Poutine a-t-il gagné en Syrie ?

Depuis son désengagement en Afghanistan en 1989, la Russie n’avait cessé de reculer et de subir l’humiliation d’une action unilatérale des Etats-Unis et de leurs alliés jusqu’à ses portes, chez ses anciens partenaires arabes et dans les nouveaux Etats issus de l’effondrement du bloc soviétique et de la dislocation de l’URSS. Ce recul demeure profond en Europe puisque la Pologne et les pays Baltes, ces derniers membres de l’Union Soviétique entre 1945 et 1991, la première évidemment partie prenante du Pacte de Varsovie, ont rejoint l’OTAN. Des soldats français sont actuellement présents en Estonie. Cette présence de soutien à un petit pays qui se sent menacé par un Empire auquel il a appartenu avant la Grande Guerre et après la seconde n’est pas très amicale envers la Russie qui n’a sans doute pas la moindre velléité d’agression à son encontre. Les Pays Baltes ont une identité forte, malgré la présence de minorités russophones importantes. Le cas est différent pour l’Ukraine, qui présente deux caractéristiques propres. D’abord, on peut considérer Kiev comme le berceau de la Russie elle-même avec le puissant Etat dont le souverain donna sa fille en mariage au roi de France Henri Ier en 1051. Par la suite, elle disparut de l’histoire, soumise aux Mongols, puis aux Lituaniens et aux Polonais, annexée enfin par la Russie à son tour devenue un Empire dominateur. Cette annexion ne concerna pas la Galicie ( Lviv-Lvov-Lemberg) qui, sous l’Autriche-Hongrie, cultiva sa spécificité notamment grecque-catholique. Si l’on ajoute que le génocide stalinien de l’Holodomor contre le grenier à blé ukrainien et le développement industriel du Donbass ont amené en Ukraine, et dans l’Est surtout, une population russe considérable, on comprend que la seconde caractéristique de ce pays est la diversité d’Ouest en Est, de la Galicie nationaliste au Donbass prorusse. Cela explique les basculements politiques qui après Maïdan ont amené un gouvernement pro-occidental à Kiev. En réaction, la Crimée revenait au nom de la légitimité historique et selon le choix de ses habitants à la Russie et deux Républiques faisaient sécession dans le Donbass. La bonne solution aurait été un Etat Fédéral, trait d’union entre Russie et Europe. Le choix du désastreux Obama a été comme partout ailleurs d’enliser le conflit au point de léguer à Donald Trump l’un des points les plus chauds de la planète, l’un de ceux où un conflit entre la Russie et l’Otan pourrait se produire. L’Ukraine a vu se produire une de ces « révolutions » de couleurs qui étaient censées amener la démocratie, et qui apportaient surtout l’influence des Etats-Unis et de leurs amis. Parfois, lorsque la guerre civile prenait le pas sur la révolution,  ces amis devenaient douteux puisqu’il s’agissait de groupes islamistes, comme en Bosnie ou au Kossovo. La Russie a donc assisté, impuissante, au recul de ses cousins culturels serbes, puis à l’effondrement de l’Irak et de la Libye, qui avaient été les alliés de l’URSS. Le Printemps Arabe, une fois encore soutenu par Obama et ses comparses occidentaux avait promis la démocratie et réalisé au contraire le retour d’un islamisme totalitaire. Il était temps de mettre fin à cette dérive. Poutine, qui avait fourbi les armes de la Russie pendant qu’elle avalait les dernières couleuvres, rentra en scène en Syrie en 2015.

Il s’agissait pour Moscou d’inverser le cours des choses. Se sentant menacée sur son front occidental, accablée de sanctions injustes après le retour de la Crimée, la Russie a visé trois objectifs. D’abord, sauver le régime baassiste de Bachar Al-Asssad , l’un de ses derniers alliés sûrs et les bases qu’elle détient pour sa marine et son aviation sur le territoire syrien, ensuite retrouver sa place de grande puissance mondiale autrement que par des veto au Conseil de Sécurité, enfin, bloquer à la source l’expansion djihadiste qui la menace au travers de sa forte minorité musulmane, et qu’elle combat dans le Caucase. Vladimir Poutine, qui a pour ce faire, déployé une stratégie militairement implacable, et diplomatiquement souple, avec l’écrasement des islamistes à Alep et avec le lancement des pourparlers d’Astana, a été le maître du jeu. Le pouvoir syrien s’est maintenu. L’armée syrienne a entrepris la reconquête du pays. Les trois plus grandes villes sont contrôlées. Les trois derniers secteurs hostiles sont affaiblis : Deir Ez-Zor encore aux mains de l’Etat Islamique qui y encercle des unités loyalistes, est visée par une triple offensive, venant au Nord de la province de Raqqah, au Sud le long de la frontière irakienne et au centre de Palmyre. La province d’Idlib, près de la Turquie, voit les factions rebelles se déchirer entre Ahrar Al-Cham et Tarhar Al-Cham. Faut-il y voir la poursuite du conflit entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, entre les Frères Musulmans et Al Qaïda ? Manifestement, la politique occidentale a conduit par ses soutiens irresponsables, confus et velléitaires, au chaos dans le camp de la rébellion. En annonçant la fin de l’aide américaine aux rebelles du sud qui opèrent le long de la frontière jordanienne, Washington montre bien que son souhait est désormais d’en finir. C’est pour cette raison que les milieux bellicistes américains renforcent les pressions sur Donald Trump, suspecté de contacts avec la Russie, quand ceux-ci apparaissent manifestement comme les principaux facteurs de paix et l’expression même du bon sens.

Vladimir Potine a des cartes en mains. Il ne les a pas toutes. La Russie n’est plus l’URSS. Economiquement, elle est encore fragile. Son jeu est habile avec la Turquie, fait à la fois de soutien et de blocage.  Ses relations avec les Kurdes, aussi subtiles que celles des Américains, avec lesquels une sorte d’alliance de fait existe sur ce terrain, ne sont pas dénuées de calculs. L’existence d’un axe chiite de l’Iran au Heisbollah libanais, en passant par « l’allié » irakien des Occidentaux constitue à la fois une alliance de poids pour la Russie, et une menace pour cette région en raison notamment des craintes fondées d’Israël. Le puzzle de la carte syrienne reprend forme, mais la partie n’est pas encore gagnée. L’abandon par la France du préalable du départ du Président syrien à toute solution est l’un des derniers points marqués par le Président russe. C’est aussi un point marqué pour la paix et le retour de la Syrie à une vie normale.

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