Syrie : la France est-elle une démocratie ? (II) suite et fin

L’évolution de la situation politique et militaire en Syrie est manifestement favorable à l’Etat syrien et à son Président, Bachar Al-Assad. Elle dément les « informations » et les jugements de notre microcosme politique et médiatique, à de rares exceptions près. Une partie importante de la population, constituée par les minorités religieuses, mais aussi par de nombreux sunnites, notamment de la classe moyenne en essor pendant les années de croissance d’avant-guerre, soutient le « régime » face aux rebelles. Les ralliements sont importants. Sincérité ou opportunisme ? Il est frappant de voir aujourd’hui le petit Omran, cet enfant couvert de poussière et de sang, hébété, présenté comme le symbole de la répression à Alep, apparaître, tout propre et souriant au côté de son père, pour dire tout le bien qu’ils pensent de la paix revenue grâce à la libération de leur ville par l’armée syrienne. On se rend compte combien la vision westernienne, imposée par nos médias et nos politiciens était fausse, et c’est plus grave, mensongère. Le régime syrien est autoritaire. Ses méthodes utilisent la poigne, mais Bachar représentait par sa formation et sa personnalité une possibilité d’ouverture. Son élection en 2000, à la mort de son père, n’était pas prévue. Il remplaçait l’héritier désigné, son frère victime d’un accident. La diplomatie française a été d’une incohérence totale, compte tenu de cette situation. Il existait à la fois un lien et un contentieux plus importants entre la France et la Syrie qu’avec d’autres pays arabes. Entre les deux guerres, notre pays exerçait un mandat sur le Liban et la Syrie. Depuis beaucoup plus longtemps, les croisades, François 1er, ses relations avec les communautés catholiques présentes dans la région étaient fortes. Mais, l’assassinat de l’Ambassadeur de France au Liban, en 1981, l’attentat contre le Drakar qui tua 58 parachutistes français en 1983, alors que la France penchait vers l’Irak, puis l’énorme explosion qui coûta la vie à Rafic Hariri, le grand ami de Jacques Chirac, en 2005, avaient creusé le fossé en accusant Damas. Nicolas Sarkozy, au travers de son projet d’Union Pour la Méditerranée, renversa la vapeur. La Syrie devint le principal bénéficiaire de l’opération puisque celle-ci permit de réinstaller le pays dans le concert des nations. Bachar Al-Assad vint assister au défilé du 14 Juillet 2008 et revint à Paris en visite officielle en Novembre 2009 et Décembre 2010, soit quelques mois avant le début des troubles. Il faut relire l’article de Paris-Match sur le couple d’amoureux Bachar et Asma, et comparer cette vision avec « le monstre sanguinaire » dénoncé quelques années plus tard, pour prendre la mesure des manipulations journalistiques. Le Président Sarkozy prit aussi le chemin de Damas … puis changea totalement d’attitude en 2011. Il n’était plus question de favoriser le dialogue entre Israël et la Syrie par le biais d’une médiation de la Turquie soutenue par le Qatar, mais de chasser du pouvoir « le tyran qui assassinait son peuple », comme le désiraient maintenant, avec soutien aux rebelles, ces deux pays. Désormais Paris préférait le généreux Emir Al Thani aux méchants dictateurs qui tombaient comme des mouches sous les coups de vent populaires du Printemps arabe. L’ennui, c’est que l’alternance démocratique, c’était, au mieux, l’arrivée des Frères Musulmans, et donc d’une forme de totalitarisme religieux, et au pis, en cas d’affrontement militaire, la percée des terroristes d’Al Qaïda. Ce fut pour le Quai d’Orsay une descente aux enfers où l’on entendit Fabius souhaiter la mort du Président Assad et se féliciter du « bon boulot » d’Al Nosra, c’est-à-dire d’Al Qaïda ! Pendant ce temps Hollande se rapprochait du très sympathique et démocratique régime saoudien, si séduisant comme acheteur qu’il ne faut pas trop s’appesantir à son sujet sur les Droits de l’Homme. Evidemment, il était plus difficile de faire passer les salafistes extrémes de l’Etat islamique et leurs atrocités, pour les gentils, face à l’armée syrienne dont ils exécutaient les soldats prisonniers, à la manière des « einsatzgruppen » de la Shoah par balles. Alors, on ne recula pas devant cette énormité : le machiavélique Bachar avait libéré les djihadistes les plus fanatiques pour créer le monstre. Bachar, c’était le Docteur Frankenstein, et en toute conscience ! Mais, il allait bientôt tomber sous les coups de l’Armée Syrienne Libre…

C’est alors que la Russie de Vladimir Poutine intervint, que « l’espoir changea de camp, que le combat changea d’âme ». Bien entendu, la Russie, qui était, elle, l’invitée du gouvernement syrien, était une intruse qui allait prolonger la guerre et empêcher la victoire des gentils rebelles. D’ailleurs, elle ne s’attaquait qu’à eux et laissait la « coalition » des pays occidentaux et du Golfe lutter « seule » contre les affreux de l’Etat islamique. On se rend compte aujourd’hui combien cette vision des choses était fallacieuse. Certes, la reconquête commença à l’Ouest avec la libération d’un certain nombre de villages, de quartiers et de villes, comme la chrétienne Maaloula et surtout Alep, mais il devenait de plus en plus évident que les adversaires n’étaient pas les volontaires d’une armée syrienne libre de plus en plus virtuelle, mais des groupes terroristes, parmi lesquels, Al Qaïda, sous des noms changés pour mieux se dissimuler, prenait le dessus. Les rebelles « modérés » n’existaient qu’aux frontières avec le soutien turc ou américain, voire israélien. Après la reprise d’Alep-Est, les forces loyalistes épaulées par leur alliés, et notamment par la Russie, ont foncé vers l’Euphrate, libéré Palmyre et Deir-Ez-Zor en écrasant l’Etat islamique. Dans le même temps, et comme par hasard, la coalition passait des bombardements homéopathiques à l’attaque au sol… grâce aux Kurdes. Elle attaquait Raqqah. Pourrait-on supposer que ce réveil fût provoqué par l’avance loyaliste, notamment en direction des gisements pétroliers, ou encore par le risque de la jonction des segments d’un axe chiite de Téhéran au Hezbollah ? Rien n’est plus probable. De curieux bombardements de la coalition sur l’armée syrienne à Deir-Ez-Zor ou à la frontière jordanienne soulèvent des doutes sur les intentions américaines. Certes, le nombre des morts civils, l’accusation de l’usage d’armes chimiques, et plus récemment du bombardement par l’aviation russe de gentils rebelles démocratiques, viennent corriger le caractère trop positif qui pourrait être attribué à l’offensive syrienne. Mais, la situation actuelle, à la lumière du bon sens, appelle la conclusion suivante : Un Etat, qu’on a voulu renverser de l’extérieur, rétablit son autorité sur son territoire avec l’appui d’alliés qu’il a appelés. En revanche, des forces disparates soutenues par des pays aux calculs antagonistes persistent à entretenir les tensions dans les zones périphériques. C’est ainsi que les Kurdes, avec l’appui occidental, ont conquis une large frange de territoire au Nord, coupée en deux par une avancée de l’armée turque accompagnant « ses » rebelles. On sait combien Erdogan souhaite la naissance d’un Kurdistan à sa frontière !

Cette politique incohérente, mouvante, contradictoire a suscité et prolongé le conflit. Pour la justifier, la désinformation a été intense et systématique. Cette guerre, terrible pour les Syriens qui l’ont subie, est une tache sur l’honneur de nos démocraties. Elle doit élever sur elles un doute légitime.

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1 Comment

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  • montecristo , 26 septembre 2017 @ 8 h 51 min

    Toujours excellent Christian Vanneste ! Je regrette seulement que vous ne manipuliez pas très bien le ton ironique ….

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