La laïcité n’est pas une religion !

Face à la montée des revendications communautaristes, le gouvernement invoque souvent le même leitmotiv : il faut réaffirmer la laïcité dans les écoles comme dans les services publics, afin de garantir à tous la pleine liberté de ses droits tout en préservant la neutralité de l’espace public, seule condition du vivre ensemble. Vincent Peillon s’est d’ailleurs fait une spécialité de ce discours-là, dans la pure tradition de la « foi laïque » de Ferdinand Buisson (1), maître à penser de la doctrine anticléricale sous la IIIe République, auquel notre ministre avait d’ailleurs consacré un ouvrage (2).

L’intention peut paraître légitime à première vue tant il est vrai que le communautarisme devient un problème majeur de société, que ce soit à l’école (habillement spécifique, refus de suivre tel ou tel enseignement, menus adaptés aux prescriptions religieuses dans les cantines), à l’hôpital (refus de voir un médecin homme ausculter une patiente) à la piscine (exigence d’horaires séparés homme/femme) ou encore dans certains quartiers (prières de rue).

Mais il est dangereux d’invoquer systématiquement la laïcité face à ces empiétements. Parce qu’on oublie que dans l’esprit de certains hommes politiques, la laïcité n’est pas qu’un mode d’organisation pratique du pluralisme religieux destiné à préserver la cohésion sociale mais une idéologie sectaire qui s’apparente à « une véritable spiritualité » (3), pour reprendre les propos de Vincent Peillon, ayant vocation à supplanter dans l’espace public le fait religieux dès lors confiné au secret des consciences.

“A-t-on affaire à une simple neutralité de l’espace public destinée à préserver la paix sociale, ou à une idéologie visant à exercer un pouvoir liberticide sur les consciences ? C’est ici que se situe le glissement de la pensée politique vers le laïcisme, dès lors érigé en religion d’État.”

Dans son essai au titre extrêmement révélateur – Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, le futur ministre écrivait : « La laïcité est un principe de tolérance, certes, mais plus encore de philosophie positive (…), c’est une religion ». Et plus loin : la laïcité est « la religion de toutes les religions, de toutes les confessions, la religion universelle ». Une fois nommé au gouvernement, Vincent Peillon n’a pas hésité à renchérir : « il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société » estimait-il dans le cadre d’un entretien au JDD destiné à promouvoir une « morale laïque » (4).

A-t-on affaire à une simple neutralité de l’espace public destinée à préserver la paix sociale, ou à une idéologie visant à exercer un pouvoir liberticide sur les consciences ? C’est ici que se situe le glissement de la pensée politique vers le laïcisme, dès lors érigé en religion d’État. Car personne ne conteste qu’il faille certaines dispositions pour garantir une universalité des services publics. En effet, que dirait-on d’une armée française qui comporterait en son sein des soldats identifiés comme chrétiens, musulmans, juifs ou athées, se revendiquant comme tels dans le cadre de leurs fonctions et reconnaissables à un uniforme spécifique ? Ce serait la fin du creuset de la nation et la porte ouverte aux factions de toutes sortes. De même pour de nombreuses fonctions publiques où une obligation de réserve par rapport aux convictions politiques et religieuses de chacun est destinée à préserver l’universalité de l’action de l’État.

Mais pourquoi faire d’un mode de régulation pratique du pluralisme une valeur quasi-religieuse ? Il est dangereux pour la liberté religieuse d’idolâtrer la laïcité.

1. Ferdinand Buisson : La foi laïque, 1912.
2. Vincent Peillon, Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Seuil, 2010.
3. « La laïcité serait plus forte aujourd’hui si on la concevait […] comme une véritable spiritualité » expliquait Vincent Peillon, en marge de la présentation de son ouvrage La Révolution française n’est pas terminée, Le Seuil, Paris, 2008.
4. Interview au JDD, 1er septembre 2012.

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79 Comments

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  • Luc+ , 26 septembre 2013 @ 13 h 30 min

    Vous l’avez dit ça FONCTIONNAIS avant ! ya longtemps !

  • Michel THYS , 26 septembre 2013 @ 16 h 02 min

    En effet, « la laïcité n’est pas une religion ! ». Mais pourquoi alors Vincent Peillon a-t-il qualifié, à tort, la laïcité de « religion », et même de « religion des religions » et pourquoi a-t-il parlé de « foi laïque » ? Pourquoi ne pas avoir écrit « confiance dans l’aptitude de l’être humain à s’émanciper de ses conditionnements éducatifs et culturels, du moins s’il est placé dans un environnement favorable ? Serait-ce dû à une influence précoce et inconsciente de sa mère qui était juive, ou à celle de Ferdinand Buisson, qui était croyant comme presque tout le mode à son époque (mais antidogmatique et et anticlérical), ou encore au souvenir des Constitutions d’Anderson de 1723 ? (« (…)  il est maintenant considéré comme plus opportun de seulement les soumettre (les Maçons) à cette ,RELIGION que tous les Hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, qui consiste à être des Hommes Bons et Honnêtes ou Hommes d’Honneur et de Sincérité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de concilier une véritable Amitié parmi des Personnes qui auraient dû rester perpétuellement Éloignées. »

    En France (Charles Beigbeder en témoigne !), on ne connaît hélas que la laïcité « politique », séparant l’Etat et les religions, mais ce modèle profite en fait à toutes les religions, surtout à l’islam.
    En effet, cette religion exploite de plus en plus l’actuelle conception laxiste et électoraliste de la tolérance et de la neutralité pour réclamer et obtenir de plus en plus de revendications inspirées par la charia. Si elle n’est que politique, la laïcité est donc paradoxalement favorable au prosélytisme et au communautarisme religieux !

    Sans le dire clairement, Vincent Peillon l’a bien compris et tente heureusement de s’inspirer, en l’améliorant, de l’expertise de la Belgique, où un cours de morale laïque (= non confessionnelle) existe depuis 1958.
    Dans ce pays de tradition catholique (bien qu’en perte de vitesse), le principe de laïcité n’est toujours pas inscrit dans la Constitution, mais on y défend une laïcité « philosophique », certes anticléricale et antidogmatique mais pas antireligieuse, puisqu’elle prône un choix libre et éclairé entre croyance et incroyance. Hélas, l’humanisme laïque est occulté par toutes les religions, il est rétif à tout prosélytisme et il est donc encore très loin de proposer une alternative non confessionnelle susceptible de faire découvrir qu’il existe aussi une spiritualité laïque capable de donner un sens non religieux à l’existence.

    Charles Beigbeder n’a manifestement rien compris à la laïcité lorsqu’il y voit « une idéologie sectaire qui s’apparente à « une véritable spiritualité », « ayant vocation à supplanter dans l’espace public le fait religieux dès lors confiné au secret des consciences », et « visant à exercer un pouvoir liberticide sur les consciences. Renvoyer,aux laïques, faute d’arguments pertinents, les reproches que ceux-ci font aux religions est simpliste et relève à mes yeux de la « mauvaise foi » !

    Et pour cause : toute éducation religieuse précoce, confortée par un milieu croyant unilatéral, laisse des traces souvent indélébiles dans le cerveau émotionnel, dès l’âge de trois ans, puis dans le cerveau rationnel, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect : les scientifiques croyants en témoignent. En outre, les religions, surtout l’islam, imposent la soumission à un dieu (qui n’a jamais donné le moindre signe concret de son existence réelle et qui n’a donc logiquement qu’une existence subjective, imaginaire et donc illusoire), et à un prophète (qui n’a jamais rien écrit et qui n ‘a certainement jamais dit tout ce qu’on lui a fait dire dans des textes « sacrées » manipulées au cours des siècles !).

    À notre époque multiculturelle et multiconvictionnelle, la religion n’a plus rien à faire à l’école, sauf lors d’un cours d’histoire ou de philosophie. Il n’est pas admissible notamment que des élèves musulmans, soutenus par leurs parents, contestent par exemple l’enseignement de l’évolutionnisme, au profit de celui du créationnisme, qui n’est qu’une croyance religieuse.
    Il était indispensable que, via la Charte de la Laïcité du ministre Vincent Peillon, l’Etat cherche enfin à compenser les influences religieuses familiales, certes sincères et légitimes, mais unilatérales, communautaristes, voire fondamentalistes et islamistes.

    L’Etat, à mon sens, devrait même ne plus tolérer sur son sol que l’islam et a fortiori l’islamisme imposent, dès l’enfance, sans alternative ni religieuse ni bien sûr non-confessionnelle et sans droit à l’apostasie, la soumission totale à Allah, à Mahomet, au coran, à la sunna, aux hadiths, voire à des traditions culturelles inhumaines et obsolètes telles que l’excision (au mépris de l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948!). En outre, cette religion et sa dérive politique islamique ont la prétention d’imposer, à terme, la charia au monde entier, et l’islamisation progresse !

    La laïcité (bien comprise) n’a pourtant pas pour but de « supplanter le fait religieux ». Au contraire, elle prône un enseignement pluraliste fournissant idéalement à TOUS les adolescents une information minimale, objective, progressive et non prosélyte, à la fois sur les principales religions (un minimum de culture religieuse, notamment artistique, fait partie de la culture générale) ET sur les options non confessionnelles de l’humanisme laïque, en leur proposant de découvrir et de respecter les valeurs humanistes, « universalisables », « sacrées », non négociables, parce qu’acceptables par tous et partout, telles que la dignité et l’égalité de l’homme, de la femme et de l’enfant, leur autonomie, et donc leur liberté de conscience, de religion, de pensée, etc. Notamment par la méthode des “dilemmes moraux de Lawrence Kohlberg”.

    Merci pour vos commentaires.
    Michel THYS, à Ittre, en Belgique.
    http://michel.thys.over-blog.org/article-une-approche-inhabituelle-neuroscientifique-du-phenomene-religieux-62040993.html

  • Christophe , 26 septembre 2013 @ 17 h 00 min

    En France, la Laïcité est La religion d’État. nous observons de nombreuses dérives du laïcisme.

  • kanjo , 26 septembre 2013 @ 17 h 27 min

    parce que laïcité, dans le langage socialiste, cela veut dire anticatholicisme primaire et haine de l’Eglise.
    Ce qui n’a aucun rapport avec la vraie laïcité, qui est le respect de toutes les religions. Encore cette version entraine -t-elle un relativisme par très catholique, mais au moins on aurait la liberté de penser.

  • Pierre ghi , 26 septembre 2013 @ 19 h 35 min

    Blabla, la laïcité en France est une religion dissimulée, l’humanisme des lumières est bidon, tout est dit dans la doctrine sociale de l’Eglise. Les pseudo penseurs idéologiquement récupérés par les “satanistes” se permettent des pensées sans avoir le plus petit respect sur qui a permis d’établir une échelle de valeur, ce sont des arrivistes perdus dans leur égo et donc facilement manipulables par l’idéologie judéo-maçonne. Celui qui réfute le passé, ne se dirige pas vers un avenir qui fait sens.

  • Dōseikekkon , 26 septembre 2013 @ 20 h 07 min

    Philpol : « Ce n’est pas au nom
    de la religion que la conscience
    se révolte »
    .
    Sans blague, vous croyez vraiment à ce que vous écrivez ?

    « Je connais ces personnes,
    elles sont sympathiques, mais je
    m’oppose à les marier, je
    suis chrétien
    et cette loi,
    votée dans les circonstances que
    l’on sait, est quelque chose qui
    me choque. »

    (Jean-Michel Colo, maire d’Arcangues)

    http://www.sudouest.fr/2013/06/12/arcangues-le-maire-ne-craint-pas-les-sanctions-et-ira-jusqu-au-bout-1082999-4018.php

  • Dōseikekkon , 26 septembre 2013 @ 20 h 16 min

    « ce sont 80% des électeurs
    qui sont près à se battre pour
    le respect des droits de
    l’enfant ! »

    On aimerait mieux que ce soit 100 % !
    En revanche, ceux qui jugent encore nécessaire de contester la loi Taubira (laquelle ne met aucun droit de l’enfant en cause) ne sont qu’une petite minorité.
    Un sondage IFOP de mai dernier indiquait que, selon 72 % des personnes interrogées, les manifestations contre cette loi de progrès devaient cesser.
    Mais, comme vous vivez probablement en milieu fermé – hors du vrai monde et entouré seulement de gens comme vous – vous avez l’impression d’être 80 %…

    http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=2245

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