#Balancetonporc, hashtag de la libération ou de la guerre ?

Le phénomène social que constitue le succès du hashtag #Balancetonporc mérite qu’on s’y arrête tant il met en lumière les ambiguïtés et les contradictions de notre société. Le point de départ se situe aux Etats-Unis lorsque le New York Times publie un article de Ronan Farrow qui reprend les témoignages de 13 victimes des agissements de Harvey Weinstein. Un écrivain canadien, Anna T. Donahue, qui avait subi cette fâcheuse expérience, lance un hashtag sur Twitter MyHarveyWeinstein qui va se transformer en déferlement de dénonciations pour les uns, en salutaire libération de la parole pour les autres. Le prédateur sexuel transformait son pouvoir dans l’empire du cinéma en droit de cuissage sur les nombreuses actrices qui passaient à sa portée. L’affaire prit rapidement une dimension planétaire puisque des actrices étrangères, et françaises notamment, ouvraient leur mémoire et rompaient le silence. En France, Sandra Muller lançait un appel à la délation des harceleurs, des agresseurs sexuels, et des violeurs. Son hashtag suscitait des dizaines de milliers de révélations. La machine était en branle : elle quittait la sphère du spectacle pour envahir le monde de l’entreprise, et révéler la fréquence des paroles ou des gestes portant atteinte à la dignité des femmes dans la rue ou dans les transports en commun. Comme il se doit dans notre pays, la Ministre Marlène Schiappa promettait de traiter la question par le biais d’une loi.

Faut-il se féliciter de l’ampleur de la vague d’indignation et de révolte ou s’inquiéter de la chasse à l’homme qu’elle suscite ? C’est l’une des questions. Il faut d’abord constater l’immense hypocrisie qui entoure ces éruptions médiatiques. L’omerta avait protégé Weinstein durant des décennies. La plupart des victimes avaient gardé le silence ou accepté les faits parce que cela semblait utile à leur carrière. On a connu et on connaît toujours cette complicité dans certains milieux, et en particulier, ceux du pouvoir. On se souvient de la solidarité ou au moins de la compréhension dont avait bénéficié DSK au début du scandale qui l’a chassé d’une vie politique très prometteuse. On avait entendu dire qu’il n’était pas bien grave de trousser une soubrette. Quand la justice américaine rappelle que Roman Polanski est l’objet d’un mandat d’arrêt, il y a des personnalités françaises pour crier à la persécution d’un artiste. Lorsque Luc Ferry évoque un homme politique « poissé » pour avoir participé à une partouze avec des garçons mineurs au Maroc, c’est lui qui est accusé de « bavasser » dans la presse par Alain Juppé. L’affaire est toujours étouffée aujourd’hui, suspendue entre les risques symétriques de diffamation et de non-dénonciation de crimes. Et on pourrait aussi pointer l’étrange complaisance à l’égard de personnalités soupçonnées à tort ou à raison de pédophilie.

Les belles âmes craignent la chasse aux sorcières que va provoquer l’appel à la délation. Les féministes se réjouissent de cette révolution qui transforme le prédateur en proie du lynchage médiatique, cette castration publique du pouvoir phallocratique. Entre ces deux écueils idéologiques il faut sans doute tenter de garder raison. Si la délation auprès d’autorités illégitimes dans une situation de dictature totalitaire ou d’occupation étrangère est honteuse, la dénonciation de délits ou de crimes dans un Etat de droit est un devoir civique. Il faut simplement espérer que, du délit au crime, de l’attouchement au viol avec pénétration en passant par l’agression, qui sont, de loi en loi, de plus en plus sévèrement réprimés, notamment avec le durcissement d’Août 2012, l’effet de mode ne l’emporte pas sur l’application efficace, constante et proportionnée des textes. En 2014, sur 1048 plaintes déposées à Paris, seules 65 ont donné lieu à condamnation. Si une femme sur cinq est victime d’attouchement ou de harcèlement, 6,2 % des plaintes seulement aboutissent.

Par ailleurs, la sévérité des normes doit-elle s’imposer plus particulièrement dans le domaine de la sexualité ? Evidemment non. Le respect de la personne humaine en général ou la sauvegarde de l’ordre public sont aussi importants que la protection de la dignité de l’individu dans ce qu’il a de plus intime. Dans ce domaine , deux risques subsistent : la justice ne doit pas verser dans la vengeance privée et encore moins dans une revanche collective qui tournerait à la guerre des sexes. C’est le cas lorsque sans attendre les décisions judiciaires, lentes et incertaines, le lynchage médiatique remplace la Justice. Certes, Weinstein, en raison du grand nombre de témoignages, semble ne pas avoir volé sa chute vertigineuse, mais que dire des personnalités traînées dans la boue et dont on découvrira l’innocence trop tard lorsqu’elles auront dû abandonner leur activité ? La victime déclarée peut masquer un bourreau qui assouvit une vengeance affective. Celle-ci ne doit pas être camouflée dans une pseudo lutte idéologique justifiée parce qu’elle serait la revanche du faible contre la domination du fort. Entre l’habileté à jeter l’opprobre sur un prétendu violeur et la peine sociale injustifiée subie par celui-ci, le sexe ne doit pas servir à trancher la part du bien et du mal. A l’Université de Columbia, une étudiante accusait de viol son petit ami. Pour forcer les autorités universitaires à l’écouter et à exclure le « coupable », Emma Sulkowics a fait preuve d’un rare talent de communicant. Ne quittant plus son matelas, symbole de l’agression subie, y consacrant son travail, l’emmenant avec elle à la remise des diplômes, elle a déclenché tout un mouvement « Carry That Weight » qui a tourné à la persécution du supposé coupable, puni avant d’être jugé.

Il faut se réjouir d’une plus grande rigueur dans les comportements liés à la sexualité. C’est un indice de civilisation. La vague d’agressions sexuelles qui a touché l’Allemagne avec l’arrivée d’un grand nombre de migrants en témoigne, hélas. Le respect de l’autre, la réciprocité, la dignité sont des valeurs qui doivent définir cette rigueur dans notre tradition chrétienne et humaniste. Entre la libération des moeurs, l’égalité des sexes et ce rappel à l’ordre, il y a un équilibre à trouver. En revanche, il faut dénoncer une fois de plus la manoeuvre idéologique qui peut se cacher derrière un mouvement apparemment salutaire, celle qui revient à substituer à la revendication de droits, une prise de pouvoir par des groupes de pression.

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1 Comment

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  • kanjo , 25 octobre 2017 @ 22 h 12 min

    Et dans le même, quand une gamine de onze ans se fait violer (vu son âge, c’est forcement un viol, même si elle n’a pas eu la présence d’esprit de se débattre, ce qui l’aurait fait souffrir encore plus) on prétend que c’est juste un rapport avec une mineure…
    Pour autant que je sache, les actrices qui ont couché avec l’autre malade ne se sont pas débattues non plus. Mais là, on veut bien dire que c’est un viol.

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