Marc Crapez : “La seule audace de F. Hollande fut donc de dire : ‘une cible était une église’. Comme si cela avait été une cible parmi d’autres !”

Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur l’actualité politique de la semaine écoulée.

Pourquoi Hollande a-t-il transformé ce coup de chance en opération déjouée par nos services ? Pour justifier le projet de loi sur le renseignement ? Pourquoi si peu de médias ont-il attaqué ce mensonge ?

L’idée flatteuse de l’attentat « déjoué » n’a pas été avalisée par Libération, Ouest-France, 20 Minutes, ainsi que la presse en ligne. A contrario, la presse pro-business, de L’Express aux Échos, s’est montrée conciliante. Peut-être par crainte de déroger à l’esprit Charlie d’union nationale et d’être sur la même ligne que Marine Le Pen.

La manipulation de Hollande est, en fait, distincte de la promotion de sa loi sur le renseignement. Sa tentative de récupération est double : d’une part, tirer les marrons du feu du travail antiterroriste de la police, d’autre part, présenter comme adaptée à la situation sa nouvelle loi. Son exploitation politicienne du travail antiterroriste correspond à un souci d’affichage médiatique.

Sous Sarkozy, l’anti-terrorisme n’était médiatisé qu’en cas de passage à l’acte. Alors que dans l’entre-deux tours des élections municipales, le 26 mars 2014, fut rendue publique l’interpellation d’un islamiste datant du 11 février… Cette fois c’est, bizarrement, le patron de la DGSE (opérations extérieures) qui confirme que la DGSI (contre-espionnage) aurait récemment déjoué plusieurs autres attentats…

“La loi sur le renseignement, qui consiste à détecter les djihadistes potentiels en amont, sur Internet, n’est guère adaptée. Mieux vaudrait les laisser partir, puis leur fermer nos frontières au retour.”

Quant à la loi sur le renseignement, qui consiste à détecter les djihadistes potentiels en amont, sur Internet, elle n’est guère adaptée. Mieux vaudrait les laisser partir, puis leur fermer nos frontières au retour. En outre, cette loi ne prévoit pas de sanctions contre un pouvoir qui l’instrumentaliserait à des fins de répression politique.

Alors que le gouvernement semblait concentré sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, les paroles de Manuel Valls ont étonné les chrétiens… Cette affaire permettra-t-elle un début de réconciliation ? L’insistance de François Hollande concernant l’ambassadeur de France au Vatican ne risque-t-elle pas de ruiner cette tentative ?

Il faut distinguer les positions respectives de Hollande et de Valls. Le président de la république applique dogmatiquement une variante du « ni oui, ni non », qui consiste à ne nommer ni les musulmans ni les chrétiens. Sa seule audace fut donc de dire : « une cible était une église ». Comme si cela avait été une cible parmi d’autres !

Le premier ministre, de son côté a parlé d’attentats « évités » (et non pas déjoué) et a distinctement défendu les chrétiens. Du coup, il a jugé prudent de ne désigner que le terrorisme tout court, au lieu du terrorisme islamiste comme il l’avait fait en janvier. Courageux mais pas téméraire… Il faut dire que l’extrême-gauche l’a aussitôt accusé de déroger à la laïcité. Valls vient aussi de marquer son souci de réconciliation en exprimant sa sollicitude pour le drame des chrétiens d’Orient.

Faut-il croire la famille du terroriste qui affirme n’avoir rien vu venir ?

Je ne sais pas, mais il y a du double-langage. La sœur du suspect déclare que son frère a « toujours été droit », mais on apprend qu’il avait falsifié ses bulletins de notes pour pouvoir s’inscrire à l’université et même toucher une bourse et obtenir un logement dans une résidence universitaire à Paris. Cet abus s’inscrit dans une série d’anomalies.

La détention d’un arsenal pose la question du trafic d’armes en général et, en particulier, la question de l’extension des possibilités de fouille des coffres de voiture. En 2003, les élites critiquèrent la loi sur la sécurité intérieure de Sarkozy et notamment sa disposition sur l’extension des possibilités de fouille des coffres de voiture. Un sondage, publié par Libération, indiquait, qu’en revanche la vox populi y était favorable à 75 %.

“On se demande aussi comment le suspect a pu venir en France au titre du regroupement familial, en 2009, alors qu’il était déjà majeur.”

On se demande aussi comment le suspect a pu venir en France au titre du regroupement familial, en 2009, alors qu’il était déjà majeur. Là encore, Sarkozy tenta de restreindre le regroupement familial et fut critiqué à ce sujet, tant en 2006 qu’en mars 2012. De même, la tentative de Claude Guéant de restreindre le nombre d’étudiants étrangers par des critères plus sérieux rencontra l’hostilité des élites. Manuel Valls ne s’était-il pas glorifié d’avoir abrogé cette mesure ?

On apprend, enfin, l’arrestation de la compagne du suspect qui, selon les témoignages, était « la seule femme à porter la burqa dans le quartier ». Faut-il rappeler que les socialistes s’opposèrent à la loi contre la burqa dans l’espace public, qui n’est d’ailleurs guère appliquée ?

Cette capture d’un terroriste islamiste pose-t-elle la question de la pertinence de l’espace Schengen ? Des accords avec l’Algérie concernant les études ?

Vous risquez de céder à l’esprit de système. Il faudrait réformer Schengen, c’est sûr. Mais l’adage le dit, Charbonnier est maître chez lui. Les exemples susmentionnés, fouille des coffres de voiture, regroupement familial, statut d’étudiant étranger, burqa, forment un terreau propice. La responsabilité incombe aux élites bobo, qui sacrifient le bien commun sur l’autel de l’extension des libertés individuelles.

On ne maîtrise pas les événements, on ne peut se prémunir entièrement du terrorisme. Mais les défaillances ne viennent pas prioritairement de la police. Elles proviennent des idéologies qui sapent le sens civique en hurlant à la délation et au sécuritaire. Elles proviennent de la société civile qui cultive l’indifférence, des administrations qui rechignent à coopérer avec la police.

Un dernier point mérite d’être souligné. On constate, une fois de plus, qu’un terroriste de petite envergure est en mesure de faire beaucoup de dégâts. Qu’il est difficile de dénouer l’écheveau des influences respectives d’Al Qaïda et de Daesh. Qu’il est absurde, enfin, de répéter qu’ils ont une vocation de martyr : si tel était le cas, ils choisiraient l’efficacité de la ceinture d’explosifs portée par les Human bombs du Proche-Orient.

> la page Facebook de Marc Crapez

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