine mania des facho d’extrême droite du net venus de chez Soral auras une fin…..

  • magellan , 26 janvier 2016 @ 8 h 36 min

    Nous ne sommes pas ennemis des USA nous n’en avons pas les moyens. mais les USA ne sont pas nos amis non plus .
    Quand a la Turquie pas de doute la dessus

  • Sirius , 28 janvier 2016 @ 1 h 54 min

    Propagande pro Russe,Stéphanie? Peut-être,mais ça fait équilibre avec le torrent anti-Poutine des médias nationaux? En tout cas je préfère traiter avec un russe qui me ressemble par la culture qu’avec un turc musulman qui n’a cherché,au long des siècles,qu’à investir l’Europe par la force et dont le jeu ne parait pas très clair au Moyen-Orient.

  • radabouel , 30 janvier 2016 @ 19 h 43 min

    D’abord, il serait temps qu’on arrête de nous vendre la soi-disant annexion de la crimée. La Crimée, a été “offerte” dans les années 50 à l’ Ukraine, en pleine dictature communiste. Poutine n’a fait que récupérer un territoire qui appartient à la Russie depuis des siècles, sans un coup de feu, et franchement, qui s’en plaint sérieusement aujourd’hui ? Pour l’Est ukrainien et ses 9000 morts, c’est une autre affaire.

  • radabouel , 30 janvier 2016 @ 20 h 01 min

    Poutine s’est rendu en 2014 en Normandie, car invité aux commémorations de la guerre 39/45; il s’y est fait sifflé, par des gens du peuple de France, nourrit à la propagande anti-russe de nos médias subventionnés, aux ordres du pouvoir. Mais il est venu.
    Hollande, invité par la Russie aux commémorations des 70 ans de la victoire de 1945, a refusé de s’y rendre sous prétexte de crise ukrainienne (à l’instar de la Chancelière). Les russes ont laissé plus de 20 millions de morts dans ce conflit, l’armée allemande a perdu 85 % de ses effectifs sur le sol soviétique. Sans nier le rôle des américains dans la victoire de 39/45, il faudrait peut-être ne pas perdre de vu le rôle majeur de l’URSS dans ce conflit. Et surtout ne pas mélanger la politique et l’histoire. Quelle honte pour la France. Un peu de respect pour le peuple russe svp.

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