Le syndicat de la magistrature a-t-il dérivé?

Tribune libre de Marc Crapez*

Le « Mur des cons », découvert au siège du Syndicat de la Magistrature, ressemble à un fichage d’opposant.

La gauche intellectuelle est prompte à imaginer des fichages d’opposants. Il y a un peu plus d’un an, en pleine campagne électorale, se déroulait une grand’ messe antifasciste. Un syndicaliste était jugé pour un saccage de Préfecture. Au milieu des slogans « Touche pas à mon ADN », Jean-Luc Mélenchon lance : « Aujourd’hui on s’appelle tous Xavier Mathieu à cet instant » (allusion au « Nous sommes tous des Juifs allemands »).

Le héros de la fête scande : « Ce genre de fichier existait entre 1940 et 1945, il y était inscrit les juifs, roms, tziganes et homosexuels, et on voit à quoi il a servi ». Puis vient le tour du secrétaire général du Syndicat de la Magistrature, Mathieu Bonduelle, témoin cité par la défense, qui fustige un « dévoiement du Fichier national des empreintes génétiques » qui serait « très inquiétant » (Le Courrier picard, 04/01/2012).

Le 4 octobre 2007, ce même syndicat dénonçait « l’obsession du fichage » des étrangers. Le 30 octobre 2008, il affirmait que « le fichage généralisé de l’enfance est en marche ». Leur site Internet est édifiant. La rubrique Surveillance et Fichage abonde en communiqués et pétitions : « Contrôles au faciès », « Harcèlement policier des migrants à Calais », « Cartes d’identité biométriques : tous fichés ! », ou encore « Le scepticisme de Manuel Valls pour réformer les contrôles d’identité est déplorable »…

Une sociabilité qui pousse au sectarisme

Que n’aurait pas dit la gauche intellectuelle si le fichage du « Mur des cons », assorti de commentaires haineux, avait été découvert dans un local syndical de la police ou une permanence d’un parti de droite ! Ç’aurait été une affaire d’État. Un tollé médiatique sans précédent. Le fascisme aurait été aux portes de la Cité. Qui sait alors si le Syndicat de la Magistrature n’aurait pas hurlé à l’atteinte aux libertés.

Pour beaucoup, le Syndicat de la Magistrature paraît proche de l’extrême-gauche. Mais dénoncer des « juges rouges » ou des Fouquier-Tinville n’explique rien. Car, pris individuellement, ce ne sont pas nécessairement des idéologues, c’est davantage leur sociabilité qui les pousse au sectarisme. La bonne question doit être posée comme un titre d’étude sociologique : comment le Syndicat de la Magistrature est-il devenu le principal interlocuteur du ministère de la Justice tout en demeurant à gauche de la gauche ?

Un concours de circonstances a fabriqué des générations nourries au petit lait du légendaire de l’extrême-gauche. Ce dernier fut illustré par un certain cinéma des années 70. Se trouvèrent campés les temps héroïques du « petit juge » isolé dans une ville de province conformiste, où des notables font la pluie et le beau temps, où les Facultés de droit sont conservatrices, où la police est parfois expéditive et où la hiérarchie judiciaire manque d’indépendance.

Alors même que cette société giscardienne a volé en éclat, le scénario continue à tourner à vide. Depuis 30 ans, la gauchisation du paysage intellectuel et de la société française est tangible. Mais les sempiternels slogans de droitisation de la droite et de montée du populisme permettent à la gauche de cultiver des imaginations d’inquiétude. Si bien que la magistrature ne s’est pas vue devenir un puissant corps intermédiaire, influencé par des journalistes et universitaires de plus en plus conformistes. Pendant que les médias érigent des sociologues en « spécialistes » du populisme, et que certains enseignent même à l’École nationale de la magistrature, le milieu de l’entreprise est resté à l’écart de ce combat d’idées, ce qui explique que les magistrats sont, selon un sondage récent, les fonctionnaires les plus méfiants envers l’économie de marché.

Il en va des magistrats comme des cinéastes : massivement conservateurs dans les années 50, ils sont devenus massivement progressistes. Mais ils refoulent ce changement et ses interactions avec la société. Leurs représentations restent immuables, ils se voient toujours comme audacieux et environnés de périls. Le juge d’instruction, notamment, se regarde comme investi d’une mission. Ayant réussi un concours difficile jadis fermé à la méritocratie, surchargé de travail sans être particulièrement bien payé, il jouit de prestige et de pouvoir. Le problème est que les contre-pouvoirs d’hier sur-jouent leur fragilité tout en devenant les vraies puissances d’aujourd’hui.

*Marc Crapez est chroniqueur et chercheur en science politique.

Du même auteur :
> Vers un renouveau éthique ?

Lire aussi :
> Le mur fait par des cons, par Christian Vanneste
Au mur, les salauds ! par Pierre-Yves Ghisoni

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42 Comments

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  • 0 / 10
  • Joseph , 26 avril 2013 @ 15 h 32 min

    L’existence des syndicats au sein de la magistrature est une aberration.
    Les magistrats rendent la justice au nom du peuple français, leurs syndicats devraient être dissouts.
    Ou alors, leur appartenance syndicale devrait apparaître au grand jour avec possibilité, pour un prévenu, de pouvoir récuser un juge syndiqué.

  • Francois Desvignes , 26 avril 2013 @ 15 h 54 min

    le seul syndicat authentique de la magistrature, le syndicat des syndicats, c’est la Franc maconnerie

  • angivis , 26 avril 2013 @ 16 h 48 min

    Mr Eric Martin a parfaitement situé le problème qui mérite enquête et suivi médiatique jusqu’à auto-dissolution de ce syndicat nazi (et je pèse mes mots).
    Que figurent sur ce mur de “cons” les pères de deux pauvres gosses assassinées dans des conditions ignobles est tout simplement inimaginable et situe le niveau de conscience de ces “magistrats” nazis:Il est l’égal de celui des nervis SS des camps de concentration.
    J’espère que les médias ne vont pas les lâcher.J’espère qu’une pétition va être lancée pour savoir d’où viennent les “fiches” de ces “magistrats !

  • Joseph , 26 avril 2013 @ 17 h 01 min

    “J’espère que les médias ne vont pas les lâcher.”
    Vous n’avez pas compris que SM et grosses médias marchent la main dans la main ? Ces gens ont l’impunité.

  • Tarantik , 26 avril 2013 @ 17 h 09 min

    Si ” le syndicat de la magistrature a dérivé” alors c’est depuis fort longtemps.
    Combien n’avons-nous pas vu de victimes écœurées et de voyous triomphants à la sortie des tribunaux depuis 30 ans et plus ?
    Il y a certes quelque chose de pourri au royaume de Danemark et ce n’est pas une madame Taubira qui aidera à améliorer les choses.
    En quelques mois elle a déjà démontré qu’elle pouvait légaliser des requêtes illégitimes qui aideront grandement à la destruction de la Société !

  • samovar , 26 avril 2013 @ 19 h 20 min

    Moi j’appelle ça “le syndrôme du gorille”. Les gens sont de gauche surtout à Paris, parce qu’ils ont le souci de leur image et qu’on est plus joli si on est de gauche. De même les magistrats ou pour dire comme dans la chanson de Brassens, les juges, n’échappent pas à la règle et ont été imbibés dans leur jeunesse par cette chanson “gare au gorille” et voulant faire tout de même ce métier, en étant de gauche, ils ont pensé échapper à la malédiction de Brassens! On pourrait rechanter aujourd’hui :
    “…. gar’ au go-ri-i-i-i-i-lleux ! ” à ces juges SM lamentables!

  • Frédéric B , 26 avril 2013 @ 20 h 21 min

    “Que n’aurait pas dit la gauche intellectuelle si le fichage du « Mur des cons », assorti de commentaires haineux, avait été découvert dans un local syndical de la police ou une permanence d’un parti de droite ! Ç’aurait été une affaire d’État. Un tollé médiatique sans précédent. Le fascisme aurait été aux portes de la Cité. Qui sait alors si le Syndicat de la Magistrature n’aurait pas hurlé à l’atteinte aux libertés.”

    Il est inquiétant de constater la progression de l’influence et pouvoir de subversion d’une certaine idéologie sur la société et les consciences qui semble engendrer une direction dans l’appréciation de la gravité des faits selon le sens dans lequel ils sont commis.

    Ainsi le sexisme n’apprécie que les actes misogynes, c’est à dire certains agissements de l’homme envers la femme mais ne considérera pas la misandrie dans l’autre sens pour des actes commis dans un contexte comparable, tout comme le racisme ne concerne que les actes répréhensibles de l’homme blanc envers l’étranger mais n’accorde pas la même considération aux actes de l’étranger envers l’homme blanc
    .
    Mais ce qui est vraiment inquiétant, c’est de constater que cette subversion idéologique corrompt jusqu’à la raison de ceux qui nous jugent et ont le pouvoir de nous priver de notre liberté.

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